Candiria - While They Were Sleeping

Chronique CD album (49:14)

chronique Candiria - While They Were Sleeping

Chapitre 1 : Ce qui ne te tue pas te rend un peu plus mort (l’histoire raccourcie de 1995 à 2015)



Candiria, de New York, se lance dans la fosse hardcore en fusion au milieu des années 90. Entre 1995 et 2001 (l’incroyable 300 Percent Density), Candiria sort quatre albums, tous témoins d’une époque qui, vingt ans plus tard, semble définitivement révolue (on y reviendra), mais également d’un sens de l’exploration qui, déjà à l’époque, les sortait radicalement de l’axe metal/post/hardcore chaotique – celui qu’on ne nommait pas. Une fureur polyrythmique sans égal entre jazz, hip-hop, metal et hardcore, menée par un chanteur magnifiquement rauque (Carley Coma), un batteur monstrueux (Kenneth Schalk) et une paire de grattes à vous décrocher la mâchoire. Putain que c’était bon !



En 2002, alors qu’ils sont en pleine tournée, de bon matin, un connard en semi-remorque explose leur van : tonneaux et éjections pour un carton impressionnant. Coup de bol, s’ils sont à deux doigts d’y rester, ils se contenteront de blessures (loin d’être bénignes), et de quelques millions de dollars gagnés après procès (ça, c’est cool). En revanche, pas de pot pour une partie des fans : le groupe met en musique son histoire dramatique avec un album qui divisera le public, What Doesn’t Kill You (un très bon disque !), le début de la fin pour certains, dont la mauvaise humeur s’intensifiera en 2009 avec Kiss The Lie, encore plus radicalement mélodique.



La même année, l’un des deux guitaristes fondateurs du groupe, Chris Puma, meurt. Ok, il avait été remplacé en 1997 par John LaMacchia, qui lui s’était cassé en 2004, avant de revenir en 2006. Toujours en 2004, Eric Matthews, second guitariste à l’origine de la formation du groupe, arrête également les frais, en partie à cause des séquelles qu’il traîne depuis l’accident. En 2006, Kenneth Schalk se tire, suivi de près par son pote John MacIvor (le bassiste depuis près de dix ans), après les sessions d’enregistrement de Kiss The Lie. Oui, l’album mettra ensuite trois ans à sortir. Bref, c’est la merde, le jeu des chaises musicales n’amuse plus personne, les concerts se font rarissimes pendant près de dix ans : le crash aura finalement réellement flingué le groupe. En 2009, il ne reste que deux musiciens de l’époque dorée, Carley Coma et John LaMacchia. Avant le retour du batteur-prodige Ken Schalk…



Tout étant désormais parfaitement clair (désolé), vous comprendrez quel fut mon émoi en 2015, alors que Metal Blade annonçait le retour de Candiria et son line-up : Coma, Schalk, MacIvor et MaLacchia seraient de la partie, accompagné d’un nouveau second guitariste, Julio Arias. On jubile. Mais en juillet 2016, le groupe confirme le départ de Schalk, cette fois pour de bon, remplacé par un certain Danny Grossarth. Au passage, on apprend que le nouveau disque serait un album-concept. Franchement, malgré la meilleure volonté du monde, il y avait de quoi flipper…



 



Chapitre 2 : While They Were Sleeping (2016)



Du concept contant l’histoire d’un musicien foireux décidant de s’élever contre une monarchie à New-York, on ne retient pas grand-chose, si ce n’est qu’il a visiblement joué un rôle essentiel pour Carley Coma, en réveillant chez lui et ses potes ce qui semblait endormi depuis déjà belle lurette. Cela dit, je vous arrête immédiatement : 80% de la fanbase hardcore du groupe passera probablement son chemin - à raison. Il reste 20%. Ce qui suit leur est dédicacé.



Ce Candiria n’est ni celui des années 90 ni celui des années 2000 : il est les deux, sur chaque titre, à chaque seconde, si ce n’est qu’il suit aujourd’hui un fil d’Ariane qu’on pensait enfoui à jamais. Depuis 2004, aucun morceau de Candiria n’avait à ce point su simultanément exploiter leur bagage metal/hardcore et leurs intentions plus mélodiques. En insistant à nouveau sur les refrains en chant clair, donc en exploitant toujours les impressionnantes capacités vocales de Coma, mais en retrouvant sa hargne metal hardcore jazzy progressive, Candiria s’octroie peut-être plus de libertés qu’il n’en a jamais eues. Certes, While They Were Sleeping manque cruellement de ces sensationnels breaks et phrasé hip-hop, mais en radicalisant à nouveau sa fusion des genres, le groupe permet également aux instants mélodiques de résonner différemment, de servir de tremplin pour le break suivant. Ce chant clair, capital, semble finalement tirer ses racines des années 90, évidemment plus proche de la logique alternative de l’époque que de la mièvrerie du dernier groupe de britpop en vogue. Qu’on se rassure, les New-Yorkais ne la jouent pas metalcore emo bas de gamme et, moins insultant, n’empiètent pas sur le terrain d’un Between The Buried And Me. Bref, ces mecs avaient oublié d’être cons quand ils avaient 20 ans, et c’est toujours le cas.



Derrière l’immense panel vocal de Coma, son accent guttural inimitable, on savoure les grattes toujours aussi abrasives, et un bassiste monumental, qui enclenche le mode jazz/fusion pour ne plus le lâcher. Le Candiria d’antan est ici retrouvé. Il manque donc un point : la batterie. While They Were Sleeping est suffisamment riche et tortueux pour démontrer que le p’tit nouveau a le niveau, sans qu’il ait besoin de se mettre au premier plan. C’est la principale nuance avec Schalk. On ne peut s’empêcher d’imaginer ce qu’aurait pu être ce disque avec le batteur d’origine, de penser que son jeu aurait probablement crevé l’écran au lieu de se contenter de faire le job. Le jeu de Grossarth est techniquement irréprochable… en revanche il lisse légèrement les compos, aidant peut-être à fluidifier l’ensemble, mais faisant perdre à la base rythmique du groupe une partie de sa démence, de son imprévisibilité, et donc de son identité. Et ce qui semble être un détail empêche l’album d’atteindre le niveau d’excellence auquel il aurait probablement pu et du aspirer. On s’y fera peut-être à l’avenir…



Candiria vire d’un ton à un autre, pimente ici d’une touche electro, plombe là d’un plan industriel, balance dans la foulée plusieurs coups de boutoirs, puis titille la corde sensible des émotifs pendant deux minutes, avant de remettre illico une patate dans le parpaing. Meilleur exemple de la diversité de l’album, "Mereya" marque les influences jazz au fer rouge, avec ses riffs surpuissants, la gueulante jouissive de Coma, l’arrivée discrète d’une contrebasse et d’un saxo, son refrain entêtant, sa structure casse-gueule et néanmoins parfaitement fluide. Permettez-moi d’être pompeux : la fameuse citation de Charles Mingus, définissant la vraie créativité comme étant la simplification extrême de ce qui est a priori complexe, et non l’inverse, prend ici tout son sens. En 50 minutes, Candiria revisite vingt ans de carrière, claque à nouveau ses polyrythmies démentes et breaks ravageurs, me permet de retrouver un plaisir fou, presque juvénile, et le profond respect que j’éprouve à leur égard. Ils osent et assument avec un évident enthousiasme l’ensemble de leur discographie. Mieux que de replonger dans leur passé, ce que nous espérions quelque part, il le réveille et s’offre la possibilité d’un avenir. Témoin d’une époque révolue, mais plus que jamais vivant. On peut bouder, regretter la rugosité constante du Candiria d’avant, ou s’en foutre royalement, on doit en revanche admettre qu’aucun groupe ne sonne comme eux.



Pour un groupe soi-disant mort, il s’agit d’une sacrée renaissance.


photo de Alexis
le 27/10/2016

1 COMMENTAIRE

pidji

pidji le 27/10/2016 à 10:32:42

excellente chro, et excellent retour !

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