Ze Gran Zeft - Interview du 05/11/2019

Ze Gran Zeft (interview)
 

Tu m'expliquais que vous avez abandonné le nom de Ol'Dirty pour celui de Ze Gran Zeft afin d'éviter la confusion avec Ol’ Dirty Bastard du Wu-Tang Clan, et du fait de votre relation particulière avec GTA (Grand Theft Auto). A propos de ce dernier, la référence traduit-elle uniquement votre amour d’ado pour ce jeu, ou bien vous avez également voulu capitaliser sur l’imagerie flambe, gangsta, grosses bagnoles qu’il véhicule?

C’est vrai que ça pourrait coller dans l’attitude et le délire… Mais il faut être honnête : on est tous les trois issus de familles de la classe moyenne – modestes, mais on n’a manqué de rien. On a tous les trois grandi dans des quartiers résidentiels. Donc on n’a pas voulu mentir aux gens et revendiquer une étiquette « quartier / ghetto » alors qu’on ne connaît pas vraiment ce milieu-là. Notre nom reflète fidèlement nos origines et une influence commune – d’autant que David est encore à fond dedans : c’est un vrai geek. On a toujours aimé le côté subversif de ce jeu, ainsi que tous les clins d’œil et parodies qu’on peut y trouver. GTA nous a définitivement influencés, jusqu'au sein de nos compositions.

 

Question du fan de Get Fat (l'EP sorti sous le nom de Ol'Dirty): vous arrive-t-il encore d’en interpréter des titres en live ?

Plus du tout. C’est vrai qu’il y a eu un vrai tournant en termes de style depuis cette époque. En plus, ce qui manquait à cet EP, on est d’accord avec Kallaghan (NDLR : leur producteur) sur ce point : ce sont les refrains. Depuis qu’on s’est systématiquement mis à en inclure dans nos compos, cela a beaucoup mieux marché en live, et a rendu nos titres beaucoup plus fédérateurs. Parce que ça permet au public de les chanter, et donc de participer plus activement. Par contre, même si on ne joue plus ces vieux titres, l’EP reste pour nous une référence en termes d’écriture et de travail en studio. Car cela a été notre première collaboration avec Charles (NLDR : Massabo, aka Kallaghan), qu’on n’a jamais plus quitté depuis – et ce point nous tient vraiment à cœur. Il a fait beaucoup pour notre développement musical, artistique, ainsi que pour l’équilibre au sein du groupe. Et pour revenir à l’EP lui-même, on y trouve une espèce d’énergie adolescente fulminante – cette envie de faire chier les vieux, tu vois ? – qui, bien qu’on arrive à la trentaine et qu’on commence donc nous aussi à devenir des vieux, nous tient à cœur. Et je trouve vraiment qu’on a réussi à la conserver sur Gorilla Death Club… Mais c’est vrai que paradoxalement, on ne le joue plus en live.

 

Un point qu’il serait sans doute intéressant de clarifier, c’est le statut de #JOI. Car à l’époque de sa sortie, vous le présentiez comme votre premier album si je ne m’abuse. Et aujourd’hui, rebelote : pour Gorilla Death Club vous parlez à nouveau de premier album. Combien de premiers albums comptez-vous sortir ?

Tu as raison, il serait bon de clarifier un peu ce point. Il faut savoir qu’on l’a sorti nous-mêmes, sans label derrière. Et c’est vraiment juste avant de le sortir, en le réécoutant, qu’on a réalisé à quel point il sonnait hétérogène : il lui manquait cette cohérence qui caractérise un véritable album. Il était plus proche de la « concept mix tape » : très hétérogène au niveau musical, sans réelle continuité entre les titres, mais par contre cohérent thématiquement, celui-ci racontant le passage à l’âge adulte d’un ado « millénial ». Cette étiquette de mix tape vient aussi du fait qu’initialement on avait pensé le sortir single après single, bien qu’au final on ait dû le sortir d’un bloc afin de pouvoir le vendre sur une tournée américaine qui s’est montée peu après. Sans compter que cela coûte évidemment plus cher de faire presser 9 singles indépendants.

 

Du coup je rebondis sur l’évocation de cette tournée aux U.S. pour aborder votre lien à ce pays : il est assez rare de voir un « jeune groupe » français avec un niveau d’Anglais aussi bon, et de telles opportunités de tourner outre-Atlantique. J’ai cru comprendre que Khallagan n’est pas pour rien dans le lien qui vous unit à ce pays. Pourrais-tu nous en dire plus ? 

Pour être très honnête, le groupe s’est formé en 2009, et on n’a commencé à réellement « s’énerver » qu’en 2015, année de la fameuse tournée américaine. Cette dernière fut une sacrée aventure, qu’on a abordé en mode « bite & couteau », sans rien savoir de ce qu’il est nécessaire de faire en termes de booking et de promotion. Si on a réussi à la mener à bien, c'est uniquement grâce à Charles. On s’est pris des drôles de coups lors de ces dix dates, et ça nous a fait grandir. On a d’ailleurs eu de la chance de réussir à récupérer un peu de l’argent placé auprès de l’agence de booking véreuse – le gars n’avait prévu ni la bouffe, ni le logement – qu’on avait prise pour l'occasion. Quand Charles a vu la tournure que prenait les événements, après m’avoir initialement laissé tout gérer, un tout petit mois avant qu’on parte sur la route il nous a dit : « C’est bon les gars, je prends le relais ». Et on peut dire qu'il nous a sauvés. D’ailleurs il est parti avec nous, plus ou moins poussé par une sorte « d’instinct maternel » *rire*. C’est vrai qu’on était loin de chez nous, on a dû traverser le pays – rien que pour la première date on a dû faire 40 heures de route… C’était n’importe quoi : sans promo, sans véritables cachets. Mais à cette occasion on a vu à quel point le monde de la musique est un univers atypique et compliqué, et que monter une vraie tournée n’est pas à la portée de tout le monde. « On est Black Sabbath dans les années 60, on se lance comme ça, on fait le tour de Londres »... Non, ça ne marche plus cette approche. Aujourd’hui c'est malheureux mais si tu n’as pas une certaine notoriété sur Spotify et Youtube, les gens s’en foutent. Et tu finis par faire une tournée désastreuse pendant laquelle tu joues devant 4 personnes. Mais l’expérience nous a mis du plomb dans la tête et nous a faits grandir.

 … Le fameux « What doesn’t kill you makes you stronger » !

Voilà. Ou “stranger”, ça dépend. *rire*

 

Si j'ai bien suivi, vous avez d’abord rencontré Charles en France. Ça s’est passé comment ? Il a eu un coup de cœur pour vous ? Vous vous connaissiez en dehors de la musique ? Ça s’est passé comment ?

Ce mec est devenu un ami tellement proche : je ne peux plus t’en parler objectivement. C’est comme si tu me demandais de te parler de mon frère. D’ailleurs je n’ai pas de frère, et je pense qu’il a toujours représenté cette figure-là pour moi. C’est un mec qui m’a « mentoré » musicalement et humainement. Au tout début c’est Damien, le batteur, qui nous a branché dessus, parce qu’il connaissait et aimait son premier groupe, Sikh. Au moment de trouver un studio, comme on avait un peu de ronds de côté on s’est dit qu’on allait investir histoire de passer un cap en bossant avec un vrai producteur qui saurait nous aider à nous professionnaliser. C’est donc un peu au culot que David a envoyé un email à Charles, avec la démo qu’on avait enregistrée chez un pote à Draguignan. Et il a accepté de bosser avec nous. Quand on s’est pointé dans son studio dans le 06, le feeling a pris immédiatement. Il nous a filé plein de conseils. Pour moi c’était providentiel de rencontrer un tel gars à ce moment-là, parce que c’était une période où je me sentais vraiment bien avec mes deux acolytes, où ça commençait à bien marcher et où j’étais heureux de pouvoir m’investir dans une aventure générant autant d’adrénaline. Et c’est exactement ce qu’il nous fallait : rencontrer un pro qui nous comprenne, qui ait une vision complètement décalée de la musique – et qui par ailleurs nourrissait une certaine frustration après avoir tenté de pousser d’autres formations qui l’ont finalement lâché. C’était le gros prix au loto : on était tombé sur LE mec qu’il fallait. Le Rick Kallaghan Rubin des Beastie ZGZ Boys. Et cerise sur le gâteau : nous sommes devenus super proches sur le plan personnel.

… Et pour expliquer ce niveau d’Anglais, tu ne serais pas un peu comme les frangins Duplantier (cf. Gojira) : doté d’au moins un parent anglophone ?

Surtout pas : mon père parle Anglais comme un Provençal, et ma mère comme une Pied-noir *rire*. Donc, non, pas d’héritage anglophone. Par contre, si en maths pour moi c’est pas vraiment ça, j’ai par contre la chance d'avoir toujours eu des facilités pour les langues étrangères. En Espagnol j’ai réussi assez vite à m’imprégner de la langue. Après 8 ans à bosser dans un restaurant tunisien j’ai fini par baragouiner l’Arabe local. Depuis qu’on bosse outre-Rhin je commence à me débrouiller un peu en Allemand. J’ai toujours eu cette facilité à enregistrer et apprendre les langues, ce qui est bien pratique quand on doit écrire des textes de chansons. Je suis un garçon curieux et très pointilleux dans mon travail, donc quand j’ai commencé à écrire en Anglais, dès que j’en ai eu l’occasion – autrement dit assez tôt, puisqu’on a saisi rapidement l’opportunité de se déplacer aux US – j’ai fait relire ce que j’avais écrit à des Américains, à des Californiens, des gens de mon âge principalement, en leur demandant ce qu’ils en comprenaient. Et en général, si grammaticalement c’était juste, idiomatiquement ça ne voulait pas dire exactement ce que je voulais faire passer. J’ai vraiment fait très attention à cet aspect, parce qu’il est très facile, si on n’y fait pas attention, de complètement se louper, d’avoir l’air agressif, ou condescendant par exemple, selon les termes et le ton utilisés. Et c’est ce genre de feedback que j’ai pu avoir très tôt sur place. Par ailleurs c’est vrai que j’ai la chance d’avoir une assez bonne oreille qui m’a vite permis de prendre l’accent anglais sans avoir l’air d’un rigolo. D’ailleurs j’essaie aussi d’améliorer mon Anglais académique, parce qu’honnêtement il n’y a que comme ça que tu peux être pris au sérieux quand tu vas démarcher des professionnels, que ce soit des bookers ou des managers, si tu te contentes de baragouiner du Global English, tu es pris pour le touriste moyen. Un peu comme quand un mec essaie de monter un énorme business en France avec un fort accent québécois *rire*. Mais pour les paroles des titres c’est pareil : si tu prétends jouer les coreux vénères, avec un accent de petit Français tu vas faire rigoler grave.

 

Pour ceux qui tomberaient sur cette interview sans connaître votre son, étant donné que vous ne pouvez pas être affublés simplement d’une étiquette bien définie, quel(s) morceau(x) du groupe conseillerais-tu d’écouter – à la fois pour les convaincre et les confronter à ce qui est vraiment l’essence musicale de Ze Gran Zeft ?

Le morceau « Gorilla », qui pour moi fait partie de nos meilleurs titres. Et puis « Shotta Shotta », ex-æquo. Après j'aime beaucoup également le boulot qu'on a réussi à faire sur « I Just Want You », qui est l'une des chansons les plus brutales que j'aie pu écrire. Elle ne comporte aucun mot vulgaire, mais est très lourde en termes de sens – le titre signifie quand même « J'ai envie de toi quand j'ai la flemme de me branler » ! C'est le genre de titre que j'aime faire écouter à des gens qui peuvent le comprendre directement, ou à l'opposée à des gens complètement innocents qui se laissent porter par le côté très mélodique – c'est facile, ça crie pas : ça chante – jusqu'au moment où tu traduis. Et là ça fait toujours le même effet *rire*. Ce titre serait le troisième sur mon podium. Après mon titre préféré sur l'album c'est « Caramel Eye » – il y a une espèce de vibe dans cette chanson... Et tout de suite après je dirais « Kanye ». Ce sont deux chansons de l'album qui ont une identité sonore très propre, et en même temps qui sont très proches par ce côté, comment te dire... Moi ça me fait penser à une espèce de vague. Tiens, pour t'expliquer : quand on joue « Caramel Eye » sur scène, je prends toujours cette dégaine de la fameuse scène avec Jean-Claude Van Damme qui est devenue un meme sur le net, au début de Kickboxer, quand il danse avec deux filles, et puis des mecs arrivent et ils les explose : cette espèce de mouvement d'épaule qu'il a, de gros boss année 80s, plein de testo'... Ce côté Aldo Maccione : je trouve ça magnifique. Et puis dans ces deux titres on retrouve aussi ce côté que j'adorais chez Oasis, du petit con désinvolte et nonchalant. Ce feeling j'essaie de le faire ressurgir de manière récurrente sur l'album. On essaie d'être aux antipodes de l'imagerie classique californienne, « Lunettes noires & Harley Davidson dans le désert ». Nous notre trip ce serait plutôt le hooligan à l'anglaise. Ça oui, ça nous fait kiffer.

D'ailleurs ce côté « petits cons » participe à vous rapprocher d'un groupe comme Mindless Self Indulgence qui, comme vous, est une véritable machine à hits, et développe un univers faussement premier degré fait de teufs et de sexe. Est-ce que tu les connais ? Et si oui trouves-tu la comparaison justifiée ?

Sideman (le bassiste) écoute beaucoup. Moi je dois t'avouer que j'ai essayé deux-trois fois, mais que je n'ai pas vraiment accroché. Donc ce n'est pas du tout une influence... Mais c'est vrai qu'on nous compare beaucoup à eux. Peut-être que ce serait intéressant de partager la  scène avec eux un jour.

 

Un aspect qui me parle beaucoup dans Ze Gran Zeft, c'est ce constant décalage dans l'image. D'un côté il y a une certaine violence, des textes crus, un vrai côté bad boys... Mais en parallèle vous proposez des clips un peu barrés, vous jouez beaucoup sur le rose, vous mettez un poussin sur la pochette de #JOI. C'est un aspect que vous entretenez de manière réfléchie ou bien pour vous ça se fait tout seul parce que c'est dans votre nature profonde ?

Je pense qu'on a toujours été comme ça. On a toujours été des petits cons dont le but est de faire chier les vieux. Ça me fait penser à cette interview de Tyler, The Creator, lors de laquelle il était en face d'un vieux cador de la télé américaine qui lui demande, avec la pédanterie habituelle : « Mais pourquoi vous faites ça ? ». Autrement dit pourquoi vous faites ce genre de musique, qu'est-ce qui vous pousse à faire ce truc un peu chelou ? Et Tyler lui répond avec panache : « Pour faire chier les mecs comme toi ! ». Franchement ça m'a marqué parce que je me suis retrouvé là-dedans. Par chance, mon père m'a fait écouter jeune des groupes mythiques qui ont été dans la subversion : Hendrix, The Who, Ten Years After... Toute cette scène Woodstock qui faisait chier les vieux. L'un qui reprend l'hymne national avec le bruit des avions en plein Vietnam. Les autres qui balancent un « My Generation » qui a transcendé les générations – parce que finalement ils ne parlaient pas que de la leur – avec ce symbole de vouloir mourir avant de devenir vieux... Alors nous on n'est pas du tout suicidaires. Mais j'espère que quand on vieillira on aura l'honnêteté de ne pas cracher sur tout ce qui se fait de nouveau. Parce qu'aujourd'hui les gens crachent gratuitement sur la Trap, ou même sur des mecs comme Jul qui – je pense – sont complètement incompris par ceux qui commencent à être trop vieux. Alors OK c'est pas de la grande musique, mais le mec remplit de grandes salles de concert. Et à la base je ne pense pas que ce soit un gars entouré par le pognon. Il a eu le talent d'arriver à fédérer les foules. Et je pense que c'est de la méchanceté gratuite de critiquer ce genre de mecs-là. Enfin voilà : dans ZGZ depuis toujours on a écouté des musiques diverses et variées, que ce soit du Rap français toutes périodes confondues, ou du Jazz fusion – tu vois ces trucs de trisomiques sortis du Conservatoire pour lesquels il faut un niveau de dingue en solfège pour comprendre la mise en place. En fait on est tous les trois émoustillés par le talent, en sachant que ce dernier peut se trouver tout autant dans un riff de Tony Iommi que dans une mise en place de Toto ou dans un plan de Meshuggah – dont on est tous les trois ultra fans, au passage. Pareil quand on va voir Die Antwoord, ou Rammstein : on se fait calmer. Et quand tu regardes ces groupes, tu réalises qu’ils ont tous commencé leur carrière en décalage avec ce qui se faisait à l’époque. Et c’est ce décalage qui est intéressant. Il faut apporter quelque-chose de frais : elle est là ta valeur ajoutée. Le réchauffé, très peu pour nous. Quand tu écoutes un groupe qui fait du revival de Led Zep, c’est cool pendant cinq minutes, et puis après tu te repasses les originaux, et tu réalises que c’est quand même quatre fois plus gros… Enfin bref : notre attitude est celle de petits cons subversifs, qui gardent tout de même en tête qu’ils ne sont que les rois du village, et qu’il faut bosser comme des malades pour passer les étapes suivantes, et que les influences restent des influences. On n’a pas la prétention de faire mieux que ces groupes. Et d’ailleurs il n’y a aucune raison de faire des comparaisons – pour le coup ça me gonfle lors des interviews quand on me dit « Dis-moi si je me trompe, mais je trouve que vous ressemblez vraiment aux Beastie Boys et à Rage Against The Machine ? ». Dans ces cas-là j’ai envie de répondre : « Ouais, OK, le son de guitare ressemble un peu à Rage et à Hed PE. OK, il y a des voix scandées énergiques et aiguës à la Beastie Boys. Mais si c’est tout ce que ça t’évoque, c’est triste. »

C’est caractéristique de la démarche du chroniqueur qui perd tous ses moyens s’il ne peut décrire un nouveau groupe à partir de références qu’il maîtrise…

Le mec va te demander : « Mais alors comment tu définirais ton style ? ». Je crois que j’ai enfin trouvé la réponse idéale à ce genre de question – qui pour moi n’a aucun intérêt, parce que ça n’est pas parce que je vais dire « Rock alternatif » ou n’importe quelle autre étiquette que le public habituellement attiré par ce genre de chapelle va se retrouver dans notre musique : « C’est à notre public de définir notre style, afin de décrire ce que ça leur évoque. Ce n’est pas à nous qu’il faut poser la question. »

 

Je sais qu’en parallèle des médias classiques (magazines, radios…), vous essayez également de cibler le milieu des clubs. Comment vous y prenez-vous?

Ce n’est pas nous qui nous en chargeons en direct. On bosse en France avec une boîte qui s’appelle Him Media. On travaille également avec une boite de marketing en Allemagne, Brainstorm, qui s’assure aussi de notre booking et de notre management. Tout ce qui est revues de presse et campagnes de pub je laisse faire ces mecs en qui j’ai entièrement confiance, et qui ont fait du bon travail jusqu’à maintenant…

Mais concrètement est-ce que tu sais si certains de vos morceaux ont déjà atterri sur des platines dans des gros clubs ?

Alors si c’est le cas depuis mars – la sortie de l’album – je pense que j’en serai informé d’ici deux-trois ans, lorsque la SACEM sera passée par là. En attendant, pour l’instant les seuls clubs dont je suis sûr qu’ils ont diffusé notre musique, ce sont principalement des boîtes allemandes. En effet nos voisins d’Outre-Rhin (et d’Outre-Manche) restent parmi les seuls à avoir encore une vraie activité dans des clubs rock, et où les gens consomment encore un peu de Rock. En France par contre, on débute à peine. Cela commencera par une tournée hexagonale qui commencera en 2020. Donc je ne pense pas que les clubs français aient commencé à nous programmer, mais je ne peux pas non plus te l’affirmer.

 

Petite anecdote : alors que j’avais beaucoup aimé vos deux EP, ma première écoute de l’album a été un peu douloureuse, le vilain métalleux que je suis ayant trouvé la chose un peu trop radio-friendly, un peu trop flashy. Et puis en quelques écoutes, retournement complet de situation : j’étais accro ! D’où vient cette capacité à retourner vos auditeurs ainsi ?

C’est un peu difficile de répondre objectivement à cette question, parce que cet album c’est notre bébé. Mais si je peux me permettre le parallèle – vu qu’on les aime énormément et qu’on aimerait, pourquoi pas, suivre leur trace – tu vois quand Nirvana a débarqué en 1991 avec Nevermind et le Grunge, même chose : ça a fait chier le métalleux moyen. D’ailleurs ce fameux « métalleux moyen » est facile à indisposer soit dit en passant.

Il est très conservateur * rire *

Ouais mais c’est pas logique. Sa musique évolue avec le temps. Du coup il se retrouve aujourd’hui à regretter le Metal des années 2000, alors que son aîné regrette le Metal des 90s, etc… Bref, quand Nirvana a débarqué, les métalleux baignaient depuis 10 piges dans de la musique super politique et/ou super énergique, avec le Thrash de Metallica d’un côté, et le Hair metal à la Poison / Bon Jovi de l’autre – où il était plus question de faire la fête, de se droguer et de baiser comme des bêtes. Et quand se pointe ce blond dépressif, dont le discours promeut l’image du gros nullos qui se branle de tout et a envie de crever, en un rien de temps il se fait encenser par la critique. Après chaque époque, après chaque bouleversement musical, il y a toujours cette latence… Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de groupes légendaires qui aient réussi à faire l’unanimité pendant leurs 2-3 premières années d’activité.

L’être humain – et a fortiori l’amateur de musique – est réfractaire au changement

Parce que ça fait peur. En tous cas on est très content d’avoir ce retour, qui tend à prouver que notre musique a cette capacité de profondément convaincre l’auditeur.

 

Question à propos de « The Break » : peux-tu nous dire ce qui vous a poussés à inclure quelques phrases de Serge Gainsbourg au sein de ce titre ?

Personnellement j’aime beaucoup l’artiste. Et Sideman également. On a tous deux eu des parents qui écoutaient Gainsbourg (mon père est un grand fan). A côté de sa musique, j’aime également beaucoup le personnage – si l’on excepte peut-être ses penchants politiques et ses délires pédo-incestueux. Quand j’étais minot j’écoutais en boucle le remix de 1991 de « Requiem pour un con »… Et je pense que c’est ce qui m’a amené doucement vers le Hip-Hop, parce que je ne sais pas si tu te rappelles mais dans cette reprise figurait ce gimmick génial qui faisait Tin-Tin-Tiiiiiiiin que je trouvais ultra-puissant. Charles aussi d’ailleurs est un grand fan. C’est un mec qui a passé sa vie à faire chier les vieux lui aussi.

 

Autre morceau, autre délire : d’où vient le concept qui sert de thème à « French.Slang.Supremacy » (rappel pour les non pratiquants : le groupe y fait sonner les expressions argotiques françaises dans un contexte Rap US) ?

Alors déjà c’est un bon délire. Et après y avoir un peu réfléchi, l’idée ici était de s’inscrire dans l’esprit de ce qui se fait depuis les début des 90s avec Cypress Hill au niveau du mix argot hispanique / Anglais. L’équivalant n’a a priori jamais été fait avec le Français, malgré la grosse communauté française qui vit en pays anglophones. C’est d’autant plus bizarre que mon expérience m’a appris que les filles là-bas adorent notre langue, à un point qui frôle le cliché. Je me rappelle cette vidéo où un Français était avec une Youtubeuse américaine et il énumérait des mots comme « Guingamp, fistule anale… » et la fille était bloquée en boucle sur des « Oh my God ! » émoustillés. On a poussé le délire à un point où ça en devient débile pour un francophone, mais faut capter que pour un non-francophone, ça reste excitant parce que c’est un peu exotique.

 

Autre morceau encore : « Reel it in » commence par un sample d’un mec excédé qui dit « J’en ai plein le cul de ton comportement de gamin ». Au vu de ce que tu m’as dit c’est pour enfoncer le clou de votre attitude de sales mômes qui s’appliquent à faire chier les vieux ?

En effet. Pour la petite histoire c’est le père de Sideman qui prononce cette phrase. Je m’entends super bien avec lui, et lors d'une virée nocturne passée à bouffer et picoler, au moment de rentrer, comme il était bien chargé il s’était mis en tête de partir en boîte. Pour moi c’était plié, il fallait que je rentre. Lui, dans son délire, il m’a laissé un message sur mon téléphone, complètement infernal, enregistré alors qu’il était encore face à moi. Et le lendemain, quand je me suis réécouté ce message – que j’ai gardé, oui, parce que c’est une pépite – j’ai réalisé que ça allait super bien avec le morceau « Reel it in ». D’ailleurs sur l’album on a plein d’autres petits clins d’œil de ce genre. Des trucs qu’on a enregistrés nous. L’intro de « Caramel Eye » par exemple, c’est un SDF de Venice Beach qui était en train d’hurler sur les gens qui passaient sur la promenade. Du coup pour rire je suis allé le voir en lui demandant ce qu’il pensait des Français. Je m’attendais bien évidemment à un torrent d’insultes. Et là il me sort : « Vous êtes des mecs vraiment cools. Des êtres « sexuels », charmants ». On aime réutiliser ce genre de pépites quand on a la chance de pouvoir les capter sur nos téléphones. C’est un petit plaisir.

 

Parlons concert à présent. J’ai cru voir que vous avez du renfort maintenant en configuration live : vous avez laissé la guitare à une nouvelle venue, c’est ça ? C’est pour que tu puisses te consacrer à 100% au chant, et te permettre de jouer ton rôle de frontman plus à fond ?

Oui, c’est Marion, une amie de longue date, qui nous a rejoints. Ça faisait quelque temps qu’on y pensait, et puis on a finalement décidé de franchir le pas. Cela me tenait tout particulièrement à cœur parce que j’avais envie de ce supplément de liberté, et de pouvoir me concentrer uniquement sur le chant. D’ailleurs sur les enregistrements des derniers lives, j’ai constaté que ça fait une vraie différence. L’idée c’était soit d’avoir quelqu’un de très jeune – comme Zakk Wylde avec Ozzy –, arrivé fraîchement dans la vingtaine. Ou alors une fille, parce que visuellement parlant c’est intéressant, ça dénote un peu – au-delà du simple aspect « sexuel » de la chose, même si cela joue aussi vu que le milieu Metal / Rock est toujours très fortement masculin. C’est vrai que même si nous notre trip ce n’est pas les slips en cuir de Manowar, dans le public tu vois 80% de mecs. Quoique ça commence petit à petit à s’ouvrir…

Mais alors son arrivée est officielle, et déborde au-delà du live ? On verra bientôt des photos du groupe à 4 ?

Sur les photos de scène, oui. Après peut-être qu’on se refera un shooting avec elle, cela dépendra de la ligne directrice du moment. Mais pour l’instant Marion garde un rôle essentiellement live. Elle n’intervient pas dans la composition, elle n’intervient pas en studio : elle reste une guitariste de session. Pour le moment il n’est pas question de modifier le line up officiel.

Les mousquetaires restent trois, ok.

Voilà. Pour le dire autrement, c’est la Pat Smear de Ze Gran Zeft. Elle a le même rôle que Pat Smear a pu avoir pour Nirvana à une époque.

 

Tu as évoqué une tournée française en 2020 tout à l'heure. Celle-ci commence à vraiment se concrétiser ou bien est-ce que le projet est encore trop flou pour que tu puisses m’en parler plus précisément ?

En bien ces temps-ci j’en discute souvent avec notre booker. Il faut savoir qu’il reprend le projet à zéro, celui-ci ayant été un peu laissé à l’abandon dernièrement. Apparemment il a pas mal de pistes, dont des dates en pourparlers. On t’en dira plus en temps voulu – pour l’instant je n’ai pas beaucoup d’infos. Mais oui, il va y avoir des dates en France, cela devient primordial. Car le constat actuel est alarmiste : cela fait deux ans qu’on tourne en Allemagne et en Suisse, et qu’on y gagne du terrain – on est passé de 9 dates en 2018 à 28 dates en 2019 – et malgré ça on ne joue toujours quasiment pas en France, en dehors des plans au Bataclan et au Gibus

Au Bataclan c'était en première partie de Rob Zombie. Et au Gibus... C’était en tête d’affiche, c’est ça ?

Non, on était en première partie de Punish Yourself.

Ah oui. Le public a dû bien accrocher du coup non ?

Mouais mais… C’est de l’Indus, c’est encore différent… Ça parle à la limite plus aux gothiques, alors que nous on a des guitares roses tu vois ? Eh oui : même les gothiques qui ont souffert des quolibets parce qu’ils se maquillent et ont l’air chelou, eux trouvent ça chelou qu’on ait des guitares roses. Enfin bon bref…

Décidément les parois entre les communautés sont très hermétiques !

Alors là tu vois, autant je ne suis pas très engagé politiquement, autant s’il y a bien une chose que j’emmerde c’est le communautarisme. Qu’il soit religieux ou autre. C’est l’un des trucs qui pourrit la société et l’humanité en général. Se foutre dans des cases, quelle connerie! Par contre on a beaucoup l’esprit « collectif ». D’ailleurs il ne faut surtout pas faire l’amalgame entre communautarisme et collectif. On a toujours eu l’esprit collectif, on a toujours voulu bosser en équipe et faire grossir notre « communauté » – mais là on parle de mélomanes, de fans de musique. On ne veut pas ostraciser les gens, et développer un élitisme autour de notre fan base.

 

Allez, pour finir avec le live, la question classique – mais qui permet d’en savoir un peu plus sur vous : quelle affiche tu rêverais de pouvoir monter autour de Ze Gran Zeft ?

Alors si l’on se cantonne à des musiques très actuelles, notre but ce serait de devenir assez gros pour pouvoir partager l’affiche avec des groupes comme – on y va crescendo – Don Broco qui commence à monter petit à petit, qui est Anglais, et qu’il faut écouter parce que c’est vraiment intéressant, notamment pour ceux qui aiment le côté Dance et les gros refrains fédérateurs de Ze Gran Zeft. Leur image aussi, est vraiment raccord avec ce que l’on fait. Puis il y aurait Enter Shikari, qui est déjà un peu plus confirmé mais qui a toujours ce côté subversif. Alors eux ils sont un peu plus engagés politiquement, mais ils collent assez bien à notre univers, tant musical que visuel. Et puis le top ce serait d’avoir Bring Me The Horizon – dont je n’étais pas du tout fan au début. J’ai commencé à m’y intéresser à partir de Sempiternal. Puis pour moi ils ont atteint leur apogée sur That's the Spirit, qui est monstrueux. Après ils ont sorti Amo, dans lequel je mets un peu plus de temps à rentrer, parce que c’est encore un gros virage – une vraie épingle à cheveu même ! Mais c’est un nouveau virage ascendant, qui les voit encore monter. Et puis scéniquement parlant, ce qu’ils font c’est ouf ! C’est ce qu’on ferait si on pouvait avoir autant de moyens qu’eux. On est exactement dans cette démarche-là, autant visuellement qu’artistiquement. Alors là oui : faire une grosse tournée mondiale avec Bring Me, ce serait du pur rêve ! Après si on se permet d’aller jusqu’à côtoyer des légendes en empruntant les bottes d’un Gojira ouvrant pour Metallica, évidemment on rêverait de faire une tournée avec Rage Against The Machine

En plus ça redevient possible vu qu’ils se reforment *rire* !

Ça serait énorme. Ou avec les Beastie Boys, mais maintenant ça n’est plus possible. Et en partant dans le délire le plus complet – plus rattaché à rien de réel – moi j’aurais adoré rencontré Pantera et les frères Darrell dont je suis ultra-fan. J’aurais rêvé tourner avec Cypress Hill à l’époque – parce que ce qu’ils font maintenant avec Prophets of Rage, c’est un peu de l’édulcorant. C’est rigolo 2 minutes mais bon… Moi aussi je peux faire mon réac’ tiens : « Cypress, c’était mieux avant ! ». * rire * Limp Bizkit aussi, ça serait monstrueux. Peut-être même plus que Rage d’ailleurs. Et si Chester avait été encore là Linkin Park aussi, ça aurait été énorme !

 

A t’entendre je me dis que c’est ça aussi qui est cool avec Ze Gran Zeft : si, pour les fans, vous êtes avant tout compositeurs de musique, on sent que vous êtes encore – et peut-être même avant tout – fans de musique.

C’est sûr. D’autant que, malgré ce qu’on peut entendre ou lire sur les artistes qui ont la grosse tête, il y a toujours beaucoup d’entre eux qui, malgré le succès qu’ils peuvent avoir, gardent les pieds sur terre et savent qui ils sont et où ils sont. Comme disait Montaigne : « Sur le plus beau trône du monde, on n'est jamais assis que sur son cul ! ». Ce serait un kiff de tourner avec un Linkin Park, un Bring Me et un Rage parce que ce sont des mecs que je regardais avec des étoiles dans les yeux à la grande époque de MTV, mais surtout parce que ce sont des mecs qui nous feraient prendre 10 ans de maturité sur le plan musical, qui nous apprendraient énormément de trucs. Tous les soirs ce serait la leçon, tous les soirs on se ferait brûler, et tous les soirs on apprendrait. Parce qu’actuellement – et ce pour longtemps encore – on a des choses à apprendre. Tu ne nous entendras jamais dire « On est les meilleurs ! ». C’est le public qui, après de longues années de carrière, peut te consacrer comme « The Kings ». Mais avant, pendant des années, il faut apprendre, il faut manger de la merde. D’ailleurs je pense qu’à un moment donné si tu veux réussir dans ce métier il faut être un tantinet scato * rire *

 

Ultime question : est-ce que vous savez déjà à quoi ressemblera le prochain Ze Gran Zeft ?

Eh bien on va s’enfermer fin novembre pour enregistrer 3 titres qui vont servir de singles à diffuser tout au long de l’année, en support des différentes tournées qu’on fera en 2020. Mais aussi pour faire une sorte de pré-production qui définira les grandes lignes de ce que sera le prochain album – qui, je pense, sera pour fin 2021. Pour l’instant on veut se donner encore une bonne année pour défendre Gorilla Death Club. Et honnêtement je ne sais pas encore vraiment à quoi va ressembler ce prochain album. On ne se met pas du tout la pression. On veut continuer sur notre lancée, en prenant avant tout du bon temps entre potes : c’est la recette qui marche le mieux pour nous.

Effectivement, ce côté « On s’éclate entre potes » transparaît vraiment dans votre musique

C’est cool qu’on arrive à le transmettre, et d’avoir ce genre de retours. D’ailleurs on est assez à l’écoute de ce que nous disent les gens. C’est entre autre ce qui nous a conduits à réintégrer les guitares sur Gorilla Death Club, par rapport à #JOI. A revenir à cette dimension Rock / Metal années 90s. C’est pour ça également qu’on a engagé Marion pour le live, parce que les gens nous disaient que c’était mieux quand je m’occupais uniquement du micro. Voilà, on écoute les gens, et on s’écoute nous aussi. Et c’est aussi pourquoi je ne peux pas encore te dire ce qu’il en sera du prochain album, pour la simple et bonne raison que je ne sais pas, au moment de s’y atteler, où on en sera humainement, ni dans quelle vibe. En parallèle j’espère aussi que, vu qu’on est actuellement dans un énorme bouleversement musical, avec le Rap et les musiques électroniques qui sont en train de se péter la gueule, alors que ce sont les deux seuls belligérants qui restaient sur le marché aujourd’hui (Kanye West se met au gospel par exemple, la Trap est le dernier souffle du rap et la Dubstep le dernier soubresaut de l’Electro), j’espère qu’en 2021 quelque-chose de nouveau sera dans les starting blocks. Peut-être pas en termes de musique même, mais en terme de conception musicale. Cette nouvelle vague que j'appelle de mes vœux, ce serait pour moi un peu comme quand le Rock’n’roll est né sur les bases du Jazz et du Blues… pour au final donner Master of Puppets. J’aimerais que 2021 jette les bases de ce que pourrait être la musique dans les années 2030-2040. Et c’est clair que nous on sera là, au top de la vague !

photo de Cglaume
le 17/02/2020

2 COMMENTAIRES

nipalvek

nipalvek le 27/02/2020 à 12:51:10

La phrase : s’il y a bien une chose que j’emmerde c’est le communautarisme, résume quand même bien le style musical du groupe.

l'interview en tout cas est vraiment cool! j'espère que ce genre de "petits cons" continueront à faire chier les vieux métalleux très longtemps.

cglaume

cglaume le 29/02/2020 à 22:48:47

On est bien d'accord : longue vie aux petits cons !! :)

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