Enslaved - E

Chronique CD album (49:45)

chronique Enslaved - E

Même si In Times était un bon album, il faut admettre qu'il a été une déception. En même temps, passer après le monumental RIITIIR (2012) n'était pas chose aisée et en cela, on peut remercier Enslaved de ne pas être tombé dans le piège de nous en faire une resucée similaire tentant de surpasser ce dernier : il représente en effet comme un aboutissement dans la carrière des Norvégiens dans son virage d'amener son black metal originellement brut vers des contrées progressives où toutes ses différentes facettes étaient parfaitement équilibrées. En revanche, si ce n'est nullement une question de qualité qui était bel et bien là – et bien au-dessus du lot de nombres formations officiant dans un style équivalent – c'est surtout dans son côté « trois pas en arrière » qu'In Times pouvait décevoir dans la discographie d'un groupe aussi novateur et audacieux comme Enslaved, laissant comme un arrière-goût désagréable de fainéantise. Voilà où j'avais laissé les Norvégiens il y a deux ans.

 

Peut-être se sont-ils rendus compte d'une certaine forme d'essoufflement dans le sens où les Scandinaves ont parlé eux-mêmes parler de « révolution, une entrée dans une nouvelle ère » en décrivant leur quatorzième album fraîchement sorti et sobrement intitulé E. Oui, à l'image de la Danoise Myrkur qui avait fait son entrée avec un simple M, signe annonciateur qu'il s'agirait comme d'une remise à zéro après vingt-cinq ans de bons et loyaux services à métamorphoser un black metal viking et païen plutôt classique vers une entité progressive bourrée de nuances et de sensibilité, toute personnelle. On pensera également à leurs voisins de pays et de style, Opeth, qui ont comme un semblant d'approche similaire, quand bien même les Suédois partaient d'une base death et qui ont, eux aussi, fait assez radicalement peau neuve depuis quelques années avec Heritage (2011).

 

Si, en terme de line-up, on y trouve de la nouveauté avec le remplacement du claviériste et voix claire Herbrand Larsen par Hakon Vinje, on ne peut pas dire que ce soit le cas musicalement parlant avec la longue pièce d'ouverture de plus de dix minutes, « Storm Son ». Au contraire, on se retrouve ici en terrain complètement connu, oscillant entre mysticisme et entrée en scène de riffs épiques typiquement black viking, le registre clair alternant avec les grunts plus agressifs. Ça s'étire et ça progresse bien comme on ne le connaît que trop bien chez le combo norvégien. Bien que l'entrée en scène permet illico d'être rassuré sur la légitimité de son nouveau venu qui représente, en plus du rôle de simple pianoteur, la nouvelle voix claire, on en vient vite à se demander si Enslaved n'aurait pas eu toute sa place au sein de notre politique hexagonale tant il semble maîtriser la démagogie – « le changement, c'est maintenant ! » – qui vend du rêve pour vite retomber comme un flamby dès lors que le concret pointe le bout de son nez.

 

Par chance, dès son second titre, le single « The River's Mouth » hyper épuré et formaté en terme de durée, on commence un peu par percevoir où Enslaved veut en venir. Pourtant, il reprend les codes qu'on lui connaît en grande majorité (lourdeur/dualité scream et voix clair...) dans son fond tout en lui ajoutant de la nuance dans sa forme. Outre un côté groovy et format plus accessible faisant qu'on en vienne un peu à penser à un Mastodon, c'est surtout ce refrain cosmique, très Fear Factory sur les bords, avec ce chant à la Burton C. Bell qui interpelle le plus. Nouvelle composante amenée par le nouveau venu de la bande que l'on retrouvera à plusieurs reprises sur la suite de E (« Feathers Of Eolh » tout particulièrement). De la même manière qu'un « Sacred Horse » nous présente l'incursion d'orgue hammond et « Hiindsiight » se revêtit avec son saxo d'une aura très « King Crimson s'il se serait décidé à faire du black viking », ce qui n'est pas sans rappeler le virage stylistique d'Opeth.

 

C'est d'ailleurs la principale comparaison qui me vient en tête pour décrire E. Il s'agit pour Enslaved de son équivalent de Heritage si Opeth aurait décidé de nuancer sa mutation. C'est d'ailleurs peut-être ce qui pourrait perdre à ce nouvel album des Norvégiens : ils nous montrent là davantage une amorce, une petite transition extrêmement bâtarde. E n'enfonce pas assez le clou dans son changement afin de rallier un nouveau public à sa cause, de la même manière qu'il nuance assez son propos pour qu'il se montre désagréable auprès d'une certaine frange de son public. Car même s'il conserve ses racines black et un peu d'épique dans son répertoire, Enslaved enfonce quand même pas mal la pédale douce afin de partir vers des sphères plus accessibles comme en témoignent les riffs les plus agressifs aussi typiques qu'immédiats, presque rock dans l'esprit. Et à n'en point douter, les plus conservateurs s'intéressant davantage à son visage black et agressif ne lui pardonneront pas. Et dans le même temps, ce nouvel album garde cette volonté de partir vers des chemins plus spirituels et atmosphériques qu'In Times, deux ans auparavant, avait tenté de faire assez maladroitement. De manière plus convaincante cette fois-ci, s'enrichissant d'une aura plus cosmique avec une portée assez shamanique. Et même si l'aspect guerrier est toujours de mise à renvoyer la balle dans la dualité de la musique des Scandinaves, ce n'est plus ce dernier qui prédomine. Et c'est surtout cette facette s'inscrivant dans la sagesse spirituelle, presque ritualiste, qui retient l'attention de l'auditeur et l'émeut comme le prouve le triptyque de fin « Axis Of The Worlds » / « Feathers Of Eolh » / « Hiindsiight ».

 

Encore une fois, il y a fort à parier que E divisera les foules. A mon sens, il s'en tire bien mieux que son prédécesseur, sonnant moins comme un retour en arrière mais plutôt comme un placement sur de nouveaux rails. Voie ferrée partant vers des contrées intéressantes vers la quête d'une nouvelle personnalité. Malheureusement, les Norvégiens posent tellement de demi-mesures dans sa mutation qu'il perd beaucoup en audace artistique. Après, comprenez-bien, le jugement peut sembler sévère – et complètement subjectif – et nul doute qu'un tel album n'aurait pas été estampillé Enslaved, il aurait été pleinement applaudi et tiré vers une plus haute note. Mais au vu de ses géniteurs, il laisse un peu cet arrière-goût étrange de « trop peu » entremêlé à « trop de chichis à mettre des étapes là où il aurait pu se permettre de les sauter ».

photo de Margoth
le 15/12/2017

6 COMMENTAIRES

Xuaterc

Xuaterc le 15/12/2017 à 16:31:48

Mon intérêt pour Enslaved a décliné progressivement après Madraum. Avec les deux EP Sleeping Gods / Thorn qui montraient que le groupe était capable de sortir de leur petites habitudes.
E relève fièrement le niveau à mon goût. J'avoue que le solo d'orgue Hammond sur "Sacred Horse" m'a fait craquer.
Un bon 7.5/10

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 15/12/2017 à 21:33:55

Un viking (avec une minuscule oui, c'est juste un métier comme un autre) qui mue est un simple paysan. J'ai lâché la charrue depuis Axioma...

Xuaterc

Xuaterc le 15/12/2017 à 21:57:40

En tout cas, vivement la suite, s'ils décident de pousser plus loin....

Margoth

Margoth le 15/12/2017 à 22:25:10

Paysan n'est pas un sous-métier Cromy. Mais tu devrais y jeter une oreille si tu as le temps, même s'ils n'ont pas poussé le bouchon assez loin à mon sens, cet album change quand même pas mal du Enslaved que tu as fini par lâcher.

Mais oui, Xuxu, j'attends aussi beaucoup de voir la suite : malgré mes reproches sur le côté "trop de chichis", ils commencent à explorer une voie que je trouve intéressante et qui me parle beaucoup également. Et s'ils poussent dans ce sens de la bonne manière, ça pourrait devenir énorme !

gulo gulo

gulo gulo le 16/12/2017 à 10:29:18

Un de mes préférés, avec Mardraum et Riitiir, rien de moins.

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 16/12/2017 à 12:40:29

J'ai pas dit que paysan était un job méprisable (à part ceux qui font du bio car franchement, c'est tout de même de sacrés enfoirés) juste que niveau style y'a bien longtemps qu' Enslaved est rentré au port. Je suis contre les progressistes de toute façon (quoique le titre en écoute ne soit pas dégueu...)

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