Loudblast - Disincarnate

Chronique CD album (40:22)

chronique Loudblast - Disincarnate

Les chroniques du dimanche sur CoreAndCo prennent bien souvent la forme de cantiques exaltés chantés à la gloire d’idoles défraîchies par des scribouillards grisonnant dont les souvenirs nostalgiques sont plus nombreux et plus fiévreux que les séances de pogo de l'année écoulée... C’est qu’on s’fait vieux, que voulez-vous! Et c'est bien de cela qu'il s'agit cette fois encore, à la nuance près que:

→  en 2014 Loudblast a sorti un Burial Ground qui a fait grosse impression, jusqu’à convaincre mon punk-à-chien de collègue Crom Cruach. Du coup le qualificatif « défraîchi » semble ici assez peu pertinent

→  Depuis Fragments (back in 1998), les Lillois m’en remuent une sans toucher l’autre, leurs albums se succédant plus ou moins régulièrement (… plutôt moins!) sans réussir à percer la cuirasse qui entoure ma cuve à endorphine. Du coup, taratata: le terme « idoles » est carrément too much.

 

… Mais il est vrai qu’il en était tout autrement en 1991. Alors en classe de 2nde (putain…), le lapin jaune qui vous écrit avait acheté un numéro de Hard Rock Magazine contenant un long article sur le Death Metal, ceci à l’occasion de la sortie de la compilation Masters of Brutality. La K7 (!) en question, acquise dans la foulée, fut à la fois une révélation et un formidable catalogue de noms riches en promesses. Parmi ceux-ci, 2 défenseurs du Bleuargl tricolore: No Return en face B, et la bande à Stéphane Buriez en face A, avec le titre « The Horror Within ». Deuxième coup d’aiguillon quelques mois plus tard, lors de la découverte de Thrash’n’Speed, autre K7 / compil’ (dénichée par hasard chez Leclerc, pour la petite histoire) sur laquelle figurait cette fois une version raccourcie de « Disquieting Beliefs ».

 

Le clou s'était suffisamment fait enfoncer: il me fallait ce sacrénom de Disincarnate!

 

Alors c’est sûr, ces bourrasques houleuses de riffs broussailleux qui percent une prod’ parcheminée (issue des Morrisound Studio de Scott Burns pourtant) sur les premières secondes de « Steering For Paradise », cela risque fort de faire pousser des plaques de boutons sur les faces déjà bien rougeaudes des fans de "Bucheron Deathcore". Et puis le growl mat et souffreteux du Stéphane pré-calvitie va peut-être faire pousser quelques moues chez les amateurs de fond de larynx glaireux.

 

M’enfin arrêtons 5 minutes les minauderies de squatteuses d’Instagram: on ne s’envoie pas des skeuds de Death Metal pour peaufiner son look de selfiste, mais pour se malmener intelligemment les tympans. Et dans le genre, à partir de ce 2e album quittant le Thrash/Death rugueux pour un Death Metal plus raffiné que ce que veulent bien admettre les zappeurs du net, Loudblast s'avère être un fournisseur de choix!

 

Mais tentons de vous décrire la patte des Loud’s en ces temps reculés que les moins de 20 ans ne peu-veuh pas con-naiiii-treuh. Comme beaucoup des grands albums de Death des 90s, Disincarnate ne se contente pas de faire défiler les panzers dans le salon de Tatie: il s'attache également à distiller des atmosphères, à poser des décors. Les ambiances spatiales occultes à la Morbid Angel / Nocturnus de « Disquieting Beliefs » en sont un bon exemple. Et quand les coups de pinceaux des guitaristes ne suffisent plus, ce travail passe par l’adoption de tempos pachydermiques, le groupe glissant dans le Doom/Death – au moins sporadiquement – sur pas loin de 2 tiers des titres. Par ailleurs, loin de s’arrêter au bête schéma intro / couplet / refrain / blablah, le groupe propose d'habiles enchaînements, bâtit de belles structures, et colore ses assauts d’une « sophistication » qui – les quelques voix claires qui émergent ci-et-là aidant – nous pousserait presque à adjoindre le qualificatif « progressif » à la description de sa musique. Bon, j’exagère un brin, mais à peine. D’autant que quelques riffs rappelant Death (cette langueur lead à 4:07 sur « Steering For Paradise », le début velouté de « After Thy Thought »), ainsi que quelques faux airs de Pestilence (période Testimony of The Ancients) accentuent cette impression d’aisance technique qui va souvent de pair avec le genre.

 

Alors oui, je vous le disais plus tôt: la prod’ est rugueuse. C’est vrai, les refrains sont parfois un peu faiblards (cf. « After Thy Thought », « The Horror Within » ou « Wrapped in Roses »). Je l’admets, le morceau « Shaped Images of Disincarnate Spirits » – qui a la lourde double responsabilité d’être le morceau-titre et de laisser retomber le rideau – est un peu « éteint », comme si le gros de la fougue et de l’inspiration du groupe avait été trop généreusement distribué sur le reste des titres, et qu'il n'en restait plus suffisamment pour terminer sur un coup d'éclat. Mais cela ne change rien au statut culte de cet album qui distribue les frissons de plaisir sans compter. Comme sur la pesante mais majestueuse avancée de « Steering For Paradise ». Ou sur le très Carcassien riff qui vient débiter du sushi à 2:43 sur « After Thy Thought ». Sur le magnifique décollage plein d’allant qui précède le refrain de « Outlet For Conscience ». Sur toute la formidable seconde moitié de « Disqieting Beliefs », honteusement mutilée sur la compil Thrash’n’Speed précédemment mentionnée. Sur le break bourdonnant qui annonce le refrain de « Arrive Into Death Soon ». Sur l’explosion victorieuse qui redynamise « Wrapped in Roses », à 2:25. Et on arrête là le "frissons dropping", parce que ça commence à peser lourd sur la fin de chronique!

 

Il est toujours compliqué de réussir à véritablement faire la part des choses. Certains titres me casseraient-ils sévèrement les bonbons si je découvrais Disincarnate aujourd'hui? L'abondance des tempos lents me verrait-elle tirer à boulets rouges dans le flanc Loudblastien? Ce filtre poussiéreux à travers lequel semble couler le son de la galette m'aurait-il agacé les feuilles? J'avoue que j'ai beaucoup de mal à le croire. Car il est à peine besoin de passer un petit coup de ponceuse mental dans les coins, ainsi qu'une légère couche de vernis sur la prod' pour faire le lien avec l'excellence du Sublime Dementia qui va suivre. Car ce 2e album est un petit bijou de sombre puissance parfaitement canalisée, un ogre colossal tiré à 4 épingles, une Bête en tenue de gala, fulminant, mais se contenant dans l'attente de la Belle. Bref: la mornifle est massive, mais le gant est subtilement brodé. Alors si vous appréciez la violence sophistiquée, si l'évocation de Pestilence, Morgoth ainsi que de la plupart des Grands Anciens de Tampa vous provoque des petits pincements au cœur, et si vous ne craignez pas les toiles d'araignée « old school », allez donc vous offrir cette belle page d'histoire de France death métallique.

 

PS: pour l'anecdote, Kam Lee, vocaliste de Massacre et ex-beugleur de Death, vient jouer les guests de luxe sur le titre « The Horror Within ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte: prétendre que, dans les années 90s, la France était un petit bout de Tiers Monde death métallique collé à de riches voisins allemands et scandinaves, n'est pas entièrement faux. Sauf que ce serait oublier que Loudblast était alors vu à raison comme un phare permettant à l'Hexagone d'émerger un peu d'une épaisse obscurité (… et que la Belgique n'est ni la patrie d'Ikéa, ni celle de la petite Sirène!). Et s'il n'est pas le chef d'œuvre du groupe, Disincarnate est déjà un magnifique morceau de brutale sophistication.

 

 

photo de Cglaume
le 14/05/2017

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