Korn - The Nothing

Chronique CD album (44:11)

chronique Korn - The Nothing

Slipknot vient de sortir un nouvel album. Korn s'apprête à sortir un nouvel album. Les trentenaires issus de la génération neo pourront en être tout émoustillés. Les plus jeunes aussi tant Slipknot parvient étonnamment à y faire des émules encore aujourd'hui. Il suffit juste de voir les jeunes cons du 18-25 sur les réseaux sociaux qui crachent sur Yann Barthès de préférer inviter cette vieille peau d'Alice Cooper plutôt que Corey Taylor dont l'album se hisse pourtant dans les tops des ventes françaises. Ou alors d'avoir traîner une oreille au camping du Hellfest dans la nuit du jeudi au vendredi où l'on pouvait entendre des jeunes ivrognes encore émoustillés de la tête d'affiche et instigateurs du Knotfest. Tandis que Korn... Bah, ils ont leur statut doré de pionnier, ce qui ne veut pas forcément dire que cela leur donne le crédit de l'engouement à la sortie d'une nouvelle plaque. Allez, ils ont bien réussi à recueillir quelques vibes ponctuelles de la part des jeunes pousses avec les singles de The Path Of Totality, album à part expérimentant la dub kornesque. Et c'est plus ou moins tout. En même temps, le gang de Baskerfield s'est foutu une part des vieux fans à dos avec Untouchables – pourtant excellent (mais bon, y a de la pop, c'est des vendus) – une autre partie s'est volatilisée avec Head tandis que d'autres ont définitivement grondé contre Untitled, poussant le bouchon du synthétique un peu trop loin à leur goût. Ce qui n'empêche pas quelques indécrottables dont je fais partie d'avoir toujours été là, de continuer à suivre sans faire trop de vagues. On a serré les dents avec Korn III, première promesse de retour aux sources complètement loupée qui pue davantage l'appât du gain qu'une véritable sincérité artistique. Puis, nous avons eu le fameux spin-off The Path Of Totality qui aura autant attaqué les gencives que soulagé sur le fait que le groupe voulait passer à autre chose que le réchauffé sans saveur des fondations de 1994. S'ensuivent trois soupirs de soulagement : le retour tonitruant de Head et deux albums sympathiques qui proposent deux visions de cette promesse de retour aux sources autrement plus convaincantes sans non plus qu'ils n'atteignent des sommets. Alors, certes, tout n'est pas rose dans The Paradigm Shift et dans The Serenity Of Suffering. Le premier a le bon goût de proposer une bonne formule synthétisant du vieux Korn avec certaines frasques expérimentales opérées en l'absence de son guitariste fondateur parti jouer les culs bénis malheureusement obscurcie par un cruel manque de mordant et d'efficacité. The Serenity Of Suffering, lui, marquait un retour en force d'un Jonathan Davis bourré de verve et d'aplomb et d'une production massive qui déboulonnait bien comme il faut les conduits auditifs. Ce qui ne l'exempt pas qu'hormis deux ou trois ogives bien senties, il y a comme un quelque chose de planplan en terme de compositions. Je me permets de revenir là-dessus car c'est un point où nos avis divergent avec Tookie qui a signé les chroniques de ces derniers albums et que ça aura un brin d'importance pour la suite.

 

Beaucoup n'ont sans doute rien vu venir avec The Nothing. Personnellement, j'ai cru voir passer une news l'année dernière qui relayait la mort de la femme de Davis. A partir de là, j'ai plus ou moins su que le prochain album allait être comme une sorte de quitte ou double. Soit il n'aillait rien donner, soit il allait au contraire se montrer assez monstrueux. Parce qu'on le sait : c'est dans la tourmente que Jonathan Davis est capable du meilleur, ce que les fans apprécient. Tandis que les détracteurs auront de quoi évacuer une fois encore leur venin qu'il en fera de trop, à chialer comme une fillette et à se lamenter. Sauf qu'il y a chialer comme sur la fin de Korn III, grand moment de gênance trop téléphonée et « on refait la même que sur le premier album » pour être honnête. Et il y a chialer comme sur « The End Begins » qui ouvre les hostilités de The Nothing, où l'on sent que ça sort des tripes et au vu du contexte de deuil, on le conçoit amplement. Un côté Mimi Geignarde qui met comme un coup de poignant dès les premières minutes et qui enfonce le clou d'avoir nos cœurs nostalgiques qui se serrent à cette intro en cornemuse fortement teintée de celle d'Issues dans l'esprit. Sauf que là, il ne s'agit pas de la resucée sans âme comme on l'a eu dans Korn III, ça tient la route. Puis vient « Cold », premier morceau promotionnel vitrine, véritable spirale qui aspire l'auditeur vers une sorte de relent là encore fortement teinté d'Issues qui aurait bouffé comme un petit « Twist » dans les gimmicks vocaux d'introduction, avec ce qu'il faut dans les subtilités et les encornures, notamment via une production alliant organique et froideur synthétique moderne (qui fait d'ailleurs la part belle aux fûts de Ray Luzier tout bonnement impressionnant), pour ne pas sonner trop daté et passéiste. Voilà qui résume The Nothing quand on y pense au final : il a beau traiter du néant, il montre musicalement parlant que la vie est un éternel recommencement. The Nothing n'est pas une révolution, ni même une évolution comme a pu l'être Untitled en son temps. Korn fait ici du Korn avec sa lourdeur sous-accordée et sa basse claquante, ne montre rien de foncièrement nouveau par rapport à tout ce qu'il a pu développer au cours de sa féconde discographie. En revanche, là où il peut être chaleureusement applaudi et se montrera monstrueux et sidérant, c'est qu'il livre là un beau cadeau pour les fans. De promesse de retour aux sources, il n'en aura jamais été autant question. The Nothing reprend d'ailleurs bien plus à ce niveau de The Paradigm Shift qu'à The Serenity Of Suffering, dont on retiendra juste ce prolongement d'état de grâce de performance de Davis, plus remonté que jamais. Ce qui efface sans peine ce manque de mordant qu'il pouvait y avoir dans The Paradigm Shift. Malgré tout, The Nothing, en plus de se permettre de gommer les défauts de la monture de 2013, peut également se targuer d'aller plus loin dans son délire d'aller puiser du vieux pour en faire du neuf.

 

Parce que c'est de ça dont il est question dans The Nothing : regarder dans le rétro, prendre un peu de-ci et de-là diverses petites choses (dans un langage geek, le terme « fan-service » s'accorderait d'ailleurs très bien ici) et de les régurgiter en leur foutant un sacré coup de polish. Korn a beau être plus neo que jamais, mouvement pourtant passé de mode depuis des lustres et indubitablement ringard aujourd'hui, jamais le neo n'a sonné aussi actuel, pouvant presque avoir la prétention de s'affirmer aux côtés des nouveaux phénomènes de mode qui ont le vent en poupe, le tout en étant scrupuleusement raccord avec la base de son identité. Impensable... Il n'y a qu'à entendre les hurlements d'avant-break de « H@rd3r » : pris indépendamment, ça n'aurait clairement pas fait tache dans un groupe machincore calibré US qui émoustille les adulescents aujourd'hui. Mais là où la manœuvre peut le plus impressionner, c'est lorsque ça va lorgner vers Follow The Leader, l'un des classiques qui morfle le plus en terme de vieillissement, sans jamais qu'on aille trouver ça inopportun ou ringard. On retrouve le côté vocal tendance hip-hop sautillant dans « H@rd3r », les rythmiques qui ne le sont pas moins avec les étranges modulations de voix dont seul Davis est capable et a le secret dans « The Ringmaster », la petite outro hip hop dans l'esprit de « You'll Never Find Me » . Tandis que le pétage de câble de cette dernière rappellera un peu « Ball Tongue » du premier éponyme. Dont l'ombre plane quelque peu également sur The Nothing qui représente également un exutoire. Pas forcément sur ses éléments empruntés mais plutôt pour son esprit global tant Davis a l'air d'en avoir aussi gros sur la patate qu'en 1994. Avec bien plus de maturité, à la manière des derniers Marilyn Manson. Korn était le cri du cœur d'un adolescent, The Nothing celui d'un homme, ce qui fait toute la différence et ne fait qu'ajouter plus de pertinence. Un homme qui n'en oublie pas pour autant sa jeunesse en se posant dans un monologue tragico-théâtral, tel un martyr en plein cœur de « This Loss », ce qui ne manque de surprendre un peu par la démesure de la manœuvre. Dramaturgie néanmoins efficace.

 

Histoire de boucler la boucle de la synthèse, la composante pop typée Untouchables est également de la partie. En cela, un « Gravity Of Discumfort » aurait très bien s'intégrer à cette monture controversée de 2002 : arrangements mélodiques aux petits oignons, refrain bien senti aux voix doublées, subtilement appuyés de chœurs aussi discrets qu'ils apportent profondeur et intensité. Mais là encore, l'ombre d'Untouchables plane aussi quelque peu sur l'ensemble, amenant au passage ce qui peut être à la fois une force et une faiblesse : une très grande homogénéité. Il n'y a finalement pas grand-chose à en ressortir de particulier. De la même manière qu'il n'y a rien à en jeter non plus. Chaque titre, même les plus transitoires comme « The Seduction Of Indulgence » (aux sonorités tribales issues de l'album solo de Davis), ont une valeur. Bien que l'on sente quand même qu'il s'envole davantage dans sa deuxième moitié avec, notamment, un « Finally Free » qui en étonnera plus d'un avec ses influences trip-hop – hormis si vous avez écouté Black Labyrinth dont le titre devait à la base en être une face B avant d'être retravaillé. Même un « Can You Hear Me » qui aurait pu paraître hyper banal trouve grâce aux oreilles avec cette petite sample accrocheuse et entêtante. Autant dire : ceux qui attendent de Korn de pondre du hit fédérateur qui se détache clairement de la masse et met tout le monde d'accord en prendront sur ce coup-là pour leur grade et risquent un peu de lâcher prise.

 

Un peu dommage parce que The Nothing, par-delà de cette tare qui n'en est pas une pour tout le monde, se révèle être indubitablement l'album le plus monstrueux de Korn sorti depuis fort longtemps. En revenant (partiellement) aux sources, il parvient à l'impensable en donnant un côté très actuel à un mouvement pourtant has-been et moribond. Ne pouvant que donner raison à ceux qui ont continué de suivre et attendu patiemment une telle remontada. Le meilleur album que le gang de Baskerfield ait pu sortir depuis Untouchables, faisant passer tout ce qu'il y a eu entre deux, même les plus sympathiques, comme de simples cacahuètes. Celui qui a toutes les cartes en main afin de rameuter un peu les foules, même les déserteurs de longue date qui seraient bien avisés de s'y frotter tant ils verraient dans la meilleure monture possible toute l'évolution opérée depuis dix-huit ans sans que les basiques n'en soient fondamentalement altérés. Et qui sait, peut-être que par-delà d'un beau cadeau pour nostalgiques de la génération neo, ça ira toucher les boutonneux d'aujourd'hui qui s'enjaillent actuellement sur le nouveau Slipknot, sans qu'ils n'aient jamais pu songer une seule seconde que ce dernier n'aurait sans doute jamais existé (ou tout de moins, ressemblé à ce qu'il est) si ces ringards de Korn n'avaient jamais été là ?

photo de Margoth
le 11/09/2019

11 COMMENTAIRES

Tookie

Tookie le 11/09/2019 à 10:28:41

Et d'un seul coup The serenity of suffering me parut bien fade !
The nothing vient clairement de me réconcilier avec KoRn que j'ai si longtemps chéri et si longtemps haï après ses expérimentations foireuses et ses démarches musicales mercantiles.
Là je retrouve tout ce que j'attendais, même si des passages me semblent bien foireux (quelques lignes de chant, des passages "faciles", trop de références aux débuts trop peu voilées, des effets sur la voix un peu lourds) et pourtant, je ne passe jamais un morceau, parce que, comme tu le dis, c'est homogène.

Ce son en fait parfois des caisses, quitte à aseptiser un peu l'agressivité, mais ça reste vraiment le pied : ça claque de partout, Davis a vraiment retrouvé quelque chose à dire et n'a pas de plaisir de chanter...mais besoin et c'est là qu'il est le meilleur (hélas pour lui).
Et puis, moi qui aime aussi la pop et ses facilités : je suis super heureux de pouvoir reprendre un refrain après 2 écoutes. Je chante avec Davis parce que ça me parle et parce que c'est simplement mais efficacement écrit...alors faudra voir sur la longueur, mais je ne me vois pas me lasser de celui-ci comme ce fut le cas pour le précédent (sur lequel je ne crache pas non plus).

Autant nos avis divergent sur The serenity, autant je suis d'accord avec ta chronique du début à la fin. Ben quel beau mois de septembre putain !

gulo gulo

gulo gulo le 11/09/2019 à 12:53:34

Marrant comme j'ai pas du tout la même vision de celui-ci, ni de Paradigm, Serenity et Remember... et comme pourtant je suis tout à fait d'accord : un très bon album, parmi leurs nombreux très bons albums.
En pleine forme, les gars, et fièrement neo (avec un gros feeling fusion en soubassement) en effet.

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 11/09/2019 à 13:08:36

Bande de faget

Dams

Dams le 12/09/2019 à 12:50:23

Autant le dernière Slipknot m'a botté, et au passage tu as raison Korn était une grande affluence pour Jordisson et Taylor, autant les 3 premiers extraits de cet album ne m'ont pas du tout emballé.
En même temps, je n'ai jamais été un amateur du groupe, ça doit jouer aussi...

Krycek

Krycek le 12/09/2019 à 21:06:16

Super chronique. J'ai 38 ans et effectivement l'album me met en PLS. De loin le meilleur depuis... Untouchables, oui. Par contre pas une mention 'The Darkness Is Revealing'? Pour moi LE morceau du disque pour l'instant.

gulo gulo

gulo gulo le 13/09/2019 à 10:12:05

@Dams : je ne sais pas quel était le troisième extrait choisi, mais le premier (You'll never find me) m'avait paru à chier et il se révèle une fois écouté avec le reste, quant au second (Cold) il fait partie des moins bons morceaux du disque (juste devant Finally Free, je dirais) à mon sens, donc...
Tente, on sait jamais ^^

gulo gulo

gulo gulo le 13/09/2019 à 10:13:40

@Krycek : oui, The Darkness is Revealing (enfin, surtout son refrain) est un des très gros moment, avec H@rd3r. Disons ceux qui sautent aux oreilles le plus immédiatement (vu comment le reste prend sa place peu à peu).

gulo gulo

gulo gulo le 13/09/2019 à 10:13:50

*moments

Margoth

Margoth le 13/09/2019 à 12:48:29

C'est vrai qu'il est très cool ce titre Krycek, à l'image du reste d'ailleurs (l'homogénéité toussa, toussa). J'aurais pu en parler c'est vrai, de tous les titres d'ailleurs mais les chroniques typées track by track, c'est vraiment pas mon dada. Ce qui n'enlève en rien que j'apprécie d'en chanter (faux) son refrain sous le douche ;) .

Alors, Tookie, pour ce son qui en fait des caisses et bouffe un peu l'agressivité, je te rejoins là-dessus. Je me demande d'ailleurs si les mp3 qu'on a reçu n'exagèrent pas un peu cet aspect. Mais je comprends parfaitement leur volonté de partir vers un délire très clinique et assez froid en terme de prod', ça s'accorde je trouve très bien avec le délire blanc de la jaquette et de la thématique. Et puis, on a tellement d'approche du néant qui fait la part belle à la noirceur et au côté cradingue du son dans le metal que ça fait du bien de le voir appréhender d'une autre manière.

gulo gulo

gulo gulo le 13/09/2019 à 17:41:06

(erratum 2 : je pensais à Idiosyncrasy, comme plus mauvais morceau du disque)

lo

lo le 17/09/2019 à 09:34:20

The Darkness Is Revealing resume à lui tout seul les albums de korn. Une merveille.
The loss, Ringmaster et H@rder aussi. Cet album est une veritable reussite!

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