Kekal - Multilateral

Chronique CD album (1:01:39)

chronique Kekal - Multilateral

Une fois n’est pas coutume (… les choses ont changé depuis l’arrivée sur ce webzine de la personne dont il sera question plus loin dans cette phrase), pour vous causer de l’avant-dernier album de Kekal je m'en retourne aujourd'hui en des terres musicales depuis longtemps abandonnées à l’expertise de mon collègue Xuaterc. C’est donc en mode cosplay, muni d’un monocle, d’un fume-cigarette et d’un verre de Martini-RedBull (ça c’est son pour côté punk) que je vais essayer de vous communiquer l’enthousiasme qu’a provoqué en moi la découverte de Multilateral, petite merveille d’Avant-Garde Metal réunissant en son lit non pas les cheveux longs-les cheveux gris – si vous êtes amateurs de pédophilie orientez-vous plutôt vers les cours de catéchisme de Monseigneur Blenno – mais un Black Metal brumeux, une Electro à large spectre, un Metal Prog planant et des ambiances SF sorties de la hotte de Voivod. Un mélange dont on se serait attendu qu’il mette le Xuxu en émoi... Mais il n’en est rien, les voies du Vangardeux étant impénétrables – ce qui ne nous empêchera pas de nous introduire dans son jardin secret pour vous causer de la pépite du jour.

 

Maintenant que le robinet à salive a dû commencer à goutter du côté de vos commissures, faisons durer intelligemment le plaisir en prenant la tangente du paragraphe biographique, le parcours des Indonésiens dont il est ici question étant suffisamment atypique pour continuer d'alimenter l’écoulement buccal évoqué quelques caractères plus haut. En effet cela fait 22 ans que Kekal est actif au sein d’une scène peu connue pour l’abondance des groupes à grande carrière internationale qu’elle a produit. Ce n’est donc pas l’espoir d’un jour effectuer une tournée des stades en compagnie de Metallica qui a poussé nos amis à sortir 11 albums et de multiples formats alternatifs, mais bien la passion pure et (presque) inaltérée. « Pure », parce que loin des illusions des petits jeunes qui, au-delà de leur amour pour la musique, gardent dans un coin de caboche que tout le raffut qu’ils font pourrait bien un jour leur amener des culottes humides dans les coulisses et des biftons en liasse dans les popoches, le groupe de Djakarta a toujours gardé les pieds sur terre et une éthique DIY, réalisant tout le taff tout seul et balançant son anarchisme dur à la face du business – la plupart de ses albums étant publiés en licence Creative Commons, les labels n’ayant au mieux qu’une licence pour la distribution. « Presque inaltérée », parce que c'est vrai: tous les musiciens ont officiellement quitté le line-up en 2009. Sauf que le groupe continue à avoir une activité studio, même sans membre permanent, ces derniers participant dorénavant à l'aventure en tant que « contributeurs externes ». Bizarre, oui. Mais c’est exactement dans le cadre de ce genre de démarche décalée que peuvent naître des œuvres aussi belles et expérimentales qu’un album comme Multilateral.

 

Pour délimiter le périmètre stylistique de Multilateral, piochons parmi les références officielles indiquées par le groupe: Björk, Celtic Frost, Depeche Mode, Discharge, Godflesh, Killing Joke, King Crimson, Massive Attack, Merzbow, Napalm Death, Paradise Lost, Radiohead, Sonic Youth, TroubleVoivod... Et il ne s’agit que de morceaux choisis! Mais ceux-ci permettent de se figurer grosso modo comment ces zoziaux sont câblés. A présent, si l'on passe l’heure que dure l’album au filtre auriculaire du lapin jaune, la liste des noms qui jaillit redevient un peu plus focalisée: Voivod, Nocturnus, Shaolin Death Squad, Menace, Voivod, Diabolos Rising, Sigh, Solefald, Voivod, Sleepytime Gorilla Museum, Celtic Frost, le Belial de l’album 3, et Voivod. C’est en effet l’influence de ces derniers qui ressort ici le plus fortement. Le démarrage de « Neutrality » en est un exemple flagrant (si l’on excepte les quelques bidibips et les blasteries BM), tout comme le hit de l’album, « Dividend in Division », qui entubifie le répertoire de Messieurs Snake et Away d’une dimension Electro-Indus super accrocheuse. Mais cette prépondérance québécoise ne phagocyte en rien la personnalité des Indonésiens, leur musique flottant en effet en apesanteur loin de tout ancrage stylistique prédéterminé. Ainsi, en blind test, « Token Discontentment » fera croire à une escapade SF de Sigh, le très expérimental « By Means of Survival » (qui sort la thérémine, les bruitages noisy et des nappes planantes) suggérera qu’on a atteint l’heure de fermeture d’un club goth fétichiste berlinois, le morceau-titre nous laissera dériver dans le flot indolent d’une mer onirique, tandis que « Crossroads » abandonnera BM martial et Prog planant dégingandé au bon vouloir d’un chant féminin "Kawaï" à la limite de l’irritant... D'autant qu’il est épaulé d’un chant robotico-vocodé! D’ailleurs, puisqu’on cause chant, notez que le micro est principalement accaparé par un spatio-dandy à la tonalité rêveuse assez fortement nasale. Ça passe très bien dans le contexte, mais si vous espériez vous faire poncer les feuilles au shriek râpeux, c’est raté!

 

Le coup de cœur qui a rapidement suivi ma découverte de cet album ne me rend pas aveugle pour autant. Oui, le début d’album est plus consistant et accrocheur que la « face B ». Oui, la musique de ce groupe sans membre est très synthétique (cf. la « batterie »), et on atteint parfois les limites de l’exercice. Oui, les morceaux les plus expérimentaux (« Heyday (unlike today) » surtout, et dans une moindre mesure « By Means of Survival ») et les parties les plus lounge (« Multilateral », « Metropolis Noire ») en perdront certains en route. Mais l’expérience est globalement passionnante, y compris au-delà du trio gagnant qui démarre l’album. Car même au plus fort de la froideur robotique (sur les 2 derniers morceaux par exemple), Kekal sait dénicher les lignes de chant justes et déployer suffisamment ses ailes pour créer des œuvres fortes, poignantes. Et puis ce n’est pas tous les jours qu’on croise un groupe fort d'une personnalité à la fois aussi singulière et aussi cohérente. Alors n’écoutez pas Xuxu qui vous dira que, non, décidément il y a ici quelque-chose qui ne passe pas, et emboitez le pas du lapin jaune pour tenter une expérience nouvelle et hautement gratifiante. Car c’est pour ce genre de frissons singuliers qu’on continue à défrichez les terres inconnues du Metal non conventionnel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte: un groupe sans membre actif qui sort une heure d’Avant-Garde Metal miraculeuse mélangeant Black Metal, Electro, Prog planant et ambiances SF, entre Voivod, Sigh, Diabolos Rising, le Belial de 3 et que sais-je encore… Xuaterc en a rêvé, Kekal l’a fait!

 

 

photo de Cglaume
le 05/09/2018

2 COMMENTAIRES

Xuaterc

Xuaterc le 05/09/2018 à 13:07:47

En cliquant sur le lien pour lire la chronique, j'étais sûr que j'allais me faire diffamer... Je ne bois pas de RedBull et j'ai fait une overdose de Martini pendant mon premier séjour en Norvège.
Effectivement, ça fait un paquet d'années que je suis le "groupe" mais je n'ai jamais réussi à accrocher, malgré des tentatives à chaque sortie. La faute surtout je pense à un son trop synthétique, et un manque de constance. Il y a des bons titres sur cet album, c'est certain, mais la prod gâche tout malheureusement. Mais je ne perds pas espoir

cglaume

cglaume le 05/09/2018 à 13:40:13

Diffamer... Tout de suite les grands mots :D

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