Neurosis - Fires Within Fires

Chronique mp3 (40:53)

chronique Neurosis - Fires Within Fires

Depuis la purge Honour Found In Decay (2012), précédent album de Neurosis, depuis les concerts vus entre 2007 et 2015 (2016 ayant apparemment marqué un retour aux lives sérieux), un étrange méli-mélo de lassitude, de prévisibilité et de mauvaise foi, j’imagine, avait initié une quantité d’a priori. Parmi ceux-ci un seul semblait acquis d’avance, avec une marge d’erreur oscillant entre 0,1% et 2,4% : la certitude de connaître à l’avance le profil de Fires Within Fires, onzième album. Il était donc promis à un avenir des moins radieux, en devenant leur troisième sortie consécutive à ne pas surprendre, malgré tout le bien que je pense de Given To The Rising (2007). Quant à ceux qui boudent depuis la direction clair/obscur prise en 2001 avec A Sun That Never Sets et la confirmation, radicalement éthérée, trois ans plus tard, avec The Eye Of Every Storm, c’est à peine s’ils se souviennent du nom du groupe. Bref, on était sûr de s’emmerder.

 

En 2016, après trente ans de carrière, dans un contexte rarement favorable à la radicalisation sonore (comprendre : alors que ces mecs avoisinent la cinquantaine), Neurosis fait quasiment l’inverse de ce que j’avais anticipé. J’étais pourtant parfaitement mis en condition, prêt à affronter un coma d’une heure, qui ne serait interrompu que par quelques sursauts rageurs récurrents. Des certitudes qui volaient en éclats à mesure que je me sentais de plus en plus con. D’une part, je sous-estimais, j’oubliais le talent et la hargne du groupe. D’autre part, j’étais perdu, parce que surpris. Fires Within Fires est-il un album incohérent, dépourvu de sens, bancal, ou est-il la première source d’étonnement depuis près de 15 ans, sous forme d’un retour à une musique instinctive et primitive ?

 

Prenez les douze minutes d’ouverture, ce terrible "Bending Light" : le premiers tiers peut laisser croire que Neurosis fonce droit dans le mur tout mou d’un sous-Eye of Every Storm croisé à un sous-Honour Found In Decay, c’est-à-dire un truc chiant. Puis viennent les guitares, la fameuse guerre venue d’Oakland. Neurosis explose comme il a toujours explosé, d’un coup sec ; en revanche, on avait oublié qu’il savait distribuer ce genre d’uppercuts. Quoique toujours aussi imposant, le son est plus cru et organique que prévu (toujours produit par Steve Albini, aux manettes depuis plus de quinze ans), l’agression est nette, rugueuse et râpeuse.

 

Dans les grandes lignes, le groupe paraît plus brut qu’il ne l’a jamais été depuis le passage à l’an 2000. Il nous rappelle que ses deux leaders se sont plus d’une fois essayé au folk (résultat admirable sur le titre final, "Reach"). Il conforte une partie de ses choix post-A Sun That Never Sets en s’envolant vers de belles parties éthérées – un faux-confort, plein d’aspérités. Il assène des coups de bûche particulièrement basiques, un hardcore métallique joué au ralenti, quelque chose qui rappelle finalement le Souls At Zero (l’album qui marque le début du Neurosis tel qu’on le connaît actuellement – leur premier chef d’œuvre). Et ce dernier point n’avait été anticipé par personne ou presque. Mieux, ou pire, Fires Within Fires ne dégage même pas la dimension unie et cathartique prétendument indissociable du sous-genre qu’ils ont démocratisé. Vous lirez ailleurs que ce onzième album est une pièce unique. Ici, j’écris l’inverse. Il ressemble par instants à un fourre-tout intégrant les climax les plus bruts et binaires de leurs premiers disques des nineties, la logique plus contrastée mise en place après Times Of Grace, quelques relents folk caverneux, et l’ensemble du savoir-faire du groupe en matière de magma sonore.

 

Globalement calme, mais constamment tendu. On est surpris car Neurosis n’étire rien, ne gomme aucune aspérité, casse brutalement les ambiances qu’il installe. 42 minutes est, chez Neurosis, un format court. Et en 42 minutes, le groupe ne s’égare plus et contraste parfaitement ses humeurs. Il cherche la bagarre. Fires Within Fires doit finalement être appréhendé de la même manière qu’il semble avoir été composé : avec un maximum de spontanéité. Cet instinct qui leur a permis de composer une poignée d’incontournables, leur offre aujourd’hui la possibilité de résumer trente ans d’histoire en un temps record. Ce sont cet instinct et cette urgence qui nous poussent à croire que Fires Within Fires ne marque pas nécessairement la fin d’une époque, mais peut-être bien le début d’une nouvelle. Et si cette anticipation s'avère fausse, on pourra toujours dire que Fires Within Fires aura joué le rôle du bout de trottoir dans la face, dans la seconde moitié de leur discographie.

Certains quinquas s’en sortent mieux que d’autres.

photo de Alexis
le 14/09/2016

13 COMMENTAIRES

pidji

pidji le 14/09/2016 à 11:20:37

Il est très bon, ouais. Et pour faire court, globalement du même avis que toi, même concernant les précédentes sorties.

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 14/09/2016 à 13:00:50

Malgré ta chro très solide, je ne crois que je ne vais pas réécouter le groupe, abandonné depuis pile poil 10 ans à cause de sorties passionnantes comme les conseils de cuisson sur un emballage de pizza surgelée.

pearly

pearly le 14/09/2016 à 13:08:52

ça se tient

Sam

Sam le 15/09/2016 à 17:20:59

Ho Pearly, encore actif par ici?

Pas encore écouté, mais bravo Alexis pour ta très bonne rédaction. Grosso-modo je suis d'accord avec toi sur les anciens, je me réjouis donc d'écouter ça

pearly

pearly le 15/09/2016 à 21:04:04

merci !

Jull

Jull le 23/09/2016 à 00:39:36

J'attendais de l'écouter avant de me prononcer. Normal.
Mais quand vous dites que Honour était une purge, déjà ce n'est pas le cas, et ce nouvel opus ressemble à si méprendre au précédent. La structure est la même, malgré uniquement 5 morceaux. C'est du classique Neurosis depuis une dizaine d'années, à savoir 3 albums. Donc pas de révolution pas de retour aux sources pas forcément grandiose mais pas forcément mauvais. Mais franchement la chronique est bien trop dithyrambique
The Eye et The Sun sont bien plus violent que celui-ci et nettement plus interessant
Note: 6,5

pidji

pidji le 23/09/2016 à 10:04:40

Ah non moi je le trouve nettement meilleur.
Les 2 derniers titres, aux influences folk, sont excellents.
Je ne dirai pas qu'ils se sont énervés de nouveau, mais je trouve ce disque bien plus intéressant que les précédents.

mat(taw)

mat(taw) le 23/09/2016 à 11:38:21

Je l'écoute pour la première fois à l'instant même et il est clairement plus inspiré qu'honor found in Decay. J'ai déjà eu des frissons qui ne m'ont jamais traversé pour celui cité précédemment. Notamment l'avant-dernier riff de "Fire is the end lesson" qui est juste magnifique avec cette gratte maléfique en fond. Putain ça fait du bien.
Après y a des trucs moins intéressants, clairement, genre Broken Ground c'est exactement ce qui est reprochable à Neurosis sur les dernières années... Mais dans l'ensemble c'est oui.

pidji

pidji le 23/09/2016 à 13:56:47

ah ouais ? broken ground je le trouve bon moi avec la gratte seche

pearly

pearly le 26/09/2016 à 08:14:17

Il y a, pour Neurosis comme pour tout, un tas de sens de lectures différents.

J'imagine que pour ce genre-là, leur genre, dans lequel tout se joue principalement sur des nuances (sauf si tu t'aimes à comparer Pain Of Mind et The Eye Of..., évidemment, c'est encore plus flagrant.

pas de révolution, on est d'accord. Dans l'absolu, il n'y en a jamais eu depuis Souls At Zero qui, dans sa niche stylistique, était une mini-révolution.

Quant au retour aux sources, comme je le dis, je ne le perçois pas de manière flagrante, ce n'est pas un rip-off d'un disque de 1993. C'est dans l'intention, l'aspect frontal, la tension, que je le ressens. Et il est constamment associé à quelque chose de éthéré, à l'image de ce qu'ils font depuis 15 ans.

Bref, je ne vais pas me répéter en intégralité, mais oui, j'y entends énormément de choses qu'ils ont développées à différentes périodes de leur carrière.

Quant à Honour, je maintiens, je le trouve nul. :D

pearly

pearly le 26/09/2016 à 08:19:23

et j'ajoute que je ne suis pas de la catégorie des boudeurs, que j'évoque dans mon intro :

j'adore the eye of every storm et given to the rising !

Eric D-Toorop

Eric D-Toorop le 26/09/2016 à 08:42:05

nan mais faut pas te justifier ^^
Neurosis est un groupe important, influent, créateur d'un genre ... pourquoi, ils s'emmerderaient à faire autre chose que du Neurosis ?
D'ailleurs, ils sortent - très consciemment - à quelques jours près ce nouvel album et réédite en vinyl Times of Grace.

pearly

pearly le 26/09/2016 à 08:57:59

pas de justification, juste une discussion ! :)

ça fait un bail que j'ai arrêté de justifier un quelconque avis en musique, ou de caler le mot "objectivité" haha

Et je suis de ton avis. Pourquoi devoir absolument changer ce que t'as créé ?

C'est une option hein, plusieurs le font, avec succès. D'autres font la même chose pendant 30 ans, et y a pas de soucis non plus !

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