Saad Jones - Violent instinct

Chronique Livre (240 pages)

chronique Saad Jones - Violent instinct

Les oeuvres de Dante, Poe, Lovecraft et de dizaines d'autres écrivains ont été et sont encore des sources inépuisables d'inspiration pour de nombreux groupes de metal. Des paroles de chansons, des albums conceptuels, des tenues ou des mises en scène ont parfois ouverts à des mélomanes le plaisir de découvrir des auteurs aux formidables univers.
Mais si le metal sait s'inspirer d'oeuvres littéraires, l'inverse est beaucoup moins vrai.

 

Lorsqu'un personnage fan de metal déboule dans un roman / film, il / elle est généralement dépeint(e) avec de gros clichés : gothique, percé(e), écoute très fort un brouhaha déprimant tout en geekant (ou a d'étonnantes facilités à hacker).
Un triste manque d'imagination des scénaristes suprenant, le monde du metal étant assez riche avec des personnages parfois hauts en couleurs. Bref, le metal peine à s'imposer dans les oeuvres culturelles en général et dans les oeuvres populaires en particulier.

Preuve de ce vide, même le "prix littéraire" du Hellfest, le prix Inferno, est un partenariat commercial qui ne récompense que des livres édités chez Bragelonne, maison qui ne publie que de l'Heroic-Fantasy. Un partenariat limité, pour un style littéraire limité, avec une sélection très limitée. 
Rien qui ne serve la littérature là-dedans, pour un prix qui n'a pour unique mérite que de souligner l'absence de la "culture metal" et du metalleux dans l'écriture romanesque en France.

Alors quand arrive Violent Instinct de Sa(a)d Jones, il y a comme une petite sensation d'inédit à la lecture de la 4ème de couverture...puis des premières pages.
En quelques mots, on pourrait ainsi résumer la base de l'intrigue : 

Qui ? Un groupe de metal, du nom de HM, en pleine ascension avec pour chanteur un certain Tilio. 
          Un fan du groupe, Dan. 

Où ? À Londres et à Beyrouth.

Quoi ? Pour rester flou : des rencontres et quelques événements qui vont évidemment dépasser les principaux protagonistes.


Cette présentation, aussi vague que succinte (pour ne rien dévoiler du roman), suffit déjà à souligner une volonté de sortir des sempiternels clichés géographiques tout en plaçant la musique au centre de l'écriture du roman...

Cela passe par des petits clins d'oeil (qui ne manquent pas de sens) comme les chapitres dont les noms sont des morceaux bien connus (et de sous-genres variés) ou par l'astucieuse couverture (qui mérite des regards prolongés). Mais, c'est surtout par le biais de longues descriptions (ex : sur le comportement des musiciens sur scène, sur les effets que peut procurer l'écoute d'un titre emballant pour un fan) que Sa(a)d Jones s'enfonce dans notre "contre-culture".
On peut tout de même regretter que l'auteur n'aille pas plus loin avec une véritable plongée dans le monde du metal, se contentant juste "d'égratigner" divers sujets (comme la promotion d'un album, les festivals, les critiques etc.) sans vraiment s'y attarder, des sujets qui auraient éventuellement pu nourrir l'intrigue.
Ces choix sont ceux de l'auteur qui a préféré se pencher sur d'autres questions pour les besoins de l'histoire...et préférant orienter son texte sur des descriptions et mettre des mots sur l'état d'esprit de ses personnages.

 

Sa(a)d Jones écrit bien. Très bien même. Il est surtout doué d'une grande sensibilité qui transpire jusque dans son style.
Les descriptions des lieux et des personnages, sont très importantes et toutes les phrases sont riches d'adjectifs qualificatifs. Un automatisme qui peut parfois sembler lourd dans des phrases heureusement assez courtes, sauvant ainsi le rythme de lecture.
Certains aimeront la richesse du vocabulaire avec un niveau de langage accessible mais fin.
D'autres regretteront que l'écrivain s'attarde avec autant de lyrisme sur des paysages et des descriptions précises bridant ainsi l'imagination du lecteur.
Un choix à double-tranchant puisque Sa(a)d parvient dans tous les cas à poser les bons mots pour que l'on se crée des images détaillées des lieux (on sent un réel plaisir à décrire le Liban), des personnages et des événements.

Mais, inévitablement, l'intrigue pâtit de ces arrêts descriptifs et peine quelque peu à décoller. 

Afin d'offrir un départ tonitruand à son ouvrage, Sa(a)d entame son livre par l'événement dramatique qui clôturera son livre (Spoil de la page 2 : Tilio se fait tirer dessus) et effectue ensuite un retour en arrière afin de trouver / comprendre les causes et les responsables de cet événement.
C'est classique, vu et revu, mais toujours hyper efficace. Sauf que l'auteur est ensuite rattrapé par son envie de trop bien faire : il s'attarde donc sur tous les détails et présente au mieux ses personnages.
Un opération toujours délicate qui tend à rendre le cheminement et la psychologie des personnages logiques et crédibles...ce qui fonctionne très bien ! 
Entre les divers événements vécus par chacun, et les réactions des protagonistes, on voit se tisser, peu à peu, la toile dans laquel Jones souhaite nous attraper et nous retenir jusqu'à la dernière ligne !


Un démarrage un peu lent, donc, mais la progression dans le roman se fait de plus en plus rapide pour finalement s'accélérer dans les 80 dernières pages. 

Tout ça parce qu'on n'a pas de bonne histoire sans de bons personnages. 

Encore une fois, on sent tous les efforts de l'auteur pour brosser des portraits à la fois originaux et facilement identifiables. Chose faite à la perfection avec Dan ou (la très complexe) Marie. Sa(a)d Jones tombe un peu plus dans la facilité avec le Marquis ou même, hélas (car important), Zafer. Sans être particulièrement marquants, d'autres personnages secondaires tels que Ziad, Karam etc. sont vraiment réussis et utiles à l'avancée de l'intrigue.

Le cas de Tilio, le personnage principal, mérite un arrêt plus long car il souffre d'un énorme défaut : on peine à s'y attacher, et ce, bien que l'écriture nous fasse parfaitement passer ses malaises et ses questionnements. Ses réactions répondent à une certaine logique (parfois extrême mais logique malgré tout) sauf que l'on ne s'attache pas à l'homme mais à son destin, uniquement dans le but de mieux connaître ses ennemis. Cette faiblesse (subjective je le rappelle) n'entame pas la qualité d'écriture de Violent Instinct, car, Tilio demeure intéressant à suivre, par intermittence, pendant près de 250 pages.


Sa(a)d Jones essuie les plâtres : les siens (c'est son premier roman) et celui d'un sous-genre de niche (le roman metal).
L'intrigue s'efforce d'être originale, et l'on voyage aussi bien de nuit dans un parking anglais que sous le soleil étouffant du Liban. 
Le ton et le vocabulaire ne collent pas vraiment avec ce que l'on pourrait attendre d'un livre qui se déroule dans cet univers. Là encore, ce sera à l'appréciation des lecteurs, mais cela ajoute, peut-être involontairement, à l'originalité de l'écrit : on ne sombre pas dans le gore, le vulgaire, la violence gratuite, c'est écrit pour être crédible et cela casse ENFIN les clichés un peu "vulgaires" qui entourent le monde du metal.
Alors, évidemment, il y a des défauts, des faiblesses, des points à améliorer : c'est une première.
Malgré tout, il y a de fortes chances pour que celui qui aura la bonne idée d'entamer ce livre l'achève. On se fait vite aux mots de l'écrivain, on se pose de nombreuses questions (qui trouvent toutes des réponses grâce à une intrigue solide et un récit intelligent [jusque dans le choix des prénoms des personnages]) et il serait dommage de passer à côté de 250 pages qui mettent ENFIN en valeur le metal et la passion dévorante que cette musique peut avoir sur ceux qui la jouent ou qui l'écoutent...

 

photo de Tookie
le 07/04/2018

3 COMMENTAIRES

cglaume

cglaume le 07/04/2018 à 17:27:29

Sympa ça, une chronique de roman!

pidji

pidji le 07/04/2018 à 18:03:04

Sympa ça, une chronique de roman!

winter

winter le 08/04/2018 à 10:28:26

Oui, il est chouette ce roman ! Je ne savais pas que vous chroniquiez des livres. Je prends (très) bonne note...

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