Leprous - Pitfalls

Chronique CD album (1:06:02)

chronique Leprous - Pitfalls

Non, Pitfalls n’est pas la bande-son du remake de Sept Ans Au Tibet ou de Mulan: ne vous laissez pas berner par cette magnifique pochette, réalisée indépendamment de l’album par une artiste indonésienne, et dont le groupe a acquis les droits après avoir craqué dessus. Ce qu’il faut en retenir, c’est plutôt le noir, les nuances de gris, et cette touche d’espoir incarné par l’enfant à la flûte. Car le sixième album de Leprous relate les tourments vécus par Einar Solberg alors que celui-ci passait par toutes les phases d’une plongée douloureuse dans les abysses les plus noires de la psyché humaine… D’ailleurs Madame Dépression devrait penser à demander des royalties à la muse des Norvégiens, car cette coach artistique des plus sévères a une fois de plus permis à un musicien d’accoucher de l’un de ses plus beaux chefs d’œuvre.

 

… Mais ne sautons pas trop vite à la conclusion. Rembobine Serge!

 

A l’époque de Malina déjà, j’étais parti braqué, prêt à dessouder Leprous au moindre faux pas. Un look de gentils scouts propres sur eux, des abords fragiles et une tendance à exacerber les sentiments les plus délicats m’avaient donné de très mauvais a priori, qu’un talent exceptionnel et des compos en or massif m’avaient forcé à reconsidérer de fond en comble. Mais malgré le plaisir intense procuré par cet album – et, plus largement, par la discographie de ce groupe à part –, avec le petit nouveau les indicateurs étaient plus que jamais dans le rouge: une thématique au coulis de Prozac, un régime « démétallisant » conduit presque jusqu’à son terme, l’annonce d’une rupture plus nette que jamais avec son passé stylistique… C’est limite avec la main sur la chasse d’eau que j’ai effectué la première écoute de l’album. Et le bilan final de ce premier bain de pied dans les eaux froides de Pitfalls s’est effectivement avéré plus que mitigé: l’impression de déjà-entendu provoquée par certaines lignes de chant, un minimalisme sombre, l’impression d’écouter de l’émo-Pop sise à mille lieux de Motörheadland, la quasi omniprésence d’orchestrations violoneuses… Ça commençait à affuter la machette dans le terrier du lapin jaune!

 

Et puis, rapidement, en insistant un peu: bam, la révélation. Oui, l’album est très "plumes d’oie, bulles de savon et meringue à la violette". Mais Leprous prend bien garde de ne jamais laisser l’auditeur se ratatiner dans les recoins glacés de compos désespérantes. Et de fait, les doutes, les peurs, les espoirs exprimés par Einar sont portés par de brillants élans mélodiques ainsi que des refrains qui subliment la douleur, et par ailleurs compensés par des rythmiques se faisant tour à tour frémissantes (Baard Kolstad fait des merveilles, notamment avec ses fiévreuses cymbales), réconfortantes (la basse de Simen Daniel Børven est toute de rondeur), voire carrément dansantes (tape du pied sur « I Lose Hope », ondule du boule sur « By My Throne »). « Below » offre un bon exemple de cette démarche, avec son synthé vaporeux, son désespoir muet, son refrain déchirant, ces derniers se voyant réchauffés par des violons subtilement orientaux, puis par un beat soudainement lascif, à 2:17, bientôt accompagné d’un gratouillis électro-acoustique léger mais définitivement sexy. Par ailleurs le passé métallique du groupe n’a pas été complètement occulté, comme le prouve la superbe première moitié de « The Sky Is Red » avec son riff moderne fourmillant. Et les inclusions de boucles finement électroïdes contribuent encore à extraire les compos d’une funeste frugalité musicale.

 

En fait, plutôt que sombre et dégoulinant, Pitfalls se révèle souvent lumineux et vif. Il nous frappe en plein cœur, tranchant ventricules et oreillettes de lignes de chant et de mélodies qui forcent à fermer les yeux, froncer les sourcils, font rayonner la cage thoracique et hérisser l’épiderme. Ceci sur quasiment chaque titre. Que ce soit le délicat refrain télégraphique de « I Lose Hope », le miroitement sublime débutant « By My throne », la justesse et la tension émotive déployée sur « Alleviate », les échos de guitare et le grain Musesque de « Foreigner », ou l’avalanche émotionnelle « Observe The Train » qui conduit à la limite des larmes, on est sans cesse chamboulé, émerveillé, bousculé – avec délicatesse, mais fermeté. Seuls peut-être « Distant Bells » – semblable à ses consœurs de tracklist, mais longue à démarrer, trop fragile, et aux orchestrations trop téléphonées – et la deuxième moitié de « The Sky Is Red » – lancinante complainte cétacée à la limite de l’autisme, réussissant néanmoins à rugir en toute fin de course – privent cet album d’un 10/10 quasiment mérité.

 

Je ne croyais vraiment pas le groupe capable de réussir l’exploit de surpasser ses albums précédents, qui plus est en baissant encore le niveau de distorsion. Mais les faits sont là: sur Pitfalls Leprous a accompli l’inimaginable. Cet album est magnifique, point.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte: toujours moins Metal, toujours plus sombre, Pitfalls avait tout pour finir crucifié via une chronique assassine vengeant le viol subi à l’époque de Malina (qui m’avait violemment retourné et fait jouir contre mon gré et mes a priori). Mais twist final incroyable: Leprous frappe plus fort que jamais en réalisant son meilleur album – qui recevra plus d’un 10/10, on prend les paris. Alors arrêtez de jouer aux durs et laissez-vous également séduire par ce chef d’œuvre.

 

 

photo de Cglaume
le 12/11/2019

6 COMMENTAIRES

Tookie

Tookie le 12/11/2019 à 09:19:43

Top 5 aussi (4ème en fait j'ai commencé mon classement). Largement au-dessus de Melina : Magnifique, incroyable, inattendu. Pété de "haa ahhh ahhh haaaa Haa Ahhhh" pour fragile comme moi, d'émotion, de pop et de prog. C'est fin, c'est parfois sombre, c'est vraiment trop bon. Archi fan.

Xuaterc

Xuaterc le 12/11/2019 à 10:17:10

Je trouve les trois premiers titres un peu convenus, et en dessous, mais le reste, wahou!

Xuaterc

Xuaterc le 12/11/2019 à 10:18:19

Et quel batteur, il arrive même à rendre un disco beat intéressant.

papy_cyril

papy_cyril le 12/11/2019 à 20:57:37

a priori c'est unE artiste pour la pochette...

cglaume

cglaume le 12/11/2019 à 21:21:41

Merci pour la correction. C'est corrigé (enfin dès que le cache aura été mis à jour...)

Garth Algar

Garth Algar le 13/11/2019 à 18:41:23

Belle évolution même si je reste nostalgique de Tall Poppy Syndrome et surtout Bilateral, leur chef-d'œuvre selon moi! Vu dernièrement en live et je n'arrivais pas à débloquer sur le jeu du batteur, phénoménal, et c'est encore plus frappant dans ces conditions... Excellent disque encore une fois, mention spéciale à The Sky is Red qui est un vrai petit bijou!

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