Schammasch - Hearts of No Light

Chronique CD album (67 mn)

chronique Schammasch - Hearts of No Light

L’expérimentation et l’intellectualisation de la musique sont deux caractéristiques structurantes du Black Metal européen, français spécialement, depuis plusieurs années. Elles en comblent certains, en agacent profondément d’autres, attachés à une forme « tradi » à la 1349, Marduk ou Dark Funeral. Pour ma part, je n’y vois absolument rien à redire – bien au contraire – lorsque la novation artistique proposée est maîtrisée, à l’instar des derniers albums de Pensées Nocturnes, Blut Aus Nord ou White Ward (des Ukrainiens auteurs d’un tout récent Love Exchange Failure), dont (respectivement) le Circus / Space / Jazzy Black Metal bouleverse positivement nos repères qui ont bien trop tendance à se cristalliser. Le danger de perdre l’auditeur dans une quête absolue de sens et d’émotions est pourtant réelle, comme le démontrent – de mon point de vue en tout cas – l’album Grand Œuvre de Triste Terre et, dans une moindre mesure, le « Socratic Black Metal » de Maïeutiste avec son Veritas. La déconstruction et la rupture ont ici été poussées à un tel degré d’intensité que la curiosité a laissé place à une imperméabilité à peu près complète pour le premier et à une déception toute relative pour le second.

 

L’Avant-Garde Black Metal – terme génériquement employé – est également depuis leur formation en 2009, la pierre angulaire des Suisses de Schammasch (nom faisant référence à une divinité akkadienne/babylonienne du soleil). Pour ces derniers, la musique extrême n’est qu’un levier, afin de proposer pour chacune de leur sortie un concept-album à haute valeur symbolique, artistique et spirituelle. Il suffit pour s’en persuader de se pencher sur les seize morceaux de leur Triangle de 2016 (100 mn !!!), réunis selon une triple entrée, rassemblés autour de trois « mouvements ». Les objets (CDs et LPs) valent également le détour : le projet musical est, en effet, accompagné d’un réel travail graphique et photographique.

 

Hearts Of No Light, nouvel album sorti le 8 novembre chez Prosthetic Records, est là encore l’occasion de nombreuses contributions. Outre la photographe Ester Segarra, toujours là, collaboratrice fidèle et précieuse pour Schammasch, signalons la participation de la pianiste classique Lillian Liu aux prolégomènes ("Winds That Pierce The Silence"), la contribution complètement dispensable du guest vocal Aldrahn (ex-Dødheimsgard, Thorns), ainsi que la présence de l’artiste multifacette Dehn Sora dans le (trop ?) long final track "Innermost, Lowermost Abyss".

 

Cet opus paraît peut-être d’emblée moins ambitieux d’un point de vue conceptuel que Triangle, mais il continue à défendre un Black Metal organique et réflexif, drapé de Dark ambiant et découpé de (trop ?) nombreux intermèdes, qui, composés entre autres de samples ("Winds That Pierce The Silence") et de chants incantatoires ("A Bridge Ablaze", "I Burn Within You"), déstabilisent volontairement l’écoute. Jusqu’à en briser l’élan et le souffle esthétiques ? Peut-être, oui… "I Burn Within You" et plus encore "A Paradigm Of Beauty" (écoutez donc cet improbable mid-tempo très 80’s et ce passage très douteux à la voix claire) m’ont ainsi laissé dans la plus parfaite circonspection. Un mirage auditif, ni plus ni moins.

 

Or, c’est uniquement lorsque la formation helvétique associe étroitement au sein d’une même composition l’agressivité de son Black et l’esthétisme de ses expériences musicales qu’elle est la meilleure. Les excellents "Ego Sum Omega" et "Katabasis" l’illustrent à merveille, puis "Qadmon‘s Heir" et "Rays Like Razors".

 

Alchimistes, ambitieux, créatifs, nos voisins de Schammasch le sont. Incontestablement. Mais désirer être à tout prix de véritables bâtisseurs de cathédrales esthétiques et musicales, c’est aussi prendre un risque important de proposer une œuvre qui peut par instant (à l'exemple de nos glorieux ancêtres opératifs du Moyen Âge) laisser un tenace - mais pas amer - arrière-goût d’inachevé…

 

 

 

Pour info :

En tournée européenne en janvier 2020 dans le cadre du "Cold Black Hearts Tour" avec Enthroned et Caronte, avec une seule date française (Paris, 8 janvier, Petit Bain).

De passage en Bretagne en août 2020 pour le prochain Motoc'.

photo de Seisachtheion
le 31/12/2019

0 COMMENTAIRE

AJOUTER UN COMMENTAIRE

anonyme


évènements