Secret Chiefs 3 - Book of Horizons

Chronique CD album (52:56)

chronique Secret Chiefs 3 - Book of Horizons

Je n'ai jamais été très fan des chroniques qui commencent par une longue bio du groupe étudié: ce genre d'informations objectives fait en général un peu remplissage dans un papier par essence éminemment subjectif, et dont la fonction est de parler de la musique plutôt que des musiciens. Mais avec le "Book of Horizons" de Secret Chiefs 3, on a affaire à un tel jeu de piste – dont les clés se trouvent en partie dans la compréhension de ce qu'est le groupe – que je vois mal comment on pourrait couper à l'exercice. Alors hop, à la ligne, et suivez le guide! 


Démarré par Trey Spruance comme un simple side-projet au line-up intégralement composé de membres de Mr Bungle (et très proche de ce dernier dans l'esprit, le mysticisme en plus), Secret Chiefs 3 va progressivement canaliser son hyperactivité artistique autour d’un bouquet fait de musiques orientales, de surf-rock, de métal extrême, de B.O. hautement orchestrale et d'une petite pincée de bidouillages électroniques. Et pour organiser méthodiquement cette schizophrénie stylistique, M. Spruance décide de scinder physiquement l'entité Secret Chiefs 3 en pas moins de 7 groupes différents, chacun ayant sa spécialité: le death et autres hymnes au Grand Cornu pour Holy Vehm, les folklores ensoleillés pour Ishraquiyun, les musiques de film pour les Traditionalists, etc. Si ce partage des tâches était effectif depuis quelques temps déjà, ce n'est que depuis "Book of Horizons" qu'il devient aussi officiel qu'explicite, 6 des 7 "sous-groupes" secret-chiefiens se partageant les presque 53 minutes de ce 4e album.


Etant donnée la personnalité multi-facettes de la formation, vous ne serez pas étonnés d'apprendre que ce premier d’une série annoncée de 3 « livres » nous entraîne effectivement vers des horizons très différents les uns des autres, et ceux pour qui la musique doit être une longue et large piste verte fraichement damée seront quelque peu déboussolés à l'abord de cette séance de hors piste perpétuel. Sauf que bien que très diversifié sur la forme, le propos des Secret Chiefs 3 est étonnamment cohérent sur le fond. Un: parce que l'ensemble – essentiellement instrumental – s'inscrit quasiment en continu dans une démarche BO-esque (même si – contrairement à la spécialité des Traditionalists – ce n’est pas toujours dans un registre Ennio Morricono-Danny Elfmanien grandiloquent). Deux: parce qu'en alternant intelligemment les interventions des différents groupes plutôt qu’en les juxtaposant en une succession indigeste, Trey remet sans cesse du charbon dans la machine et donne des points de repère à l'auditeur, celui-ci retombant à intervalles réguliers sur les mêmes couleurs musicales. Trois: parce qu'un groupe comme The Electromagnetic Azoth constitue un efficace trait d'union Bunglien entre toutes ces différentes personnalités artistiques. Et pour couronner le tout, la plupart de ces groupes a une tendance certaine à empiéter sur les plates-bandes des petits camarades, ce qui finit de consolider la Tour de Babel spruancienne en une fière et solide Minas Tirith musicale.


C’est « The End Times » qui ouvre le bal sur une bluette extrême-orientale, ambiance « The Grand Duel – (Parte Prima) » (de Luis Bacalov, sur la B.O. de « Kill Bill »). Puis Ishraqiyun vient balancer des piments et de la canelle dans notre bol de Nesquik, entrouvrant les rideaux sur le soleil et le brouhaha joyeux d’un matin d’Ispahan. Viennent ensuite les Traditionalists qui nous rappellent les racines Bungliennes du groupe en sortant de leurs rôles d’orchestre Hollywoodien pour bruiter une scène particulièrement lugubre d’un vieux film d’horreur, préparant avec à propos l’auditeur au déferlement de violence d’un Holy Vehm tous blasts, shrieks and growls dehors (mais aussi, vous avez raison, un son de batterie est un peu lég’…). Puis retour à la B.O. sur « The Owl in Daylight », avec un enchevêtrement touffu d’ambiances furtives mais très cinématographiques... Qui laisse bientôt place à la magnifique démesure classique de « The Exile », morceau qui élève l’âme par excellence (OK, ça ne veut rien dire, mais bon, ça illustre bien le propos)…

Mais, mais ... Ne serais-je point en train de tomber dans le travers du chroniqueur du dimanche qui commente laborieusement toute la tracklist? Bon, tant pis, buvons – mais rapidement, hein – la coupe jusqu’à la lie… Les 2 morceaux de The Electromagnetic Azoth cumulent les défauts et les qualités du Mr Bungle période « Disco Volante »: ça part un peu (trop) dans tous les sens, mais c’est blindé d’idées géniales. La reprise du thème de « The Exodus » offre ensuite à UR la possibilité de mettre en musique l’une de ces scènes grandioses et cliché comme les affectionne Tarantino, à la fois épique, un peu kitsch, sentant le cambouis et la poussière du désert. Et de crise d’épilepsie death en retour sous le soleil d’orient, de kaléidoscope musical en mélange surf rock / retro-electro à la Chrome Hoof, l’album s’achève en fanfare dans une débauche de notes où copulent ambiances foraines, scintillements de Noël et orchestrations théâtrales, le point d’orgue étant atteint sur les grandioses intonations de chœurs rappelant un peu (si si) ceux de l’armée rouge – ce qui constitue par ailleurs la 2e grande entorse au caractère instrumental de l’album, après les éructations démoniaques de Holy Vehm.

Comme il est de coutume avec ce genre d'œuvre colossale charriant plus que de la musique – bien plus: tout un univers en fait, ou du moins toute une vision complexe, dense et singulière –, les mots sont peu de choses (même si on fait de notre mieux…). Ce « Books of Horizons », au même titre que les créations de Sleepytime Gorilla MuseumChrome Hoof, ou Estradasphere – est une expérience qui se doit d’être vécue. C’est un tour de grand 8 musical dont le décor est la B.O. d’un film improbable, situé à la croisée d’un nombre impressionnant de genres. C’est « L’île du Dr Moreau », « Salut l’Ami, Adieu le Trésor », « Le Lagon Bleu » et les essais nucléaires de Mururoa, le tout enchevêtré en une partouze géante sur le sable chaud d'une plage naturiste. En tout cas, à l’écoute de ce patchwork génial, on n’a aucun mal à imaginer que le père Trey Spruance soit sujet à des visions mystiques …     

photo de Cglaume
le 05/01/2011

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