Life Of Agony - The Sound Of Scars

Chronique CD album (40:44)

chronique Life Of Agony - The Sound Of Scars

En 1993 sortait River Runs Red, premier album d'un tout jeune groupe, qui comprenait en ses rangs l'ex-Type O Negative Sal Abruscato, nommé Life Of Agony. Des jeunes loups tout plein d'ambitions, en témoigne le fait de s'adonner aux joies on ne peut plus périlleuses du concept album, en plus de proposer une recette musicale fondamentalement hardcore qui prenait sournoisement ses codes à revers, l'enrichissant de teintes metal variées, afin de mieux s'extirper de la masse hardcore/crossover. De l'audace qui s'est très rapidement révélée payante tant il a su marquer les esprits, tant pour sa tambouille que pour le concept développé, le magazine Rolling Stone allant même jusqu'à dire qu'il s'agissait de « l'un des plus grands albums metal de tous les temps » – 58ème dans le top 100, une place plus qu'honorable – ni plus, ni moins. Moi-même, j'ai beau ne jamais m'être penché plus que cela sur le cas de Life Of Agony, à la carrière tumultueuse, entre splits, changements de line-up, reformations plus ou moins foireuses et autres moments dignes de Dallas, je me souviens d'y avoir prêté une oreille durant mes années d'adolescence – ces doux moments de découverte et forge de culture metallique – et même si je n'ai pas forcément creuser le sujet plus cela, ça n'empêche que ce River Runs Red m'a marquée. Bon, en même temps, imaginez-vous retrouver vos quinze printemps et vous confronter à ce fameux « Friday » de clôture l'album où l'on entend, complètement impuissant, l'adolescent servant de protagoniste principal à l'histoire – où l'on suit sa semaine plus que merdique alors qu'il n'est déjà pas gâté par la vie, de quoi relativiser toutes nos petites contrariétés du quotidien – développée dans cet album, s'ouvrir les veines dans la salle de bain sous fond d'engueulades familiales violentes dans la pièce d'à côté, la radio diffusant un morceau de la présente galette. A cet âge où l'on est très loin d'avoir tout entendu en terme de « situation musicale/sonore » glauque et où l'on est, de plus, encore facilement impressionnable, ça se pose là. Et puis, il y a ce single, « This Time », ouverture des hostilités tonitruante, d'une efficacité mosheuse redoutable dans les refrains tout en se permettant des rythmiques groovy et lancinantes puant l'horreur des dérives éthyliques en couplets, dévoilant par le même temps le timbre si particulier Ozzy Osbourne cross Danzig pour donner un ordre d'idée – d'un Keith Caputo totalement habité. Un titre qui n'a d'ailleurs jamais quitté ma playlist « one-shot fourre-tout ». Bref, River Runs Red se pose d'emblée comme un album à part, qui s'est posé comme un référentiel, tant pour le style hardcore tant il représentait une bouffée d'air frais à une scène stagnante, qu'en terme de concept-album impactant. Une prouesse que Life Of Agony n'a jamais réussi à dépasser, d'autant plus qu'il a préféré progressivement développer une facette plus metal/rock alternative qui n'est clairement pas du goût de son public premier, avide de choses plus franches du collier et non de soupe commerciale.

 

Aujourd'hui – ou demain, selon quand paraîtra cette bafouille – Life Of Agony semble s'en tenir à sa reformation honorable sans qu'elle ne soit non plus vraiment fofolle qui avait donné A Place Where There's No More Pain (2017) qui mettait fin à une douzaine d'années de silence discographique et sort ce présent The Sound Of Scars. Le combo n'a peut-être pas réussi à garder le volage Sal Abruscato, ce qui ne l'empêche pas de revenir avec de l'aplomb et de l'ambition : ce nouvel album représente la suite de River Runs Red, et selon son bassiste, Alan Robert, il représenterait « un tournant important pour le groupe en plus que le résultat s'avère monstrueux ». On apprécie l'humilité du discours, d'autant plus lorsqu'on touche à un exercice si facile qu'est d'offrir une suite à un concept album qui aura marqué son époque, un peu plus de vingt ans après. Tellement facile que les fans de Queensrÿche s'émoustillent encore d'Operation : Mindcrime II...

 

Bon, on va désacraliser un peu tout ça d'emblée : The Sound Of Scars, clairement, n'aura pas autant d'impact que River Runs Red. Ceux qui espéraient revoir un retour aux sources inespéré se rhabilleront et dans son concept, quand bien même il reprenne ces interludes non musicales, à commencer par l'introductif « Prelude » qui lie d'emblée le goutte-à-goutte fortement réverbéré du robinet de fin de « Friday », jamais cette suite n'ira se frotter de nouveau aux actes de manière aussi crue et osée. Et à vrai dire, ce n'est pas spécialement le but recherché ici, The Sound Of Scars préférant s'attarder sur le côté psychologique de cet adolescent qui a en réalité foiré sa tentative de suicide que l'on suivra adulte et marié, pataugeant encore dans la semoule entre désir fragile de reconstruction et ressassement permanent de ses vieux démons, après une première partie d'album décrivant son sauvetage. Si le propos est loin d'être inintéressant, tant sur son principe que par la manière musicale de le faire, il faut admettre que ce parti-pris marque beaucoup moins en terme de récit que des actes comme ils avaient été présentés à l'époque.

 

Par contre, là où l'on donnera raison à ce cher Alan, c'est sur le côté « tournant important dans la carrière du groupe » et l'on espère chaudement pour lui que cela n'amorce qu'un début tant The Sound Of Scars montre un Life Of Agony tout plein de conviction, qui a les crocs et est en pleine possession de ses moyens. Si certains se rassuraient du précédent méfait qui marquait un retour convaincant (si ce n'est flamboyant pour les plus enjoués), ce n'est rien comparé à ce petit dernier, sidérant tant l'on ne s'y attendait pas. Cela en est même à se demander ce qu'il se passe en cette deuxième partie de 2019 dans la tête des vieux acteurs de la scène '90's, Slipknot ayant proposé un album plus qu'acclamé, Korn s'en sortant également avec les honneurs et, dans des délires différents, on ne parlera même pas du cas Opeth. On sent que la crise de la trentaine – en terme de carrière – approche, ça les travaille et ça leur réussit fort bien, à tel point qu'on aurait envie de leur dire de se calmer tant l'on ne sait plus où donner de la tête depuis la rentrée et que ça ne fait pas les affaires de nos petits cœurs fragiles.

 

Déjà, passé l'introduction, The Sound Of Scars balance une triplette « Scars » / « Black Heart » / « Lay Down » absolument imparable – qui sont tous les trois exhibés en morceaux vitrines, un signe qui ne trompe pas – en terme de hit catchy et immédiat. Les avides des débuts repartiront la queue entre les jambes en constatant qu'il ne s'agit pas là d'un réel retour aux sources puisque la facette metal/rock alternative domine toujours le propos, ce qui n'empêche en rien de retrouver çà et là de relents coreux qui sait ajouter un certain punch à une tambouille fondamentalement calibrée (« Empty Hole », l'intro de « Once Below », ou encore la rythmique de « Eliminate »). Malgré tout, le calibrage ici n'est nullement péjoratif ici, tant Life Of Agony ne tombe jamais dans les mauvais pièges. On a beau rentrer dans les codes de l'efficacité immédiate, à grand renfort de distillation de groove qui fait mouche, de refrains qui se greffent dans les têtes en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire (et, surtout, y restent !) ou d'exploration de genres autrement plus orientés grand public que la niche hardcore, c'est ici fait de façon maligne. Le combo sait se montrer varié et même si le résultat paraît simple, il ne le fait pas en usitant de trop de facilités. En témoigne le fait qu'il n'a jamais autant élargi son spectre (tout en se défaussant quelque peu des influences doom et Alice In Chains d'Abruscato) pour enrichir et contraster son propos sans jamais que ce dernier ne perde de son unité et de sa cohérence. Encore moins de son accroche immédiate qui ne se cantonne pas au domaine du ponctuel. Ça paraîtra tout con pour beaucoup mais mine de rien, ce n'est pas si facile d'obtenir un tel équilibre. Ajoutez à cela une Mina Caputo, en pleine possession de ses moyens et de son organe vocal « nouvellement féminin » dont les hormones ont pas mal modifiées son timbre originel (que je préfère amplement maintenant mais c'est une question de goût), retrouvant la force d'interprétation du Keith de 1993, si ce n'est plus, via cette nouvelle facette d'ajouter un côté des bribes de lumière subtiles à un propos de base torturé (le très émotionnel « I Surrender », ultime dans tous les sens du terme). Et vous obtenez un The Sound Of Scars, épatant tant il était facile, au vu de sa contrainte première de proposer une suite de concept, en plus de ne pas proposer la même approche musicale, de penser qu'il s'agirait d'un naufrage.

 

S'agit-il pour autant d'un album à proprement parler « monstrueux » ? Difficile à dire, là, maintenant, sans aucun recul. En revanche, affirmer qu'on atteint une sorte d'aboutissement – ou n'a-t-il jamais paru aussi proche tout du moins – du développement metal/rock alternatif en n'occultant pas forcément les racines premières de Life Of Agony, touché d'un état de grâce d'épanouissement tardif, oui. Clairement.

photo de Margoth
le 10/10/2019

2 COMMENTAIRES

gulo gulo

gulo gulo le 10/10/2019 à 10:01:44

J'avais fort apprécié le précédent, j'aime beaucoup SSS...

Mais là c'est pas possible, c'est affreux.
Enfin, c'est surtout affreux et atterrant de constater que le plus gros défaut d'un Life of Agony soit des parties vocales totalement quelconques et insipides.

Margoth

Margoth le 10/10/2019 à 13:40:18

C'est marrant mais c'est le précédent que j'ai trouvé un peu inspide : deux, trois trucs accrocheurs sans plus, rien qui ne reste et donne un tant soit peu l'envie d'intégrer à une playlist pour se les réécouter de temps en temps. Alors que là, ça m'a titillé direct.

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