Nostromo - Narrenschiff

Chronique Maxi-cd / EP (20:00)

chronique Nostromo - Narrenschiff

Pour celui qui n'a aucune sensibilité aux musiques énervées, Nostromo doit se résumer à un long fracas d'ustensiles de cuisine qui s'écrasent sur un sol carrelé et par-dessus lequel beugle Taz, le fameux diable de Tasmanie.

Un sentiment quelque peu regrettable, car n'entendre que des cris primaires portés par des instruments que l'on fait hurler est, certes, une affaire d'oreille, d'habitude, de goût mais, c'est aussi passer à côté de l'Histoire et d'une histoire.

 

NB : Entamer la causerie suivante sur Nostromo exige un minimum de connaissances sur le groupe...
Je suis persuadé que c'est ton cas, mais dans le cas contraire, je t'invite à relire cet article sur la réédition de leurs trois précédentes sorties...et surtout à les écouter.

 

Narrenschiff et l'Histoire :

 

Si tu crois que les Allemands ont gagné en 45, si t'es Alsacien, si t'as pris la langue de Goethe en LV1, tu auras traduit Narrenschiff en "La nef des fous". Et si en plus, t'es calé en littérature classique, ça te donne une petite idée de l'atmosphère du truc.
Si t'es un brin curieux, je t'invite à lire la page Wikipedia de l'oeuvre, plutôt de m'obliger à en faire un copié/collé.
Si tu t'en fous, sache que lier son oeuvre musicale à cette oeuvre littéraire, c'est ne pas vouloir se la jouer jouasse. (ex : Bosch a mis en peinture cette nef, ça en dit long non ?)

Sombre, déprimante même, clairement désabusée, voire haineuse : c'est ainsi que l'on pourrait décrire en quelques mots La nef des fous. Ce n'est donc pas un choix hasardeux de la part de Nostromo (et puis ça nous change de l'Enfer de Dante que tout le monde a déjà revisité).
L'association est imagée, la pochette étant une représentation sculptée de l'ouvrage de Brant (qu'on trouve à Hamelin en Allemagne signée Juergen Weber). On avait déjà pu vérifier avec notamment Ecce Lex, l'importance pour les Suisses d'associer leur musique et leur pochette à une oeuvre classique (à l'époque : poésie et peinture). Ce rapprochement est aussi sensible dans les paroles comme sur "As Quasars collide". Encore une fois, l'espère humaine y prend pour son grade (faut dire qu'elle l'a bien cherché). L'atmosphère qui est insufflée dans les mots se rapproche fortement de l'ambiance des vers de Brant.
Enfin, musicalement : la dernière piste d'une courte de durée (1min32) est une superbe outro avec la voix traficotée de l'ancien leader de Kat Onoma qui lit quelques vers du fameux ouvrage sur fond de guitare tortueuse avant que le disque ne cesse de tourner sur un grésillement...

 

Narresnchiff et l'histoire de Nostromo : (attention, il s'agit de pures suppositions, peut-être même d'une surinterprétation)

 

L'oeuvre misanthropique Narrenschiff rebroyée et mise en musique par Nostromo fait aussi écho à l'histoire du groupe.


Lorsqu'on reçoit une copie numérique d'un album, elle est généralement accompagnée d'une petite mise en contexte qui mâche le travail des scribouilleurs du net. Dans le cas de Nostromo, on a reçu la musique (heureusement), la pochette en jpeg (comme toujours), une bio (OK), associée à une mise en contexte de ce disque (ha, ça devient intéressant !) et même les paroles (une démarche trop rare).


Voici le  "À propos de Narrenschiff" qui nous a été envoyé :


Basé, comme son titre l'indiquera aux germanophones, sur « La Nef Des Fous », récit du poète strasbourgeois Sébastien Brant, Narrenschiff évoque la vie des membres du groupe ces deux dernières années. Embarqués dans une aventure qui les excite autant qu'elle les dépasse, et qui a pu certaines fois être perçue dans leur entourage comme une folie, une fuite en avant, une lutte perdue d'avance contre la mort. Le disque se clôture d'ailleurs assez naturellement par un extrait du texte original, en allemand, interprété par un invité, lui, nettement plus surprenant, puisqu'il s'agit de Rodolphe Burger, ex-leader de Kat Onoma.
Parce que Nostromo a du temps à rattraper, et pas seulement parce que le groupe a été absent pendant plus d'une décennie. Aussi parce qu'il a fallu trouver un remplaçant à leur batteur, qui a été remercié, laissant sa place comme une évidence à Max de Mumakil. Un bouleversement qui a injecté un supplément d'urgence dans l'entreprise, et qui souligne indirectement un autre aspect central de Narrenschiff : son infinie noirceur. 
Clou définitif, enfoncé avec une fureur inouïe, Narrenshiff montre surtout Nostromo sous un jour inédit, plus déterminés et impressionnants que jamais, prêts à récupérer, enfin, la couronne dont ils auraient depuis longtemps du hériter. 

 

 

Il y a une phrase intéressante dans ce dossier explicatif (notamment sur l'aspect "personnel" du disque pour le groupe) au premier abord, relativement banal : "Aussi parce qu'il a fallu trouver un remplaçant à leur batteur, qui a été remercié, laissant sa place comme une évidence à Max de Mumakil".
Généralement, les attachés de presse se contentent d'écrire une phrase du genre : "suite au départ de truc, machin a intégré le groupe". Mais les mots ont leur importance : le batteur a été remercié. Le préciser en ces termes ne peut rien avoir d'anodin.
Ce choix de la précision peut donner une toute autre résonance aux mots, aux paroles. L'oeuvre Narrenschiff fait écho aux travers des hommes, mais, comme la biographie du groupe le laisse entendre, Narrenschiff évoque aussi la vie des membres du groupe depuis sa reformation. Lorsqu'on met ces infos parallèlement aux paroles, on a alors parfois l'impression d'un règlement de compte.
Ainsi, sur "Taciturn", le chanteur semble s'adresser directement à quelqu'un de proche, lui proposant de fermer la porte derrière lui...
Mais, plus généralement, toutes les paroles de ce disque sont bouffies de misanthropie, de colère contre les personnes dites "toxiques". Les références aux profiteurs, à ceux qui utilisent / manipulent les faiblesses sont récurrentes dans ces 20 minutes. Voilà qui donne, de toute façon, un caractère très personnel à cet EP, que la cible soit celle que l'on peut lire entre les lignes d'un dossier de presse, ou à l'adresse plus générale d'une humanité que le groupe observe avec pessimisme voire haine.


Plus généralement et dans sa globalité, Nostromo n'a rien changé de sa personnalité. En dépit de ce qui a accompagné la naissance ce disque, malgré le changement de line-up, ce retour aux affaires après l'apéro-musical que fut Uraeus, la musicalité du groupe reste le même que celle qui animait déjà la bande à l'époque d'Ecce Lex.

On sort éclaté d'une écoute fluide malgré la violence du propos. Magnifié par la production hyper propre, dans l'air du temps, chaque protagoniste déploie tout son savoir-faire pour tarter les oreilles de celui qui les écoute. C'est puissant, fort et bien plus fin qu'il n'y paraît. Il serait bien pauvre de s'amuser à faire du track-by-track pour faire étalage des qualités du groupe : on les connaît. Ce grindcore 5 étoiles, peut même laisser l'impression d'être quelque peu fainéant tant le groupe semble en mode "pilote automatique". Une aisance d'écriture et une rage qui placent toujours Nostromo largement au-dessus du lot.
 

photo de Tookie
le 13/03/2019

7 COMMENTAIRES

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 13/03/2019 à 11:38:21

Remettre en perspective le fond d'un skeud avant de causer de sa forme me parait essentiel et trop souvent zappé par fainéantise du chroniqueur. Comme s'intéresser aux paroles d'un groupe… Sinon le morceau est du pur Nostromo.

gui THYS

gui THYS le 13/03/2019 à 11:58:39

que ça fait du bien de lire une chronique si bien écrite ! ça donne envie d'écouter ce disque et de passer outre sa méconnaissance du sujet ! merci tooktook

Seisachtheion

Seisachtheion le 13/03/2019 à 15:54:50

Gros travail sur cette chronique en effet...

Dams

Dams le 13/03/2019 à 20:28:26

Tout est bon dans ce cochon !

el gep

el gep le 14/03/2019 à 08:54:45

Chronique très bien écrite, ça fait plaisir, oui.
Mais je me fais souvent « Mouais... » quand ça commence à tirer sérieusement sur la manche des fameuses « références ». J'ai toujours l'impression que des groupes cherchent, consciemment ou non, à s'auréoler de la lumière de plus grand qu'eux pour... bah, encore une fois, sciemment ou non, briller en société, quoi. Imagine un groupe un peu neuneu qui t'explique qu'il s'est inspiré de Dostoïevski pour son nouveau concept-album... J'dis pas que c'est forcément le cas ici, mais insister lourdement sur ces références a quelque chose de suspect. Après on en vient à parler de façon délirante comme dans les magazines genre « c'est de l'Art Total », blah,blah,blah,boueeeerk !
Surtout que dans la musique faudrait pas oublier que le fond EST, en immenses proportions, la forme.

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 16/03/2019 à 02:15:10

Oui Gepeto, cependant Dostoïevski, c'est un peu comme le choléra: un vilain virus.

el gep

el gep le 16/03/2019 à 21:55:00

J'ai adoré "Crime Et Châtiment". J'ai rien compris aux "Démons", les persos pouvaient être appelés de trois noms différents, selon les moments. Y'a 15000 persos. Des noms russes! Impossible de savoir qui était qui, de mémoriser quequoidoncoù. J'ai trop bu dans ma vie, sans doute...

Et pis sinon, merde, on parle de Grindcore, bordel! Le fond c'est la forme dans ta gueule, quoi!

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