Crippling Alcoholism - When The Drugs That Made You Sick Are The Drugs That Make You Better

Chronique CD album (37:26)

chronique Crippling Alcoholism - When The Drugs That Made You Sick Are The Drugs That Make You Better

Autant le poser tout de suite : voici un premier album. Et apporter avec soi pareil cadeau empoisonné comme premier album est juste hallucinant. Toutes les bases d'un univers personnel complètement à part sont déjà fondées loin dans le sous-sol.

 

Alors par contre, prévenons, le propos est très très noir. Noir abyssal. C'est tellement glauque que... ça en deviendrait presque comique.

A ce sujet, ça me rappelle un épisode de ma vie assez douloureux mais pas très grave et surtout incroyablement formateur. J'étais très jeune en ces temps-là et, à leur demande, j'avais passé mes « paroles de chansons », comme je les appelais affectueusement, à un couple d'amis pour lecture. C'était une belle pile d'environ quatre centimètres d'épaisseur, des dizaines et des dizaines de textes, déjà mis en musique ou non. Je leur confiais vraiment quelque chose, comprenez. Quelques semaines plus tard, je les ai revus et ils m'ont rendu cette pile en faisant quelques commentaires gênés du genre : « On est désolé, mais on a ri, en fait. Tous les textes, mais alors absolument tous les textes sont tellement sombres que, je sais pas, c'est peut-être une protection, mais... on a ri. On a ri. Au moins ça déclenche une réaction, hein ? ».

J'ai essayé de ne pas trop le montrer, mais j'ai été blessé, et même vexé comme un cochon. Mais avec le temps j'ai compris. Je me suis remis en question. C'était pas bien écrit. C'était très premier degré. C'était très naïf. C'était complaisant. J'étais une caricature de moi-même. Fallait prendre de la distance, tout en restant sincère, et fallait surtout BOSSER CES PUTAIN DE TEXTES !

Bon, les textes de Tony le chanteur-chef de l'orchestre Crippling Alcoholism m'ont l'air travaillés, mais sinon je me demande encore un peu à quel point tout cela est bien sincère, à quel point tout cela est premier degré, j'ai même très envie de lui demander en fait. Car tous les textes sont des horreurs absolues. Tous, ahah !, dit le gars qui est tombé amoureux de Today Is The Day ! Dit le gars qui sait très bien de quoi parlent tous les textes de Death Metal ! On va pas demander à Francis Bacon de pondre une étude sur les pâquerettes, non ?

Certes.

Et puis, qui sait ce qu'il se passe dans le camping de votre putain de festival de cosplay, hein ? Brrr...

Nous verrons lors de l'interview. Ou pas.

 

En parlant de Francis Bacon, la pochette est, encore une fois très sombre et torturée, ornée de l’œuvre impressionnante d'une artiste américaine surnommée Mow Skwoz aka Gina Skwoz aka Lady Kevin (Kevin Rutmanis, bassiste des Cows, Melvins, Hepa Titus, etc) qui ne s'en tient pas à jouer dans Lords And Lady Kevin, mais aussi réalise donc des dessins absolument terrifiants, je n'exagère pas :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 





















 

 

 

A côté, celui de la pochette de ce When The Drugs That Made You Sick Are The Drugs That Make You Better (ouh and Love Is The Devil !) serait presque paisible... (on dirait moi avec une très très sévère gueule de bois, quoi, rien de bien terrible, ah-ha-ha).

 

« Paisible », comme j'abuse... Y'a rien de paisible ici. C'est un album parfait pour l'enragé en voie d'implosion, toutes nos amies les cocottes minutes apprécieront. Ici l'expression est toute dédiée à cela, la rage rentrée, et fait complètement péter toute cette merde... euh, presque jamais.

On serre les dents un peu plus, mais on est content d'entendre qu'on est pas tout seul et que quelqu'un sublime tout ça en faisant de la sacrée musique pas sacrée du tout.

 

Pas sacrée pour un sou, quand je pense à l'album d'après où « Jesus is a cunt who makes you drink his blood / He and daddy God judge you from above » est chantonné entre les dents serrées, ''Satan Is The One'', faut pas oublier que ça passe pas pareil dans un pays où le mutherfucking président jure sur la mutherfucking bible, hein ! Dans un pays de culs bénits (hypocrites bien-sûr, et avec des flingues, mais bien bénits d'la bite tout d'même !)...

Avec des flingues. Et des roses ? Naon, même si King Dude n'est pas loin, sa version complètement vrillée du moins, Christian Death pas loin non plus, Sisters Of Mercy sans doute pour le name dropp' de pute de luxe, même si ça croone ici salement, salement, ouaip, avec des flingues, du sexe, de la mort et... des drogues.

C't'original, hein ? Dans nos musiques bruyantes ça peut rapidement devenir un cliché éculé un peu navrant. C'en est un, d'ailleurs. Arf.

_ J'ai monté un groupe qui parle que de meurtre.

_ Whaou t'es trop un dingue, passe-moi la mayo steupl'.

_ (Tiens.) ...ouais mais ça peut faire de la bonne musique pas bienveillante, donc la meilleure musique qui soit car l'art n'a pas à être bienveillant. Surtout pas putain, sinon il en crève. Sinon on crève tous !

_ (Pas mal, c'poulet !) Ouais mais si tu t'enfermes dans les clichés, quels qu'ils soient, c'est pareil, il crève.

_ Bon. J't'ai filé la mayo, maintenant tu fermes ta gueule, merci.
_ (Burp.) Fallait pas m'inviter.


C'est notre cher camarade de chroniques Mister Savary (c'est le "David Bowie in Hell" de leur bio qui t'a alpagué, hein, en vrai ?) qui m'avait conseillé ce groupe, en parlant de l'album suivant, en substance, comme d'un « bon complément au Mansuetude de Buñuel » et il est vrai qu'il y a parfois un petit quelque chose de Mister Robinson dans leur chanteur. Quand le chant est posé les jambes un peu arquées, menaçant avec une ambiguïté toute relative, faisant méchamment sentir tout le pugilat intérieur, balançant des inflexions punitives en postillons. Une morgue presque provoc du combattant qui monte sur le ring. Ou le tatami. Ou sur la table.

Lors des bourrinages ahuris, la voix se déforme, comme pitchée plus lente donc plus grave, et tout ça me rappelle un autre groupe D.I.Y., issu de notre petit pays, les regrettés 1400 Points De Suture et leur génial Baisse Les Yeux et tout spécialement cette odeur bestiale qui, pour Crippling Alcoholism seulement par contre, survole en fumet douteux les réverbérations froides des guitares et les lasers congelés sodomites des synthés.

Un bien drôle de groupe car rien ne s'arrête au chant ou aux textes, donc, les guitares et la basse-batterie ont aussi leur lot d'étrangeté, que ce soit dans les sons utilisés ou les arrangements en eux-mêmes. Et je ne reparlerai pas des synthés.

 

Bon, d'accord. Oui il y a des synthés. Beaucoup. Beaucoup moins envahissants que sur le suivant With Love From A Padded Room, chroniqué ici-même à la maison par le tueur de Duke, mais y'a beaucoup de synthé. Souvent considéré comme l'ennemi du Rock – l'utilisation mesurée de Moogs ou de claviers analogiques restait acceptable chez moi – ça ne m'a jamais empêché de le supporter dans d'autres scènes, ou d'autres groupes comme Depeche Mode à qui je n'ai jamais cessé de porter un grand amour. Donc je pourrais les supporter, n'est-ce pas ? Ben j'ai vraiment du mal dans les musiques qui chient, je trouve qu'ils ne s’intègrent pas bien. Souvent. Dans l'album éponyme de Today Is The Day, ça passe super bien par exemple. Mais... sinon...
Mais bon il ne faut pas s'arrêter à ça finalement, ce n'est qu'un outil pour faire passer des idées, des sensations et des sentiments, n's'pas ?

 

Et Crippling Alcoholism, c'est beaucoup de sentiments. C'est beaucoup de ressentiments, surtout, ahah. « Anger was my favorite feeling » chante-il sur ''Sandpaper'' après avoir marmonné « I need somebody to fuck from behind when I'm drunk ». ''Sandpaper'' pour me contrarier est dominé par des claviers Nightmare-Pop avant une catastrophe Noise-Indus pimenté à tout le glauquasse des deux premiers Korn, et se termine dans une outro d'arpèges de guitare éthérés. Un peu tout le groupe résumé en un titre.
Mais il y a mieux. Il y a des tubes. ''Group Home'', c'est indiscutable, en fait partie, malgré ses dérapages écrasants entre Swans et Daughters dernier millésime.

Le morceau suivant, la batterie démontre qu'elle pourrait être droit sortie d'un groupe Math-Core pour proposer une sorte de pseudo Trip-Hop dégénéré, tandis qu'au chant, on passe de quelque chose à la Mark Lanegan dernière (R.I.P.) époque New-Wave/Cold Wave à... Mike Patton. Incroyable variété de voix offerte par un chanteur de son propre aveu guère expérimenté, voire pas chanteur du tout (c'est parfois les meilleurs, ahah!). De 2:55 à 3:19 nous aurons même un petit morceau-dans-le-morceau qui se dandine et se trémousse de façon over-the-tubesque ! Option Goth.

Drôle de groupe, oui, assurément.
C'est pas le début – entre le Spazzcore et Mr. Bungle – de ''Your Body As A Gulag'' qui va me contredire. Le groupe disperse de-ci de-là et partout des plans impromptus empruntant à tout et n'importe quoi, de la Synth Wave à la Noise, et parle d'entendre des voix dans la télé et de voir des visages dans les murs. Et les voix disent « Get a gun kill them, get a gun kill them all ». Pfiou... toute la jeunesse américaine qui se flingue elle-même, illustrée dans ce morceau schizo qui va jusqu'à nous infliger des mélodies de variétoche.

Variétoche, variétoche, et même Chanteur pour Dames lorsque résonne cette terrible phrase dans ''Beloved'' : « You don't have to live if you don't want to live ». Avant de chanter son reflet : « You don't have to die if you don't want to die ». Ou King Dude devenu complètement fou, j'y reviens et eux aussi, plusieurs fois...

Picorez, piochez si vous n'osez pas vous y plonger entièrement dès le début, mais écoutez attentivement et avec tout votre cœur car il y en a des choses à découvrir ! Et puis, il ne s'agit que de musique après tout, ça ne peut pas vraiment vous faire du mal, non ? Euh, quoique... Nan, rien, on en parlera une autre fois peut-être.

Enfin, on aura bien des difficultés à remettre en doute leur honnêteté quand ils nous apportent ainsi leur tripes sur un plateau : ''Trash Bride'' où l'émotion déborde littéralement lors de la prière déchirante répétée jusqu'aux quasi-sanglots « I hope he kills you / I hope he hurts you / In every way / Every terrifying way », terrifiante en effet. Ce qu'il dit est atroce, mais il a l'air de vraiment y croire, nom d'un bousin !

Tout ça est peut-être parfois un peu jeune (les structures des morceaux sont tantôt pliées en deux et décalquées « hop on répète tout le passage et on rajoute une petite fin », mais c'est plus évident encore sur leur deuxième album moins apprécié par votre obligé, pour l’instant), too much (non, jamais, ou si peu, ahah!), trop improbables ou ce que tu veux. On s'en fout car on trouve ici une vraie personnalité, un propos, une musicalité pointue, acérée, même, avec un paquet de belles idées.

 

Crippling Alcoholism. Alcoolisme handicapant. Drôle de nom. Drôle de notion. Bien floue.
Ça viendrait de l'expérience personnelle du chanteur aujourd'hui abstinent et... d'un reddit (hein !?) consacré à une sorte d'alcoolisme spécifique, le crippling alcoholism donc, c'est à dire quand tout te réussit, que tu as une vie palpitante, pleine de succès mais... que t'es un putain d'alcoolo. Et sans surprise ça va se sentir salement et se payer cher, à un moment ou à un autre. Connaissais pas. Connaissais « l'alcoolisme mondain », mais c'est pas tout à fait ça, même si ça doit bien commencer par là.
Peuh ! Paroles, parlottes, tu parles, je ne connais qu'un seul alcoolisme et il dévore tout.

« In every way, every terrifying way ».

Ouais.

photo de El Gep
le 06/05/2025

5 COMMENTAIRES

Thedukilla

Thedukilla le 06/05/2025 à 08:19:41

Incroyable album, dans tous les sens du terme. Effectivement pas mal de King Dude là-dedans, bien vu !
Après c’est un peu comme assister à la naissance d’une brebis à six pattes : c’est clairement un moment exceptionnel, mais je ferais peut être pas ça tous les jeudi soir.

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 06/05/2025 à 17:35:07

Je préfère STRESS TEST, perso.

el gep

el gep le 06/05/2025 à 21:51:11

L'un n'enguêche pas l'autre, je muppose !

J'éfouterais pien le Ftress Pest zela bite !

Aldorus Berthier

Aldorus Berthier le 10/05/2025 à 01:16:43

Mmmh un bonbon à lire autant qu'à écouter.
Ouais j'suis la Suisse ; j'fkiffe ta chro mais j'aimerais pas non plus qu'elle fasse de l'ombre à Crippliing Alcoholism...

el gep

el gep le 11/05/2025 à 00:39:33

Merci Aldo, j'aime les bonbons !
Tu peux pas faire de l'ombre à Crippling, ils sont l'ombre, ahah !

AJOUTER UN COMMENTAIRE

anonyme


évènements

  • Seisach' 6 les 17 et 18 octobre 2025
  • ULTHA au Glazart à Paris le 27 juin 2025

HASARDandCO

TOP albums 2013
dossier

TOP albums 2013

Le 30/01/2014

Periphery - Periphery