Oxbow - Thin Black Duke

Chronique CD album (38:58)

chronique Oxbow - Thin Black Duke

Des zazous en costumes tweedés vert vieux, à l'étroit dans les coutures, biceps tendant le tissus, claquent des doigts nonchalamment dans le salon à la moquette épaisse. L'un d'eux a marché dans une merde et s'essuie la godasse sur les plaintes couleur acajou, l'odeur emplit la pièce, couvrant celle des petits fours et du thé fumé.

La nonchalance vacille quand un autre s'assied sur le demi-queue, produisant un soudain Kluster strident. Il se prend direct une droite d'un de ses compagnons, le plus petit et, forcément, le plus teigneux de la bande.

La bagarre entre « amis » est évité de justesse par l'arrivée de la Lady en porte-jarretelles, culotte délicieusement fendue et soutien gorge ajouré. Avec tendresse, le blessé léger lèche le sang qui coule de sa lippe. L'odeur de merde est vertigineuse, ça ne les empêche en rien de se lancer, en silence, dans une séquence porno soft qui tire sur le très dur à plusieurs rapidement.

Un gars massif se tient à l'écart, il observe les scènes se succéder en scénarios prévisibles d'un air amusé et distant, comme si tous étaient des objets animés stupides. Il griffonne sur son carnet, dodelinant de la tête au rythme de la musique de chambre, sourit à l'arrivée du hautbois, fait craquer ses phalanges au son des cuivres, cligne parfois de l’œil sur le xylophone puis enfin se lève comme un chat s'étire et pianote quelques notes ambivalentes sur le Bechstein en marmonnant. Viennent des plaintes et des bruits de chèvre sortant modulés par ses lèvres élastiques, pendant de longues minutes.

Alors il tourne la tête : plus de sons humides, tous ont arrêté de baiser comme des lapins et le regardent incrédules, n'osant sans doute pas rire, encore moins parler.

 

Finalement la Lady murmure qu'elle a froid et qu'elle doit partir. Le petit teigneux la retient par la cuisse, elle ne proteste pas. « C'est lui qui s'en va », dit-il.

 

Le gros duc noir se lève de la banquette piano à 600 euros et sort, calepin à la main, dans la rue, se dirige vers la Jaguar qui semble l'attendre sous le crachin mortifère d'Angleterre.

Il s'assied côté passager avec un soupir.

Un grand blanc-bec livide le rejoint peu après, il glisse un étui de guitare à l'arrière et prend place derrière le volant. « It's so cold in here it seems hot in here ».

_ Tu as trouvé ce que tu cherchais ?

_ Je cherche encore, mon ami.

_ Tu chercheras toujours.

_ Je peux toujours chercher.

_ Et sinon ?

_ L'un d'eux a marché dans une merde, la Lady est toujours aussi belle qu'idiote, ce qui la rend pas si désirable.

_ Tu vois toujours les gens plus beaux qu'ils ne le sont.

_ C'est bien pour cela que je les déteste.

_ Tu n'as jamais été à l'aise avec la mélancolie.

Le duc noir, comme ces cons l'appellent, hausse ses puissantes épaules comme pour dire qu'il n'y a pas à l'être, jamais. D'ailleurs :

_ La mélancolie est une merde dans laquelle on marche, il faut s'en débarrasser, absolument, quitte à s'essuyer sur les jambes du voisin. Une malédiction.

_ Je ne te connaissais pas cruel.

_ Tais-toi donc et roule.

Le grand blanc-bec livide le dévisage et rit.

_ Tu sais comment ça se conduit une Jaguar ?

_ Ça ne doit pas être si compliqué, si cet abruti y arrive, pourquoi pas toi ?

_ Tu sais si on nous a vus ?

_ Aucune chance, il sont trop occupés à nettoyer la merde, là-haut.

photo de El Gep
le 09/05/2017

2 COMMENTAIRES

pidji

pidji le 09/05/2017 à 11:34:26

toujours aussi inspiré ;)
Sinon ce disque est cool, mais je n'ai pas eu la même claque qu'avec le précédent, dommage

el gep

el gep le 10/05/2017 à 23:19:51

C'est un disque presque tranquille, en tous cas cas presque dénué d'agressivité, fin et subtil, drôle parfois (les marmonnements d'Eugène, toujours inénarrables...), au charme de chambre baroque, sournois mais pas vraiment méchant...
C'est pas "Serenade In Red" ou "Fuckfest", quoi, normal aussi...
De toute beauté mais qui ne chamboule pas totalement, quoique... tout dépendra de l'auditeur et de son état. Avec le pantalon en bas des jambes, ça peut être très classe.

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