Rome Buyce Night - Interview du 29/05/2020

Rome Buyce Night (interview)
 

Voilà 10 ans, vous publiiez Ann Arbor, un album majeur, pour vous et pour les amateurs d'une scène électrique alternative. À l'époque, vous évoquiez l'urgence d'enregistrer dans un studio, loué pour quelques heures où il fallait parer aux problèmes techniques, aux contraintes de temps ? Quelles ont été les conditions d'enregistrements de Aether ?

 

Guillaume Collet : Ann Arbor a été enregistré sur une période de quelques mois mais avec une fréquence de répétitions assez importante au Studio Campus à Paris. On se voyait toutes les semaines. Même si la durée d’enregistrement était courte (deux heures voire quatre), nous avions l’avantage de travailler de manière régulière nos compositions. On le sent l’album est très cohérent, très dynamique, voire nerveux en comparaison de nos précédentes compositions. De mon point de vue, Aether c’est un peu l’inverse. L’album a été enregistré sur une période de deux-trois ans au cours de journées d’enregistrement au Studio DGD de Pantin. Nous avons dû en faire 4 ou 5 seulement sur cette période, ce qui revient à dire 2 par an ! Antoine vit à Nantes et Jérôme était sur le départ pour Marseille. Difficile de se retrouver entre nos jobs respectifs, les enfants etc. Nous ne pouvions pas faire la même chose. On a envisagé de faire différemment, de profiter d’être ensemble pendant 8 heures pour tester de nouvelles choses, une nouvelle répartition des rôles. Pour ma part, j’ai repris la guitare, car je ne voulais plus jouer de la basse, j’avais l’impression de tourner en rond… de toujours faire la même chose. il y a des choses qui ont fonctionné, d’autres pas du tout. Le résultat est assez varié, certains pourraient nous dire qu’il y a moins de cohérence. C’est vrai d’une certaine manière. Nous avons finalement fait le choix de sélectionner les titres qui nous ont semblé les plus intéressants, au risque d’être moins cohérent ; au lieu de proposer quelque chose de plus homogène mais qui pouvait apparaître plus monotone. On verra un jour si on a eu raison de faire ça.

 

Antoine Ducoin : Le groupe s’est toujours adapté à la situation de chacun. On se retrouve, et quelle que soit la fréquence ou la durée des répétitions, l’endroit où on les fait, je me dis qu’il en sortira toujours quelque chose, qui sera représentatif des instants passés ensemble; et de notre état d’esprit à l’instant t. On a acquis beaucoup d’automatismes avec le temps; une fois la musique enregistrée, il s’agit de prendre un peu de recul pour trouver le sens des choses, il y en a toujours un sinon à quoi bon ?

 

Romain Piegay : On a pris plus de temps pour celui-ci effectivement. De longues sessions d’une journée entière mais éparpillées sur plusieurs années. Probablement plus de temps encore que le précédent, The indian castle of morocco qui reste pour moi l’un de mes albums préférés avec Luminaires. Mais comme le dit superbement le groupe SubArachnoid Space avec leur album de 2000 (The Smiths ne compte pas) : These Things Take Time.

 

Jérôme Orsoni : J’aimerais bien pouvoir prendre le temps de faire un nouvel album, je veux dire : tous les quatre ensemble au même endroit pendant un certain temps, prendre le temps de vivre et de faire de la musique ensemble, sans solution de continuité. C’est un peu mon obsession, mais je crois que c’est quelque chose d’important : la vie est trop fragmentée — nous l’avons d’ailleurs vécu à fond pendant le confinement, avec cette idée que l’art, finalement, est secondaire, pour ne pas dire dispensable quand il ne participe pas de la croissance économique de la nation —, alors que, plus il y a de continuité, plus nous avons des chances d’être heureux (ou moins malheureux).

 

Jérôme (Orsoni) va un peu plus loin dans sa prose-poésie automatique, les images sont très fortes, j'avais l'impression de relire Wilderness de Jim Morrison. Une forme d'engagement imagée. Comment composez vous ensemble, entre la musique et les mots ? Qui domine qui ?

 

JO : Je crois que Wilderness, c’est le premier livre que j’ai acheté. Ma mère — je suis né dans une famille de “lettrés” — avait fait une drôle de tête, je m’en souviens, mais c’était passé. Une des premières choses que j’ai faites en revenant à Marseille, il y a deux ans, c’est aller chercher l’exemplaire bilingue paru chez Bourgois qui était resté chez mes parents pour le ranger dans ma bibliothèque. Avant de répondre, d’ailleurs, je l’ai reniflé, regardé. C’est un genre de fétiche. Je ne sais pas depuis combien d’années je ne l’ai pas ouvert, mais c’est avec ce livre que je me suis dit (je devais avoir 13 ans) : c’est génial comme métier, poète !

Bon, les choses sont un peu plus compliquées que ça, mais je crois toujours que c’est vrai, j’ai vieilli, mais je n’ai pas trop changé… Bref, avec la voix, il s’est passé pas mal de choses : la première fois que j’ai pris un micro pour parler en français c’est avec les Sons of Frida quand on a fait notre split (Orchestra). Ensuite, on a essayé des choses avec Manu (Emboe), qui n’ont pas forcément marché sur le moment, mais qui ont abouti, de façon assez sinueuse, à Dernière Transmission, qui fait partie de ce que j’ai fait de mieux dans ma vie. Quand j’ai commencé à introduire de la voix dans Rome Buyce Night, c’est quand j’en ai eu un peu marre de la guitare. Et que l’écriture jouait un rôle prédominant dans ma vie (professionnelle et personnelle : je suis écrivain et traducteur. J’ai essayé de trouver un moyen de me faire une place par rapport aux autres tout en cherchant à réinventer ce qu’on faisait.

Maintenant, la guitare me manque. Je me dis : si j’en avais joué sur ce morceau, j’aurais fait ça. Ce qui donne des idées pour le prochain album. Bon, comme je ne suis pas idiot, je sais comment c’est perçu, au sens où il y a pas mal de critiques négatives de toute part : ce n’est pas chanté, c’est en français, et tout et tout. Si je disais de la merde dans un anglais foireux, les gens préféreraient. Je peux le comprendre et, en même temps, je ne le comprends pas. Mais qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Si on veut du chant en anglais, il y a Rihanna. Ça ne m’intéresse pas. Et en français, depuis que Christophe est mort, c’est la fin du monde, je n’ai plus le goût à rien. Plus sérieusement, moi, je ne chante pas. Je ne rappe pas. Je ne fais pas le clown. Je ne parodie pas des choses que je ne maîtrise pas. Je dis les choses que j’ai envie de dire, comme j’ai envie de les dire. Sur le bien, le mal, la peur, la vie, la mort, l’amour. C’est devenu le prolongement naturel de mon travail d’écriture.

 

GC : Ce qui assez dingue c’est de voir l’évolution du travail de Jérôme sur sa voix. L’écart est flagrant entre le texte lu sur Orchestra et sa manière d’incarner son texte sur les deux titres présents sur Aether. Le projet Dernière transmission que nous avons formé avec Emmanuel Boeuf en 2016 (Emboe, Sons of Frida, Echoplain) a été l’occasion je pense pour Jérôme de prendre conscience de la place qu’il occupe dans ce type de composition.

Avec Dernière transmission c’est la voix qui servait de fil conducteur. Les autres instruments étaient là pour illustrer le propos d’une certaine manière. Avec Rome Buyce Night, la voix conduit le groupe mais interagit avec la musique. La musique et la voix se nourrissent mutuellement pour arriver à un final sur “Il restera encore quelque chose” qui est vraiment dantesque. J'adorais pouvoir jouer ces titres parlés en live, je verrai ça comme une transe cathartique.

 

AD: Quand ça marche (les morceaux qu’on a mis dans l’album), Jérôme part sur un texte qu’il semble respecter, mais sa dynamique est progressivement influencé par l’instrumentation, et respectivement. J’ai parfois été assez marqué par l’alternance entre ma guitare et la voix de Jérôme, et de la dynamique que ça a apporté à notre musique. Dans “La Comédie”, mon jeu à été très impacté par la parole de Jérôme, j’ai l’impression qu’on a réussi à faire quelque chose de différent, d’un peu singulier...en tout cas un beau moment d’échange avec Jérôme car je me souviens précisément du processus, on était très à l’écoute.

 

JO: La différence majeure, c’est que, contrairement à la musique, les textes sont écrits mot à mot. Zéro improvisation textuelle. En revanche, la scansion, le sprechgesang, le choix de répéter certains morceaux de phrases, c’est la musique qui l’implique. Et là, la voix devient un instrument. Et c’est ça qui m’intéresse, quand la diction rejoint le son pour faire de la musique.

 

Il y a également un travail plus marqué pour la section rythmique qui rend vos compositions plus élastiques, plus libérées pour y poser les guitares et les claviers ? Diriez-vous que votre processus de création à changé ? De nouvelles influences ?

 

RP: Fondamentalement notre processus créatif n'a pas trop changé, on improvise ensemble lors de sessions d'enregistrement les plus longues possibles, on enregistre et on garde ce qu'on aime. Parfois on joue des heures pour ne rien donner — on tourne en rond, on répète des motifs éculés, etc. — et parfois ont part dans une espèce de transe de groupe où tout s'aligne parfaitement, l'énergie, les riffs, les pauses, les montées, les nappes, certains meumeument des lèvres les notes qu'ils jouent sur leurs cordes et moi j'ai l'impression de m'envoler au rythme de mes deux cymbales qui battent au tempo de mon pied droit que j'enfonce fièrement dans le sol. Dans ces cas-là, en général, on tient quelque chose.

 

GC : certains titres ont été enregistrés à quatre, d’autres à trois et certains seulement à deux. Cela crée une dynamique sans doute assez différente.

Un titre guitare/batterie enregistré en improvisation (d’ailleurs il faut le rappeler toute notre musique est improvisée, elle n’est jamais écrite ni construire a priori, mais seulement a posteriori) peut se permettre de faire beaucoup plus de variations qu’un titre enregistré à quatre musiciens. A quatre si on part dans tous les sens, il très facile de se perdre les uns et les autres, et le rendu sera inexploitable. On est parfois condamné dans ce cas à partir sur quelque chose de plus statique, dont l’évolution se fait de manière progressive. Beaucoup plus lentement, tout en douceur. Dans ce cas il faut le temps pour chacun d’entre nous de se renifler, de trouver sa place et le fil conducteur qui nous permettra de construire une improvisation en parfaite symbiose.

Improviser avec seulement une guitare et une batterie, cela donne plus de liberté, on a chacun beaucoup plus de place, les guitaristes ne se marchent pas dessus, on peut partir dans tous les sens, car il est plus facile de se rattraper. Et c’est vrai que cela se ressent entre les morceaux plus lents, progressifs et les morceaux plus dynamiques. Le line up de départ ici a influencé chacune des compositions à mon sens.

Après il est clair que pour ma part je n’écoute pas la même musique qu’il y a 10 ans, à l’époque d’Ann Arbor. A l’époque j’étais à fond dans le gros rock psychédélique qui bave, avec de grosse basse (ça tombe bien je jouais de la basse), et la pédale wah wah qui tache. Maintenant j’écoute plus de folk, de la country ou du blues. Je suis fasciné par le jeu au picking, l’art de faire sortir deux voix distinctes de sa guitare. Le plus simple étant d’associer une ligne de basse et une mélodie. D’ ailleurs c’est ce que j’ai essayé de faire sur certains titres de l’album comme Ceux qui vont mourir, "Braizilia" ou "Terra Preta". Quand ça marche c’est vraiment le pied ! Et ça donne pas beaucoup plus de liberté.

 

AD: La rythmique c’est pas mon truc, désolé je passe.

 

Un mot sur ses 20 ans ? Sur votre parcours peu commun (les déménagements, la longévité).

 

AD: On vit chacun notre vie mais on reste de grands amis. Pour moi, la musique est toujours un bon moyen de se retrouver. C’est finalement assez banal. Mais les fondations sont solides car on a (presque) complètement appris à jouer et à créer ensemble, disons les 5 premières années du groupe (pour moi c’est totalement le cas, j’ai joué mes premières notes de guitare avec Guillaume). Je suppose que c’est à la fois simple à expliquer, mais finalement un peu plus complexe d’exprimer le ressenti, en tout cas c’est ce qui fait que le groupe à une bonne longévité.

 

JO : Quand Guillaume m’a proposé de rejoindre le groupe, je sortais d’une expérience assez désagréable, musicalement. J’étais vraiment heureux qu’il me demande de jouer dans le groupe. Je m’en souviens, ils jouaient dans un petit studio, le soir, le quartier ne craignait pas vraiment, mais un peu quand même, quoi. C’était drôle. Bref, je me souviens de la première répétition : Antoine était aux USA, donc je faisais un peu la doublure. Enfin, c’est comme ça que je voyais les choses. Mais je connaissais le groupe : j’avais chroniqué Luminaires, je les avais invités au festival organisé par Infratunes (devenu dMute.net), j’étais allé à leur concert, etc. Tout de suite, le courant est passé. Je crois qu’il y a des gens qui sont vraiment faits pour jouer ensemble. Pourquoi ? je ne sais pas, mais c’est comme ça.

J’ai un jeu plus rock qu’Antoine, donc ce ne pouvait pas être un remplacement pur et simple, c’était quelque chose de plus. Et quand, ensuite, Antoine est revenu, ça n’a pas toujours été simple, mais ce à quoi nous sommes parvenus, justement en nous servant des tensions entre les différents jeux de guitare, Ann Arbor, quoi, c’est vraiment fort. Il y a une tension, une urgence, une énergie qui, sans nier les défauts du disque, me plaît toujours énormément. Dix ans après.

 

GC : Ce groupe est la conséquence de notre amitié. Quand l’un de nous déménage, on ne se dit pas que le groupe va s’arrêter. On va juste le faire évoluer en fonction de cette nouvelle organisation. On a fonctionné dès le début comme ça, et pas question de changer de membre. En 2000, Romain vivait à Paris et Antoine et moi à Nantes. Forcément ça fait partie de l’ADN du groupe. Le groupe, au cours de ces 20 ans, s’est développé entre Nantes, Paris, Brest, Ann Arbor, Newcastle, Londres, Marseille… On verra où le groupe ira la prochaine fois !

 

Aether est un album très imagé. Pour commencer, le visuel de l'album lorgne du côté de la bande dessinée, Cortes, Bilal ? Un mot sur ce visuel…

 

GC : Le visuel est construit en grande partie à partir des gravures de Gustave Doré pour La Divine Comédie de Dante Alighieri. Durant le mixage de Aether ou plutôt de ce qui allait devenir Aether, car le projet n’avait pas encore de nom, je me suis mis à lire ce livre. Et ce n’est pas vraiment un hasard quand j’y pense désormais. Car l’ambiance de l’album qui se dessinait était vraiment étrange. Les titres avec la voix de Jérôme, “Il restera encore quelque chose” et “La Comédie”, contribuaient à installer un climat étrange, mystique et habité, voire de spirituel. “Braizilia” est introduit par un passage propice au recueillement, tout comme “Ceux qui vont mourir te saluent” ou “Terra Preta”. “Martha zéro” est une sorte d’ode à l'Éveil, une forme d’ascension… Quelque chose de spirituel sans être religieux….Bref, tout porte à croire... que cet album illustre bien la crise de la quarantaine ! Le chemin parcouru et le bout du tunnel qui s’esquisse…

 

L’idée de ressortir cette gravure est arrivée à un moment où on cherchait une idée de visuel alors que nous n’avions pas de titre d’album. Aether pour moi oscille entre ombre et lumière. Ce contraste on le retrouve dans les gravures de Gustave Doré justement. Et comme c’est un album que je trouve personnellement un peu mystique, proposer une illustration de ce dernier pour La Divine Comédie pouvait avoir du sens…. Quand on est tombé sur “Rosa Celeste” qui illustre la pochette de l’album, les choses se sont mises en place. Romain s’en est emparé et le résultat est vraiment réussi.

 

RP: Initialement je prévoyais de faire un simple ciel avec des oiseaux, quelque chose de très limpide, ouvert et chargé d'optimisme pour l'avenir. Pour les pochettes comme pour la musique, on travaille par couches et par mutualisation des efforts et envies de chacun. Chaque idée apportant une nouvelle perspective. On retrouve au final les volatiles intégrés à divers endroits de la pochette mais traité à la manière de Gustave Doré.

 

On a souvent associé le post rock en général à une musique cinématographique, ici, c'est vraiment l'aspect narratif qui est présent, comme si on tournait les pages en vous écoutant ?

 

GC: A nos débuts nous étions pas mal inspirés par le post rock (Mogwai, Godspeed, Tarentel…). Mais au fur et à mesure, nous nous en sommes naturellement éloignés pour aller vers le rock indé, le shoegaze, le rock psychédélique, le krautrock, et bizarrement l’afrobeat... La seule chose qui perdure, même si le mur se fissure depuis Orchestra, c’est l’absence de paroles… On utilise souvent la musique instrumentale pour son côté illustratif. On illustre un paysage, une scène… mais rarement il est possible de lui permettre de se suffire à elle-même.

 

Pour lui donner plus de corps, on colle des samples, et le tour est joué. Nos albums ACtone et Luminaires en étaient l’exemples parfait. Et ça fonctionnait très bien. Mais après il convient d’aller au delà. De ne pas se répéter éternellement. L’arrivée de Jérôme a été l’occasion de passer à autre chose. De passer le cap de la voix notamment. Dans ces titres, la musique et la voix s’alimentent mutuellement. Cela donne à la musique un aspect plus dynamique. Et plus de profondeur. Ce n’est pas de la chanson, ce n’est pas du slam, du rap, et encore moins un projet littéraire avec un habillage sonore. A vrai dire je ne sais pas ce que c’est mais. Cela donne à notre musique un aspect littéraire c’est sûr, ainsi qu’une dynamique. La musique illustre le propos mais influence aussi la narration. Comme une sorte de livre écrit avec de la musique...

 

RP: Oui c'est marrant ça me rappelle de vieilles discussions avec Guillaume dans les premières années du groupe, où on se demandait si et comment un chanteur ou une chanteuse pourrait — ou pas — s'intégrer à tout ça. Je me souviens avoir décrit le candidat-idéal-impossible-à-trouver comme quelqu'un qui sait improviser avec sa voix comme le fait le reste du groupe avec leurs instruments. Savoir ne pas prendre toute la place. S'imposer quand il le faut. Se taire. Écouter, répondre, et se mixer au grand tout. Rétrospectivement Jérôme a vraiment réussi cette prouesse.

 

JO : Ah tiens, je ne connaissais pas cette anecdote… c’est amusant : au fond de moi, j’ai toujours su que j’étais le candidat idéal à quelque chose mais j’ignorais à quoi, maintenant, je sais !

 

En fait, le problème des genres, c’est que ce sont des genres. C’est restreint. Je n’ai jamais eu l’impression de jouer du post-rock avec RBN. J’ai même l’impression que nous en sommes très loin. Chacun a des sons dans la tête avant de jouer. Et c’est de ça que nous partons. Pendant longtemps, j’ai eu l’impression que nous étions beaucoup plus un groupe d’afrobeat blanc que de post-rock. Mais je crois qu’en fait ce n’est pas la question, la question, c’est l’intention, l’énergie, l’intensité qu’on est capable de mettre ou non dans la musique.

 

Entre 2 répétes, vous lisez quoi ?

 

JO : En ce moment, en plein confinement : l’Histoire de l’art d’Élie Faure. Pour les cinéphiles, c’est le livre que Belmondo lit dans son bain au début de Pierrot le fou de Godard. Élie Faure était proche d’anarchistes comme Élisée Reclus, pour le situer rapidement. Plus que de l’histoire stricto sensu, c’est de la poésie épique. C’est grandiose. Fou. To the Lighthouse de Virginia Woolf : une erreur serait de n’y voir qu’une livre plaidant la cause des femmes alors que c’est aussi un grand livre sur la vie et l’art. Et puis maintenant, Ulysses de Joyce (en VO), auquel personne ne comprend rien, mais comme c’est la fin du monde, on s’en fout ! Et c’est génial. Je me suis demandé si on était obligé de devenir cocaïnomane pour arriver au bout (c’est la deuxième fois que j’entreprends la lecture), manifestement non, mais je suis quand même un peu inquiet pour ma santé.

 

GC : Plutôt des livres pour enfant pour ma fille cadette qui approche de 9 mois. Comme je ne tiens pas plus de 20 minutes sur un texte avant de m’endormir, et comme j’avais envie de creuser un peu de ce côté là, en ce moment, je rattrape pas mal de lacunes en matière de bandes dessinés, romans graphiques ou comics… Je suis pas mal fasciné par le dessin en noir et blanc et la capacité de faire passer un propos par l’image : Will Eisner, Charles Burns, Frank Miller, Hugo Pratt, Bess, Craig Thompson, Larcenet, Chabouté, Gipi, et plus récemment Go Tanabe dont le travail sur ses adaptations de l’oeuvre de H.P. Lovecraft font référence aux gravures de Gustave Doré… J’ai adoré “Asterios Polyp”, ou encore le “Moi ce que j’aime c’est les monstres” d’Emil Ferris… qui fait écho à “Maus” d’Art Spiegelman. Sinon, je suis en train de m’atteler à lecture de “Jerusalem” pavé signé… Alan Moore.

 

RP: Le Petit Larousse de la culture générale, toute la section historique et cultures à travers le monde était passionnante. Tous ces rois, empereurs et civilisations qui se sont donné tant de mal pour marquer l’histoire et que nous avons globalement tous oubliés, cela fait relativiser.

 

AD: en ce moment, entre de la littérature américaine Jim Harrison en tête (ce qu’on appelle la nature writing, je viens de voir ça sur wikipedia :) ) et de la SF à la sauce Asimov; ma façon de m’évader… Sinon comme Guillaume beaucoup de livres pour enfants, vivement que ma petite sache lire !

 

Des nouvelles de votre label Zéro Egal Petit Intérieur, 10 ans également, l'aventure continue... ? Quel regard portez-vous sur l'édition musicale en général ?

 

GC : Oui l’aventure continue. Le label existe depuis 2010 à travers les différents projets des membres du groupe, solo (o!jerome, Outside The Air, Horse Temple…) ou non (Dernière Transmission) ; mais aussi à travers les activités de certains de nos proches comme Manu (Sons of Frida, A Shape, Echoplain), et son projet Emboe, qui désormais a été signé chez Atypeek, et les différents projets des membres de feu Sons of Frida : Tabatha Crash, Hélice Island pour Ben, qui est sorti l’année dernière, mais aussi Velocross qui rassemble aussi des anciens membres de la Diagonale du Fou, groupe avec qui nous avons pas mal joué il y a une quinzaine d’années… On a plusieurs choses qui pourraient sortir du côté d’Outside The Air ou d’Horse Temple… Pour ce qui concerne les autres projets, cela dépend des groupes. Il faut qu’on voie avec eux. J’ai hâte d’écouter ça.

 

On reste à l'affût de ce qui sort mais pas autant qu’à l’époque de la création du label. De toute manière, le manifeste de ce label est de s’affranchir de toutes les contraintes. Si un projet nous parle alors on le sort. Le fonctionnement est assez libre de ce côté-là. Si c’est bien on le fait, qu’importe s’il s’agit d’inconnus ou d’un projet qui ne fait pas de dates. Ou si l’album n’est pas assez “produit”... Ce label c’est un peu une réaction à ce que j’ai pu voir, mais aussi pratiquer en tant que label manager dans l’édition phonographique il y a dix ans.

Déjà on ne signait à l’époque que des projets déjà aboutis avec une grosse part du travail effectué en amont par le groupe : une certaine renommée, de nombreuses dates à son actif, être dispo pour la promo, financer une part du marketing et la communication, avoir la volonté d’être pro… C’est le monde à l’envers… C’est normal pour les gros labels et distributeurs qui ont besoin d’atteindre un point d’équilibre pour payer leurs salariés, mais pour les niches musicales, c’est une autre histoire.

 

La vocation de ZEPI est différente, il a pour vocation de faire émerger un projet, de participer à la découverte d’une album ou d’un artistes. Et c’est tout. Ce que tu gagnes te permettant de travailler sur un autre projet… si ça marche. Il s’agit d’une niche et c’est justement l’objectif. En fait, si on part de ce postulat, ZEPI c’est plutôt un antilabel de ce point de vue. On ne cherche pas l'efficacité. Le revers de la médaille, c’est qu’il n’y a pas de budget et qu’on ne rentre jamais dans nos frais. Mais ce n’est pas grave car nous n’avons pas besoin de dépenser beaucoup. C’est une association sans but lucratif. C’est un état d’esprit. Pour moi c’est une forme de fierté. Celle de ne se focaliser que sur l’artistique. De fait, on travaille dans cette relation avec les groupes. C’est la base.

 

Depuis dix ans la situation a pas mal évolué. A l’époque d’Ann Arbor, on avait créé un petit réseau de distribution avec des disquaires indépendants sur Paris et dans des villes clés (Rennes, Bordeaux, Toulouse, Lyon, Nantes, Brest, Clermont Ferrand, Grenobles, Marseille, Caen, Lille, Saint Brieuc et même... Ann Arbor). Certaines Fnac pouvaient acheter en direct des CD. Car on pouvait encore être un label indé / DIY et sortir des CDs. C’est juste avant le boom du vinyle pour ce type de niche.

Désormais, les disquaires indépendants se sont positionnés sur le vinyle. Ce qui leur a permis de se démarquer et de survivre. D’ autres ont disparus, la Fnac ne fait plus d’achat direct ou du moins plus pour nous. Or, compte tenu du coût de pressage, le vinyle est beaucoup trop cher pour nous. L’investissement serait trop élevé, et pas sur d’en vendre plus… Sans compter les frais de port. La gestion des retours devenaient compliqués financièrement. Les disquaires ont toujours joué le jeu, et c’est juste génial, mais cela devenait trop dur en termes de temps et de gestion financière.

Désormais la vente se fait en VPC sur notre site et en digital sur les plates formes légales habituelles (spotify, deezer, google, amazon, etc)... On réfléchit sur une manière de faire évoluer le support. On avait sorti Dernière Transmission en K7 pour faire un test… A voir si un jour on recommencera cette expérience, on restera sur le CD ou si on arrêtera de commercialiser un support…. Le label continuera avec ou sans support, rien n’est figé. La suite dans le prochain épisode !

 

 

  1. Si je vous dis, prochaine interview dans 10 ans, vous êtes au rendez-vous ?

JO : On va tous crever dans 15 jours, non ?

RP: Les gens écouteront encore de la musique dans 10 ans ?

AD: En tant que scientifique, je dirais qu’à moins que la moitié du groupe ne meure, ou bien le chroniqueur (... !), les chances sont plutôt fortes. pour qu’on soit au rendez vous ! (et oui je suis un optimiste !)

GC : moi je dis banco… pour la caravane.

 

MERCI

 

RP: DE RIEN <3

photo de Eric D-Toorop
le 03/06/2020

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