Death - Scream Bloody Gore

Chronique CD album (37:54)

chronique Death - Scream Bloody Gore

Pour un chroniqueur metal passionné par la scène extrême, s’attaquer à la discographie de Death, c’est un peu comme aborder la filmographie de Kubrick pour un critique de cinéma, ou rédiger la biographie de Steevy pour un sociologue du néant télévisuel: c’est à la fois un pèlerinage effectué avec recueillement et ferveur, un challenge comparable à l’ascension de l’Annapurna à cloche-pied, et la sensation assurée d’un vertige grisant (dans le cas de la bio de l’autre endive, c’est surtout à mettre sur le compte du manque d’oxygène qu’on subit à ces hauteurs …). Mais quel plaisir! A dire vrai c’est pour ce genre d’exercice que l’on en vient à prendre la plume. C’est pour le bonheur de se replonger avec application et délectation dans l'écoute de classiques qui ont vu grandir notre passion, bien plus que pour ces « privilèges » consistant à recevoir gratuitement les promos de Infectious Conjonctivite ou à écouter 3 jours avant le reste du monde le dernier Cradle of Borgir.

 

Mais qui dit Death dit cours de rattrapage obligatoire pour les plus jeunes. C’est donc à Orlando, Floride, que Chuck Schuldiner – retiens bien ce nom petit scarabée – forme Mantas avec 2 amis, Rick Rozz et Kam Lee. Et si la légende dit vrai, il s’en est fallu de peu que l’on soit amateurs de mantas metal plutôt que de death metal, le groupe ayant plus que sa part dans la paternité du nom de cette musique si douce à nos oreilles putréfiées. Contre vents, marées et changements de line-up incessants (rien qu’avant la sortie de ce 1eralbum, Chuck s’est entouré puis séparé de membres de Massacre, Repulsion, Genocide, D.R.I. et Autopsy), Death va sortir toute une série de démos (« Death By Metal », « Infernal Death » et « Mutilation » étant sans doute les plus connues), et finalement réussir, après 2 séances d’enregistrement successives, à accoucher de « Scream Bloody Gore », que beaucoup considèrent comme le véritable coup d’envoi du mouvement death metal – alors que Possessed sévissait pourtant déjà à l’époque. Pour l’anecdote, seuls Chris Reifert (à la batterie) et Chuck (guitare, basse, chant) ont participé à l’enregistrement de l'album,  John Hand –  dont la photo figure dans le livret – n’ayant en fait jamais enregistré la moindre note avec le groupe.

 

Pour les âmes sensibles qui ont découvert Death à partir de « Human » et qui ne conçoivent le death metal que sous forme d’une dentelle fragile de plans expertement imbriqués et de mélodies délicatement agencées, il est probable que l’écoute de « Scream Bloody Gore » va être un véritable choc. C’est qu’à l’époque, Chuck mange zombie, éructe zombie et joue zombie, donc la finesse... D'ailleurs la prod’ de l’album est au diapason, à l’image de la pochette de Ed Repka: old school, poussiéreuse et ayant tendance à saturer dans les aigus (sur ce dernier point j’avoue avoir du mal à continuer le parallèle avec la cover, qui ma foi n’a pas l’air trop chargée en ultra-violets). On lui reconnaîtra par contre – fait rare pour une prod' aussi crue – de laisser une place de choix à la basse. Bref en cette année 1987, Chuck a la rage, tape dur et fort, et son riffing est sauvage et sans fioritures excessives. Du côté de la batterie, le futur Autopsy Chris Reifert s’emballe régulièrement tel un cheval fou à qui on aurait lâché la bride; on s'attend d’ailleurs à tout moment à le voir commettre un faux pas. Prenez « Mutilation » par exemple: de la pure agression primale, de l’efficacité punk cradingue, de l'énergie presque binaire restituée vite et fort… Pas besoin de s’essuyer les pieds avant d’entrer! « Evil Dead » dites-vous? En effet, hormis une intro ambiancée et une deuxième moitié de morceau chaudement habillée d’un long solo, on nage en pleine bestiale simplicité.

 

Sauf que dès ce premier cri, le père Chuck ne peut se contenter de singer le punk, le coreux ou le thrasheur teuton. C’est clairement inscrit dans ses gènes: chez lui, il faut que la mélodie accompagne même le plus sauvage des bourrinages, il faut que les soli soit tranchants, il faut que les refrains s’incrustent profondément dans la tête de ses victimes. Et de ce raffinement dans la brutalité, Chuck va faire une marque de fabrique, en même temps qu’une formule gagnante. D’autant qu’à bien y regarder, les morceaux vraiment basiques ne sont pas franchement légion sur cet album. En effet le jeune compositeur qu’il est alors fait déjà preuve de finesse dans la construction des titres, les compositions regorgeant de montées en puissance allant crescendo, de breaks jubilatoires et d’assemblages de parties contrastées se mettant en valeur les unes les autres. Partir dans l’exercice du track by track serait assez indigeste, même s’il y aurait à dire sur chaque titre tant l’album n’est qu’une succession de tubes – parmi lesquels « Denial of Life », « Sacrificial » et « Regurgitated Guts » sont sans doute les moins mémorables (oui, je sais … Mais il est plus rapide de pointer du doigt les "faiblesse" que les qualités sur un tel album …). Néanmoins on se doit d’avertir l’auditeur potentiel qu’écouter « Scream Bloody Gore », c’est aller de passages légendaires en riffs cultes, du début pesant de « Infernal Death » aux twin guitares orientalisantes ouvrant « Zombie Ritual », du refrain de « Mutilation » à celui plus lourd de la fesse de « Baptized in Blood », en passant par l’hyper catchy – voire quasiment groovy – « Torn To Pieces ». Quant à l’éponyme « Scream Bloody Gore », placé en fin de course comme pour donner un avant-goût de ce qui viendra par la suite, on y retrouve déjà le Death qui nous ravira quelques années plus tard: en plus de la dynamique brillante qui voit cheminer le morceau de transitions fines en pics exaltants, on retrouve sur la dernière ligne droite, vers la marque des 3 minutes, une construction plus progressive, plus luisante des chromes, plus chirurgicale … que dissipe un retour à la barbarie final avouons-le fort à propos!

 

Ayant découvert l’album en même temps que son successeur « Leprosy », j’en gardais le souvenir d’un brouillon un peu rustaud, un peu mal dégrossi, d’une galette qui envoie du gras mais qui se vautre un peu trop excessivement dans la fange … Taratata: « Scream Bloody Gore » c’est déjà du grand Death, certes dans une version relativement crue et haineuse et avec de grosses auréoles sous les bras, mais quand même subtile dans la sauvagerie, et précis dans l’éviscération. Ainsi, en plus d’être le bloc de pierre taillée (l’âge de la pierre polie viendra plus tard) servant de fondations à toute une scène ayant fait de l’agression sonore son cheval de bataille, cet album recèle des qualités qui, par la suite, élèveront le groupe au rang de totem, de mètre étalon de l’alliance ultime entre puissance, violence et raffinement. « Scream Bloody Gore » est définitivement de ces œuvres sur lesquelles la poussière n’est pas prête de s’accumuler, 38 minutes d’Histoire Musicale à écouter avec respect autant que jubilation.

 

PS:  je vous recommande – si ce n'est déjà fait – d'acquérir le retirage sorti en 1999 par Century Media, sur lequel figurent les titres « Beyond the Unholy Grave » et « Land of No Return » – initialement écartés de la tracklist de l’album (c’est vrai qu'ils sont moins exceptionnels que leurs 10 prédécesseurs)  – ainsi que les versions live de 2 titres de « Leprosy »: « Open Casket » et « Choke On It ».

photo de Cglaume
le 03/10/2010

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