Minors - Abject bodies

Chronique CD album (30:00)

chronique Minors - Abject bodies

Dimanche 24 février 2019. 6h.

Une main puissante frappe à plusieurs reprises la porte de ma maison à Bailleul-sire-Berthoult. Je descends 4 à 4 les escaliers après avoir bondi dans un caleçon Homer Simpson.
Les coups se font de plus en plus insistants lorsque j'ouvre la porte. Derrière se tenait Mireille, ma factrice (je t'en ai parlé déjà ici et . Mais pour te faire un topo rapide : la petite cinquantaine, des cheveux frisés fins style caniche de compet', la main lourde sur le maquillage et une énergie folle), en robe de chambre, un casque Sennheiser autour du cou, le fil pendant dans le vide et la prise jack traînant au sol. Elle était essoufflée, ébouriffée, énervée, avait de gros cernes noirs et était complètement trempée pour avoir couru sous une pluie battante :

 

-Salut ma couille, t'as du courrier ! Fais-moi rentrer, vite !
-Bon-Bonjour Mireille, lui dis-je en bredouillant. Qu'est-ce que tu fous là ? Et puis, depuis quand on se tutoie ? Et puis merde, il est 6h, on est dimanche, tu vas réveiller la petite !
-En parlant de petite, je vois qu'on a encore la gaule adolescente du matin, c'est mignon, c'est pas mon Michel à 53 ans qui...
-Attends, attends c'est pas le sujet là. répondis-je en croisant les jambes debout, un peu gêné.
-Fais-moi rentrer, je t'explique tout.
 

Elle s'imposa en me poussant d'un coup d'épaule et s'engouffra dans l'entrée. Je lui fis un café pendant qu'elle se séchait les cheveux dans une serviette Servietski. Je me rends enfin compte que mon linge manque de maturité. La factrice s'est calmée, elle est maintenant assise dans un fauteuil du salon, une enveloppe humide posée sur le bras en cuir légèrement griffé par ce putain de chat.

 

-On ne peut rien garder de beau quand on a un chat... me dit-elle exaspérée en serrant fermement la tasse qui lui réchauffe les mains et qu'elle approche de ses lèvres.
-Viens-en aux faits Mimi, pourquoi diable viens-tu me péter les burnes un dimanche au lever du soleil ? 
-Tu te souviens, y'a 3 semaines quand on a parlé devant ta boîte aux lettres ?
-Quand on disait qu'il faisait beau et qu'il y avait plus de saison ? 
-Oui voilà ! Un moment inoubliable n'est-ce pas ? Tu m'as dit que tu ne recevais plus trop de disques en ce moment, et qu'on avait perdu plein de CD que t'avais commandés ?
-Je me souviens.
-Beeeennnn...c'est moi la fautive.
-Quoi ?
-Ouais, tu vois, je le sens bien que t'en as ras-le-cul de recevoir des CD promotionnels tout nazes. Des disques génériques, interchangeables... en gros, que ton univers musical t'ennuie.  T'as même dit que, pour le hardcore, l'année 2019 n'avait même pas commencé.
-Hein ? Mais je l'ai dit durant une conversation privée sur Facebook avec Pidji ?!
-La Poste sait tout mec. Bref, c'est pas l'sujet, réjouis-toi mon gars. Minors est là.
-Hein ??!
-Je t'explique. Hier soir, j'ouvrais tranquillement les colis des gens, histoire de voir si quelque chose me plairait dans le lot (avant de le revendre sur Le Bon Coin), quand je suis tombée sur ce disque de Minors. Je récupère le timbre de l'enveloppe pour mon Michel qui est philatéliste...
-Merci, sympa, moi aussi j'aime les timbres. coupais-je
-T'as vraiment des occupations de vieux. Bref, je tombe sur un disque et OooOooh Whaaaa, quelle surprise ! me dit-elle ironiquement. Je me pose mémère dans mon rocking-chair, une camomille dans la main droite, un petit joint d'hollandaise entre les doigts.
-OK, le genre de truc dont on se gargarise au lycée, faut grandir Mireille.
-Ça me soulage quand j'ai mal à mes douleurs, tu verras dans 20 ans. Et puis je ne l'ai pas payé, c'est ton voisin qui reçoit ça tous les vendredis dans une enveloppe à bulles.
Enfin, voilà, je lance le disque après avoir feuilleté le dossier de presse : un groupe du Canada qui a un split, un EP, un premier album en 2017 et ce Abject bodies, le tout en moins de 4 ans, et là...po po po !
-Dis m'en plus.
-Je ne vais pas te le dire, je vais te le montrer.

 

Et là, elle se mit à gigoter dans tous les sens, à gesticuler brutalement jetant la tasse contre le mur, se lançant dans un KFD solitaire assez brillamment exécuté, je dois bien l'avouer.
Elle s'arrêta.
Elle reprit ! Pif paf pouf, une lampe et 2 bibelots font les frais de sa danse habitée par le démon.
Elle s'arrêta de nouveau.
Elle reprit ! Bon là, ça devenait carrément lourd et long.
Une fois mon mobilier éclaté sur le carrelage, pétant enfin un vase que je ne pouvais pas blairer, je tentai de l'arrêter.

 

-Calmo Mimi, reprends ton souffle...mais dis-moi avec des mots simples pourquoi c'est si bien que ça ?
-J'vais essayer d'en parler comme tu le fais sur ton site dans des chroniques que seule ta mère va lire par politesse.
En fait, au premier abord, Minors ressemble à toute cette clique de groupes peu inspirés qui font du Converge-like. Mais avec Minors il faut creuser...

Elle s'arrête en me fixant, un sourire pincé aux lèvres. Je lui demande :

-Pourquoi tu t'arrêtes ?
-Beeeennnn...tu l'as ?
-Quoi ? 
-Ben la blague !
-J'comprends pas.
-Minors, en anglais, ça veut dire mineur. Mineur <--> il faut creuser. Elle est marrante non ?
-Ben, c'est mineur au sens de secondaire, donc bon, ça fonctionne pas trop avec un homonyme.
-Ah ça marche pas ? C'est pas drôle ?
-Ben non, désolé.
-Non, soit pas désolé, c'est que je suis sur la bonne voie, ça ressemble bien à tes chroniques avec des vannes que personne ne comprend et qui n'amusent que toi.
-OK sympa.
-Où en étais-je ? Ah oui ! Il faut creuser. Parce que les Minors ne font pas que gueuler ou jouer comme des bourrins appuyés par une production solide et puissante.
-Ah oui ? Intéressant !
-Tu trouves ? 
-Non, mais j'essaye de faire vivre ta chro malgré tes formules passe-partout. Allez, continue.
-S'il fallait résumer cet album avec un qualificatif, ce serait "intense". Alors, tu vas me dire que là encore je cède à la facilité : tous les groupes dans le genre cherchent à coller une bonne grosse tarte sonore. C'est pas faux te dirai-je...Mais Minors se distingue des autres groupes par une profondeur d'écriture : ces mecs sont allés au charbon. Là encore, ce n'est pas avec une oreille distraite qu'on le découvre. Une écoute superficielle ne mettra en avant que les beuglements essoufflés d'un chanteur hurlant, de larsens à la pelle et de gros riffs avec une section rythmique qui fait trembler le sous-sol.

Mireille se mit à pouffer.

-Quoi ? lui dis-je.
-Sans le faire exprès, j'ai fait deux références à la mine dit-elle en cachant son sourire d'une main, le regard gêné. Bon, allez, j'reprends.
De la cacophonie apparente se dégagent des compositions brutales mais fouillées. On se laisse prendre dès le bruyant titre éponyme en ouverture. Deux minutes : c'est tout ce qu'il faut pour être happé par une introduction instrumentale classique, lourde, mais délicieusement efficace, surtout grâce au contraste saisissant avec "Consumed" apparaît : speed, criard, dégageant une énergie punk . On est déjà dedans que le rythme ralentit.
C'est d'ailleurs en jouant avec le rythme de ses titres que Minors tient en haleine un auditeur ballotté entre riffs vénères ("Flesh prison"), stridents et grosses baisses de tempo pour s'appesantir sur des passages hyper-massifs.
Il y a aussi une continuité dans ce disque qui ne permet pas à l'auditeur de reprendre son souffle : on se sent oppressé, étouffé, comme si l'on enchaînait sprint sur sprint. En fait, cet album c'est un entraînement de course en fractionné.
Alors, il y a bien le titre "Erode" qui contrarie mon propos, par sa lenteur, mais, pour poursuivre mon analogie avec la course (ouais, je m'y suis mis, j'en avais marre de la Zumba), c'est comme si t'étais enfoncé dans la gadoue jusqu'aux genoux mais que tu dois speeder pour finir ta tournée de distribution parce qu'il y a l'apéro de départ en retraite d'Alain à 11h30, un collègue que t'adores même si t'es plus trop à l'aise avec lui depuis que t'as eu un petit flirt avec lui en 1995 dans la salle des minitels...
-Tu t'égares. 
-Non je ne m'égare pas, ce que je veux dire, c'est que tu te bats AVEC ce disque, même lorsqu'il te donne, en apparence, un peu d'air pour respirer...
-Le rapport avec Alain ?
-Alain ? C'est encore une analogie avec l'album : il te fout un peu mal mais tu l'aimes, tu accroches.  
D'ailleurs, cet état touche au paroxysme sur "Garden of Dismalism", sorte de condensé best-of, de titre-témoin de l'album en guise de dernière piste. Il y a tout ce qui fait le sel de Minors : puissant, éprouvant, presque cacophonique mais aussi intense et presqu'émouvant.
Minors n'est pas une révolution, ni même une évolution mais il lance enfin une année 2019 du hardcore avec un disque hyper solide. 
D'ailleurs, tu sais chez qui ça sort ?
-Ouais, sur le label Holy Roar et c'est distribué par Deathwish.
-Putain t'es calé.
-Non, j'ai lu le dossier de presse.
-Ben, ça en dit long sur la qualité du truc ? Quand en plus on le désigne comme un successeur de Cursed, de Trap Them etc. ça a de quoi faire te faire triquer dans ton caleçon Homer Simpson ?
-T'es bien vulgaire quand t'as pas ta casquette à visière.
-Tu sais, en dehors du service, j'suis une dingue. Pendant les repas de famille, c'est moi qui monte sur les tables à faire tourner les serviettes.
-Ah ben j'en doute pas.
-Bon, du coup, j'te fais une fleur : ton courrier je l'ai ouvert, j'aime bien ce qu'il y a dedans...mais j'vais te le donner quand même. 
-Ah merci, trop sympa ! lui dis-je en tendant la main pour récupérer l'enveloppe.
-Non non non mon garçon ! répondit-elle en reprenant d'un geste vif l'objet que je convoitais. Je ne travaille pas le dimanche.


Elle sortit un petit carnet de la poche gauche de sa robe de chambre, griffonna quelques mots, sortit un tampon de la poche droite. Tamponna brutalement, arracha le feuillet, me donna un double carbone.
Tu passeras le chercher au bureau de poste à partir de mardi. Ouvert entre 9h30 et 11h30 et 14h30-15h30.
Elle s'en alla en me remerciant et en vissant le casque Sennheiser sur les oreilles. La prise jack remuant toujours dans le vide. Le jour s'était levé, je baissais les yeux pour lire le mot sur le bordereau :



La connasse.

photo de Tookie
le 20/03/2019

3 COMMENTAIRES

Dams

Dams le 20/03/2019 à 10:33:58

Une chronique au top pour un disque au top !

pidji

pidji le 20/03/2019 à 10:40:11

En effet, bonne surprise ce disque

cglaume

cglaume le 20/03/2019 à 16:22:56

Haha, c'te chro ! :D

AJOUTER UN COMMENTAIRE

anonyme


évènements

  • Devil's DAY #2 à Barsac (33) les 18 et 19 mai 2024
  • Seisach' metal night #5 et les 20 ans de COREandCO !
  • Seisach' metal night #5 et les 20 ans de COREandCO !
  • Bongzilla + Tortuga + Godsleep à Paris, Glazart le 14 mai 2024