Pierre Avril "le Scribe Du Rock" (auteur) - Black Metal. Quand Le Metal devient noir (vol. 1)

Chronique Livre (220 p.)

chronique Pierre Avril

Les Éditions des Flammes Noires, créées fin 2019 par Émilien Nohaïc et établies en Bretagne, jouissent certes d’une brève existence, mais cela ne les empêche pas de se consacrer ardemment à un travail qui ne manque pas d’intérêts. Et pour cause : elle s'est spécialisée « dans le metal et le metal extrême » ! Après deux premiers bouquins sur Rotting Christ et le Mayhem des années 1984-1994, elle a posé son dévolu éditorial pour son 3e objet-livre sur une musique bien appréciée par votre obligé : le Black Metal et plus précisément sur ses deux premières vagues (1980-1999).

 

L’auteur de Black Metal. Quand le Metal devint noir – cela aidera sans nul doute – est un familier des metalheads français, puisqu’il s’agit de Pierre Avril, plus connu sous le surnom de « Scribe du Rock ». Ce blogueur, mobilisé par ailleurs dans plusieurs projets musicaux comme Cagoule et Punkosaur, n’en est pas à son premier essai, lui qui est déjà auteur de deux bouquins : Punk & Metal : les Liaisons Dangereuses en 2016 et GG Allin, Antéchrist de l’Extrême en 2018, tous deux chez Camion Blanc.

 

Son amour pour le Black Metal, qui remonterait aux années 1980, est vif et sincère et, à dire vrai, c’est le premier point fort de ce livre, car cet attachement suinte à chaque page noircie de sa plume. Depuis l’écoute d’un album de Bathory, cette musique l’a marqué, « corrompu », pour elle-même, mais aussi pour son « message », ses images, ses « incantations », et il essaie alors de comprendre pourquoi !!! Il aborde avec modestie l’ « arborescence » de cette musique qui offrait déjà un visage bien peu homogène dès les années 1980 et 1990, avant même donc le pullulement de sous-genres depuis le début des années 2000. Dès les origines, on relevait un « écart gigantesque de sonorités, de designs, de textes ». En effet, pouvons-nous raisonnablement mettre sur un même plan Celtic Frost et Venom, Mayhem et Burzum ?!? Même le satanisme apparaît comme un liant partiel. Le Scribe avance donc tout au long de son ouvrage avec prudence tant « le BM reste sauvage et indiscipline, à la fois fier de ses traditions et irrespectueux au possible de l’humanité qui l’entoure. Aussi conservateur qu’anarchiste pourrait-on dire. » (p. 18) Le propos n’en demeure pas moins précis ; sa connaissance des évolutions de chaque line-up ou celle des différentes phases créatrices des groupes analysés est assez impressionnante.

 

En outre – et il s’agit là de la seconde ligne de force –, l’auteur s’appuie sur les acteurs du Black Metal – groupes, labels comme medias –, sans les interviews desquels pour reprendre les mots du Scribe ce « livre n’aurait pas la même valeur » ... Ces entrevues, inédites le plus souvent, plus rarement extraites de son blog, donnent du corps à sa démarche. Les choix sont originaux, dans la mesure où sont retranscrites les paroles du Canadien Ryan Förster de Blasphemy (p. 34-39), l’éditeur Dayal Patterson, auteur du célèbre Black Metal : Evolution of the Cult (p. 61-65), l’Allemand Ash de Nargaroth (p. 107), le Transalpin Joe de Cultus Sanguine (167-170) et enfin l’Anglais Byron Roberts de Bal-Sagoth (p. 198-206). Les Blackeux ne semblent pas déborder d’altruisme et maugréent contre les formations qui auraient franchi « le Rubicon commercial » : « Le black metal était à l’époque un art assez exclusif que l’on ne partageait pas avec trop de gens. C’était quelque chose de très important pour moi. Aujourd’hui, des gens de tous les horizons écoutent du black metal et apportent leur mentalité new-age dérangée sur la scène. Et je méprise tout ça. » Le verbe d’Ash est âpre et il s’en prend à toutes les novations contemporaines du Black (Post-, Avant-Garde, …), des « aberrations dérangées et honteuses de l’esprit libéral » (p. 118).

 

Enfin, la troisième atout est la belle rencontre que l’on retrouve là entre un éditeur passionné, un auteur/blogueur/musicien motivé et un illustrateur talentueux, en la personne Maxime Taccardi. Ses dessins revêtent « une forme de catharsis », en y insufflant toute la noirceur et toute la négativité que le Black Metal porte en lui. Je n’ai pas seulement apprécié ses esquisses démoniaques (p. 5), les réappropriations plastiques des visuels cultissimes de Venom, Darkthrone, Emperor, Bathory, Mayhem etc. (p. 13-14, 20, 49-50, …). Mais c’est sa vision à la fois graphique et réflexive de notre monde qui marque le regard et l’esprit, un monde froid, individualiste (p. 9), torturé (p. 12, 129-130), recroquevillée (p. 4), destructeur (p. 142), mortifère (p. 165-166, 171, 190, 208), justement souvent dénoncé par l’imaginaire et les paroles du BM. Vous vous rendrez compte par vous-mêmes en feuilletant ces pages, que le travail de Maxime Taccardi est une authentique plus-value, mieux un élément constitutif de ce livre.

 

En fermant ces pages (220 au total tout de même !), je vois bien à quelle point l’édition est en soi une aventure intellectuelle et collective passionnante, mais fondamentalement fragile et risquée, plus encore ici lorsque cette Maison se positionne sur ce que d’aucuns pourraient appeler une « niche ». Mais c’est peut-être, à rebours de cette acception, le meilleur moyen d’obtenir un résultat précis, plaisant et convaincant, fruit d’une entreprise déterminée. Et l’ambition est bien là et elle ne s’arrête pas d’ailleurs à cet opus ! Non seulement ne s’agit-il ici que d’un premier jet sur cinq au total – un second, consacré au BM français, est déjà en route –, mais les Editions des Flammes Noires fourmillent d’idées, qui ont déjà trouvé des réalisations bien palpables, avec des monographies sur d’autres groupes (Moonspell, Morbid Angel, Paradise Lost en plus des deux déjà cités), sur des pays et des scènes nationales (Arménie), sur des artistes (Jeff Grimal) ou encore avec des essais plus personnels, tels la Vision du Black Metal proposée (légitimement) par Sakrifiss.

 

À l’évidence, de belles lectures en perspective qui montreront sans doute, que, malgré tout son nuancier, le Black Metal n’est pas totalement dilué, dissous, « non, le Black Metal n’est pas mort » ! « Minoritaire » oui, mais bien « vivace », tel un « typhon » dont les lames de fond n'épargnent aucun continent habité !

 

photo de Seisachtheion
le 11/09/2021

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