Minushuman - Interview du 23/09/2011

Minushuman (interview)
 

De ce que je connais de Bergerac, c'est son vin (j'achète fréquemment du blanc mi-doux de là-bas, c'est ma drogue à moi), c'est d'ailleurs un secteur important pour la région, en plus de son patrimoine historique. L'image que j'ai de cette ville contraste donc avec votre univers. J'ose imaginer que pour 5 chevelus (ou presque) il n'est pas forcément facile, au début, d'être crédible auprès de votre ville. Avez-vous donc cherché à vous en affranchir, ou au contraire aviez-vous bénéficié de soutien de ce côté-là? Et actuellement y a-t-il une infrastructure mise en place afin de permettre aux musiciens de la région de répéter?

C'est vrai que Bergerac est plus réputée pour son vignoble que pour sa scène locale ! Maintenant, il y a toujours eu, par vagues, un bon paquet de groupes, et un tissu associatif assez activiste, justement là pour combler les lacunes culturelles autour des musiques actuelles. En France, porter un projet "metal" reste évidemment assez compliqué, même si on voit bien que les choses sont doucement en train de changer. Nous avons, depuis nos débuts, écumé les salles et les structures de la région, et avons noué des relations avec différents acteurs locaux qui sont devenus aujourd’hui des partenaires. Par exemple, nous venons de réaliser une résidence artistique au Rocksane, qui est une salle municipale en centre ville dédiée aux musiques amplifiées, aux répétitions et aux cours de musique, construite sur un modèle de "rock school", et allons enchainer au Sans Réserve à Périgueux dans les prochains mois. C’est vrai qu’il nous aura fallu pas mal de temps et beaucoup de sueur pour avancer et mettre en place ces partenariats, mais je pense que c’est le corollaire de tout projet finalement, qu’il soit "metal" ou non.

 

Donc si je comprends bien, vous répétez lors de ces résidences éphémères, c'est ça? Si chaque groupe doit négocier des partenariats (et comme tu le décrits ça n'a pas l'air d'être facile) ça doit être la croix et la bannière pour les groupes, me trompe-je?

Les résidences sont plutôt des moments où tu as l’occasion de travailler en conditions de concert, et durant lesquels tu vas roder ton show, les lumières, le son. Et c’est à ce moment précis que tu vois si tu as correctement travaillé en répétitions. C’est toujours très bénéfique et constructif, et souvent bien fatiguant, étant donné que tu enchaînes plusieurs fois par jour le même concert ! Mais c’est une étape très importante pour s’améliorer et tester de nombreuses configurations. C’est vrai qu’il peut s’avérer compliqué de dégotter des structures pouvant accueillir des groupes, pour tout un tas de raisons, souvent de planning, les salles étant particulièrement sollicitées. C’est la raison pour laquelle nous sommes très heureux aujourd’hui d’avoir noué ces partenariats qui nous permettent d’avoir une meilleure visibilité sur les périodes de résidence à venir.

 

Votre précédent album, "Watch The World Die", a d'abord été sorti en auto-production, avant votre arrivée chez Season of Mist. Ça a dû changer la donne, mais comment s'est déroulée la période pré-Season of Mist? Etait-ce laborieux de diffuser votre musique et de distribuer votre album, ou aviez-vous déjà acquis un réseau satisfaisant pour vous?

Nous avions pris l’habitude, de part l’expérience acquise avec nos années consacrées à Dark Poetry, de nous charger de tout ce qui se rapportait au groupe nous-mêmes, et avions à l’époque de Watch The World Die une envie d’avancer vite, de proposer l’album dans la foulée de son enregistrement, sans attendre un éventuel deal avec un label pour se charger de sa promotion. Nous avons alors décidé de le sortir par nos propres moyens. Nous avons rendu l’album disponible dans nos réseaux, via notre e-shop, puis finalisé un accord de distribution avec Season Of Mist, qui assura sa diffusion physique dans les bacs pour la France. Et nous avons eu la chance de voir que certains de nos efforts commençaient à payer, notre compteur de visites sur Myspace commençant à grimper, les chroniques très encourageantes arrivant petit à petit, et l’album semblant trouver une place dans la discothèque de pas mal de metalheads. On a fait en tous les cas de notre mieux pour diffuser et promouvoir cet album, avec les moyens dont nous disposions à l’époque. Nous avons ensuite commencé à travailler avec notre manager Loïc de Musica Diaboli, pour mieux structurer notre démarche, et qui met depuis une énergie incroyable au service du groupe et à sa diffusion. Quand nous avons commencé à parler du deuxième album, nous avons cette fois décidé d’engager des discussions avec différents labels, et nous avons finalement rejoint les rangs de Season Of Mist,  avec qui tout se passe pour le mieux, leur équipe étant super réactive et particulièrement sympathique. J’espère que nous allons pouvoir continuer la route sur cette lancée !

 

 

Alors justement, la lancée, c'est quoi? L'album étant à peine sorti, j'imagine que ça sera tout d'abord des concerts. Mais avez-vous déjà des objectifs au-delà?

On travaille effectivement sur plusieurs options pour la fin d’année et le début de l’année prochaine, et tout est en train de se caler en ce moment, aussi, désolé de ne pouvoir t’en dire vraiment plus sur l’instant ! On espère pouvoir aller défendre Bloodthrone sur scène autant que possible,  bien sûr. Mais au-delà des dates à venir, notre objectif est simple, finalement. Nous jouons ensemble depuis un bon paquet d’années, et profiter aujourd’hui d’une mise en avant plus importante récompense d’une certaine façon l’énergie que nous avons toujours consacrée à nos projets. J’espère simplement qu’on saura continuer à travailler comme on l’a toujours fait, sans tellement se soucier de ce qui se passe autour, qu’on fera toujours de notre mieux pour sortir de bons albums et qu’on aura encore longtemps la chance de partager notre musique sur scène, tout bêtement. Nous n’en sommes qu’au deuxième album, on a encore pas mal de choses à faire !

 

Concernant les concerts, je vois que pour le moment il y en a peu d'agendés. Comme tu l'as dis j'imagine que ça doit se mettre gentiment en place, mais est-il facile pour vous de trouver des dates dans l'hexagone?

Ce n’est effectivement pas toujours facile de booker des dates en France, pour tout un tas de raisons. Là aussi c’est souvent une question d’opportunités.  Nous avons pendant longtemps booké nos concerts nous-mêmes, mais venons de rejoindre depuis quelques mois le roster de Avocado Booking qui fait tourner des groupes comme Atheist, Converge ou Darkest Hour. Espérons que leur boulot porte ses fruits et qu’il nous permettra de tourner beaucoup plus, on attend que ça ! Nous venons par exemple cet été de faire deux dates avec Aborted et Skeletonwitch, à Toulouse et Montpellier ; j’espère qu’on va pouvoir aller rendre visite à d’autres régions françaises et d’ailleurs, très bientôt.

 

Avez-vous déjà eu l'occasion de jouer à l'étranger?

Pas avec Minushuman pour l’instant, mais on devrait y remédier rapidement. Nous avions par contre eu l’occasion avec Dark Poetry d’aller notamment faire headbanger nos amis Suisses, on en garde d’ailleurs quelques souvenirs impérissables…

 

Thomas, on dirait que tu portes plusieurs casquettes au sein de Minushuman: en plus d'être, en tant que guitariste, le principal compositeur, tu t'es retrouvé derrière les manettes aux côtés de "Mobo" (Conkrete Studio) et tu t'es chargé des visuels, et ce pour vos 2 albums. Gères-tu aussi le reste de la communication visuelle de Minushuman (website, t-shirt, banners, etc…)? D'autres casquettes que j'aurais omis d'énumérer?

Je m’occupe en effet de pas mal de trucs, comme c’est le cas je pense dans beaucoup de groupes finalement. Comme beaucoup, j’ai appris quelques petites choses sur le tas, que je maîtrise évidemment plus ou moins bien, et que j’essaie de mettre à profit au sein du groupe. C’est un mode de fonctionnement que nous avons mis en place entre nous et qui marche plutôt pas mal. On a  tous confiance les uns envers les autres, et on valide tout ensemble quoi qu’il arrive. Par exemple, je pense toujours à Gaspard (batterie) quand je suis en train de composer un titre, à sa façon de jouer, à ce que je pense qu’il aimerait mettre ici ou là, et on en discute ensuite ensemble. Pour les enregistrements, j’enregistre des maquettes et albums depuis pas mal d’années, et j’ai donc appris quelques petits trucs utiles en édition, en mixage, sans être un ingénieur du son pour autant, loin s’en faut.  Je suis également graphiste à côté, et je m’occupe de tout ce qui touche à l’aspect visuel du groupe en effet, website, pochettes, etc. C’est un autre aspect de ce que tu souhaites exprimer avec un album, et je suis ravi de pouvoir m’en charger.

 

Tu dis que tu pense au jeu à Gaspard lorsque tu compose, mais est-ce que tu crées aussi les parties batterie afin de les lui soumettre? Ou tu lui laisse te proposer quelque chose?

Je pose les bases des patterns de batterie, car ils sont étroitement liés aux riffs de guitares généralement, mais tout dépend des morceaux, qui peuvent partir d’une idée de partie guitare, de rythme, d’un thème. Nous n’avons pas vraiment de règle précise que nous suivons à chaque fois. Gaspard reste évidemment seul décideur des parties qu’il souhaite jouer, ou qu’il souhaite améliorer, et c’est le cas bien sûr pour tout le monde. Je pense par exemple à la partie finale concluant le morceau "Kill me" où, en tendant l’oreille, on peut s’apercevoir qu’il réalise un travail incroyable sur les cymbales, qui n’avait pas été maquetté de la sorte et qu’il a énormément développé. Disons que j’essaie toujours de proposer au groupe un travail suffisamment avancé. J’ai toujours besoin d’avoir une vision précise d’un morceau avant de partir lui donner vie en répétition.

 

Et les paroles, c'est encore une de tes casquettes ou j'ai réussi à trouver la limite?

J’avoue que je me charge également d’une bonne partie des paroles, que nous développons toujours ensemble avec Cédric. J’ai la majeure partie du temps des parties vocales en tête lorsque je trouve des riffs, des phrases, des mots, qui ont tendance à tourner en boucle dans mon esprit à chaque écoute. Je les soumets alors à Cédric qui part de ces bases et les enrichit, cherchant les bonnes sonorités, les bons phrasés, etc. J’écris des textes assez longs dans lesquels nous allons puiser l’essentiel de ce que nous cherchons à raconter, que nous finalisons généralement ensemble durant l’enregistrement. Les textes sont généralement prêts à temps, mais parfois nous n’avons que des pistes à suivre et les terminons durant les prises. L’enregistrement des voix est un moment crucial dans un album, et Cédric m’impressionne toujours par son implication et l’énergie qu’il consacre à chaque phrase. Il a encore réalisé un travail assez démentiel sur Bloodthrone, et exploré des aspects de sa voix dont il n’avait pas forcément conscience, comme par exemple sur le titre "The Size Of An Ocean".

 

 

Justement, par rapports aux paroles qui ne sont pas franchement des plus bucoliques, dans l'ensemble vous dénoncez et condamnez la domination de l'homme et ses conséquences sur… heu… tout, en fait. Bon, c'est un thème récurent dans le metal en général, pas de grosse surprise en soit. Néanmoins, avec un discours aussi misanthrope que le vôtre, êtes-vous aussi engagé hors du groupe?

Nous essayons de décrire le monde tel que nous le percevons, et pointons effectivement les responsabilités des hommes dans sa dévastation en cours. Mais je ne nous crois pas misanthropes pour autant. Je n’ai pour ma part jamais sacralisé l’Homme, je ressens même cette façon de séparer l’Humain du reste du monde comme une erreur intellectuelle majeure, comme un réflexe pavlovien issu des cultures religieuses. Je le vois simplement comme un élément de la vaste chaîne du vivant, qui n’existe que par rapport et à travers ce qui l’entoure, capable du meilleur comme du pire. En l’occurrence, et depuis quelques millénaires, il a plutôt prouvé qu’il était capable du pire, et c’est de cela dont nous parlons dans nos textes. Mais ça ne fait pas de nous d’obscurs antisociaux pour autant, enfin j’espère !

 

Assurément, et être engagé ne signifie pas forcément être antisocial. Dans tous les cas, à voir encore ces jours la main mise qu'ont les multinationales pétrolières sur les décisions politiques en France concernant le gaz de schiste, ça ne devrait pas vous laisser à court d'idée pour l'écriture de vos textes futurs! Mais allez-vous aussi puiser de l'inspiration dans la littérature ou le cinéma pour écrire vos textes? La question n'est pas de savoir si vous êtes intellos, juste envie de savoir ce qui vous branche…

Je pense que finalement, tout ce que tu expérimentes t’influence d’une manière ou d’une autre, à différents degrés, volontairement ou pas. Nous n’allons pas directement puiser des idées dans la littérature ou le cinéma, mais j’imagine que tout ce que nous pouvons lire ou regarder laisse des traces et rejaillissent un jour ou l’autre, sous une forme X ou Y. Tout ça se fabrique principalement dans l’inconscient je crois. Mais souvent, l’actualité du monde suffit à trouver des sujets d’indignation et de révolte, ils s’imposent d’eux-mêmes. Maintenant, je suis moi-même un mauvais client des cinémas, je m’y enferme rarement, c’est pas tellement mon truc, contrairement par exemple à Cédric et Lionel (guitare rythmique), qui sont eux de gros consommateurs de films.

 

En tant que graphiste, as-tu eu l'opportunité de faire des pochettes d'autres groupes?

J’ai effectivement réalisé quelques pochettes de disques, mais pas énormément. C’est toujours un plaisir que de se pencher sur l’univers d’un groupe ou d’un artiste. Je vais essayer de développer cette activité à l’avenir, c’est vraiment quelque chose que j’apprécie beaucoup. J’ai par exemple réalisé il y a quelques temps un single pour les bordelais de Zombie Eaters, ou un split-CD pour Vs-Webzine, "Reader’s Choice".

 

Tout comme toi, tes acolytes ont certainement plus ou moins tous du taff à côté du groupe, mais j'imagine que vous cherchez aussi à mener Minushuman aussi loin que possible. On sait tous que la vie d'un groupe est remplie de concessions, et qu'un moment donné il est demandé de privilégier soit le groupe, soit la vie privée et professionnelle, ce qui peut amener son lot de tension. Vous y êtes vous préparé? Est-ce que cela est, ou a été, source de querelle entre vous?

Nous avons la chance de jouer ensemble depuis de longues années, et d’avoir toujours fait les choix personnels nous permettant de continuer à nous investir autant que possible dans le groupe, et je ne crois pas qu’on se soit une seule fois engueulés à ce sujet. Bien évidemment, plus le groupe avance et plus il demande de temps et d’investissement, et c’est tant mieux. Nous savons je pense la chance que nous avons de vivre cette expérience, qui oblige effectivement à faire des choix plus ou moins faciles, mais c’est le jeu. On prend un tel plaisir à se retrouver autour de Minushuman que ça fait souvent passer les difficultés au second plan. On espère évidemment qu’un jour ou l’autre tout notre temps sera pris par le groupe, on travaille en ce sens.

 

 

Tant par votre musique, vos influences (Metallica, Devin Townsend, The Haunted, etc…) que par les groupes que vous côtoyez sur scènes, tout ça reste dans un cercle plus ou moins metal. Mais qu'écoutez-vous en dehors de ce registre?

Oh, pas mal de choses je crois, même si ça reste de près ou de loin rattaché au rock'n’roll. Gaspard a toujours écouté tout un tas de choses, du metal, du jazz, du prog', de l’electro, et il a construit son jeu autour de toutes ces influences. Mickaël (basse) et Lionel (guitare rythmique) sont fans de tout ce qui groove, quel que soit le genre, tant que ça sonne comme il se doit. De mon côté, j’ai écouté beaucoup de metal quand j’étais gamin, et j’ai rapidement trouvé d’autres pistes à explorer dans la musique de films, les musiques instrumentales. Cédric est lui très attaché à Tool, Mastodon et à des groupes de la scène post-hardcore comme Neurosis.

 

 

 

Puisque tu parles de post-hardcore il me semble que la scène metal, et ça ne date pas d'hier, propose rarement des splits de deux groupes (ou plus) tels qu'il n'est pas rare de le voir avec les groupes de post-hardcore. Est-ce que l'idée a déjà été évoquée au sein du groupe, ou le concept ne vous a jamais vraiment séduit?

J’avoue qu’on ne s’est pas posé la question jusque là. C’est vrai que ça se fait assez souvent dans la scene post-hardcore ou même post-rock, moins dans la scène metal. Je n’ai d’ailleurs pas de référence en tête. Je ne suis pas hostile à l’idée par contre, même si je reste un amateur des albums à part entière, et de la relation des morceaux les uns avec les autres. Mais ça donne souvent lieu à des packagings soignées qui en font de beaux objets, souvent rares parce qu’édités en petites séries. J’ai un ami qui a une collection de vinyles et de splits assez impressionnante dans laquelle j’adore farfouiller à l’occasion, je tombe souvent sur de beaux trucs. On verra bien à l’avenir, si l’occasion se présente pourquoi pas, maintenant ça ne fait pas partie de nos projets à court terme.

 

Merci sincèrement Thomas pour cet échange. Je vous souhaite bonne continuation, il semblerait d'ailleurs que votre album reçoive un accueil des plus chaleureux.
Je te laisse le mot de la fin.

Un grand merci à toi pour cette interview, et aux lecteurs de COREandCO ! Longue vie et à très bientôt sur la route ! Cheerz mate !

photo de Sam
le 27/09/2011

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