Ef - We salute you, you and you!

Chronique CD album (44:00)

chronique Ef - We salute you, you and you!

Il paraît que ceux qui restent ont une vie. Est-ce à dire que ceux qui partent n’en ont pas ? Vous avez 4 heures. Or, au milieu des pages que l’on tourne, des sillons que l’on creuse et des bifurcations qu’on emprunte, les plus beaux retours sont ceux qu’on n’attend pas. Alors que le monde ultra-connecté s’agite, éructe, s’auto-parodie pour mieux s’uniformiser tout en se noyant dans l’illusion de sa singularité, devenant chaque jour davantage ce qu’il combat, à l’instar de cette noria de groupes qui, obéissant aveuglément aux codes d’un genre, sans chercher à cultiver leur propre jardin, finissent par ressembler à des produits tout droit sortis d’usine, il est de ces formations qui, après avoir disparu des radars, juste pour vivre, respirer, exister, refont surface sous les feux des projecteurs, en toute simplicité,  dans toute la splendeur de leur charisme et de leur modestie. Ef appartient à cette engeance.

 

Adonc, sans fanfare mais avec force trompettes, le quatuor suédois opère un majestueux retour aux affaires, après un hiatus de plusieurs années occupées par les vicissitudes de ladite vie : ses membres ont, entre-temps, vaqué à leurs occupations. Qui a acheté une maison, qui a fondé une famille, qui a bataillé contre la maladie... Puis, une pandémie advint. Comme beaucoup d’autres artistes, ce cataclysme mondial a servi de catalyse.  A la faveur du confinement et autres restrictions du quotidien, le groupe a retrouvé l’inspiration et le chemin des studios. Affranchi de ses influences mais fort de sa propre expérience, il revient sans crier gare, en pleine possession de ses moyens, bien campé sur les piliers de son propre univers, enrichi de nouvelles idées qui toutes font mouche.

 

Le pédant se fait violence pour cacher ses carences et ses pillages culturels mais finit toujours par se trahir, victime de sa faiblesse et de sa paresse intellectuelle, cédant au copier-coller pur et simple, car garder en permanence la conscience en éveil de ses usurpations relève de l’impossible défi, ça demande trop de temps et d’énergie, et le monde n’attend pas, alors, au fond de sa baignoire, il baisse la garde et le masque tombe. Le véritable assoiffé de connaissances s'abreuve naturellement sans forcer, sans chercher à singer son voisin ni s’approprier ses spécificités et partant, forge sa personnalité sur la base de son vécu. En comparaison, il s’avère vain de chercher les sources d’inspiration de Ef. On peut invoquer les grands noms du post-rock, des Ecossais aux Canadiens, en passant par les Irlandais, mais ce serait envoyer l’auditeur sur de fausses pistes. Car Ef puise dans son propre ADN et refuse toute capillarité. Ou, pour user de bonne foi, a depuis belle lurette parfaitement digéré ses influences pour devenir le démiurge de sa propre cosmogonie.

 

Pour quiconque découvre sa musique, l’expérience relève de l’épiphanie pure et simple. De la pureté, elle en regorge. Toutes les transitions semblent couler de source, les passages d’une ambiance à une autre au sein d’un même titre et d’un morceau à l’autre relèvent de l’évidence. Cristallines comme la rosée du matin, délicates comme la caresse des 1e rayons du soleil au milieu des frimas d’un hiver figé, souples et diffuses comme la rémanence d’un regard qui vient de tutoyer l’infini au bord d’un précipice chahuté par le sac et le ressac, les structures des chansons opèrent des métamorphoses silencieuses telles que la Nature en offre à quiconque pose son ego perdu dans l’urgence pour admirer en toute humilité le spectacle de la vie. Qu’elle se montre calme, introspective, voire spirituelle, ou tempétueuse, tourmentée et indomptée, elle cueille l’auditeur avec l’ébahissement de se sentir respirer.

 

Pour l’aficionado patenté, cet opus célèbre des retrouvailles. Si le terrain reste connu, il réserve cependant moult surprises de bon aloi. Pour commencer, l’existence même de We salute you, you and you ! relève de l'inattendu. Choix judicieux du titre, comme une adresse à des amis perdus de vue et à ceux qu’on compte se faire. Ef nous salue, nous apostrophe, nous ouvre ses bras pour nous raconter de belles histoires. Et des histoires, les 7 titres en regorgent, car, contrairement à ce que le groupe nous avait l’habitude de servir, l’album se montre relativement bavard, toutes proportions gardées. Mais si l’absence et le silence de Ef furent longs, son verbe sait prendre son temps. Chaque morceau contient sa part de ligne de chant, tapie dans les recoins et les plis de ses arrangements. Du piano digne qui sait prendre tout l’espace ou rester en embuscade, des violons et des violoncelles sans emphase mais “vêtus de probité candide et de lin blanc”, des cuivres solennels et des nappes de synthé stellaires apportent autant de subtilités aux compositions dont l’apparente simplicité ne fait que traduire la perfection de l’ensemble : chaque note, chaque respiration, chaque embardée plaintive se trouve à son exacte place. La variété des tempos, des mouvements, des atmosphères, que ce soit dans le chant, masculin, féminin, hurlé, susurré, distillé dans des vocalises envoûtantes ou dans de fraîches incantations, ou que ce soit dans le travail sur les instruments et sur le son, sans artifice mais sophistiqué, chaque atome de ce fait d’arme participe de son originalité et contribue à ériger l’album au rang des meilleurs du genre en 2022. Précisément parce qu’il ne souffre aucune comparaison. Ef est de retour, pour un nouveau départ qu’il nous invite à entreprendre. Ensemble.

photo de Moland Fengkov
le 02/12/2022

6 COMMENTAIRES

Pingouins

Pingouins le 02/12/2022 à 09:33:34

Chouette chronique qui donne bien envie de tenter sa chance :)

Moland

Moland le 02/12/2022 à 10:16:08

Merci de l'avoir lue. Faut aimer le post-rock, hein. Tu me diras skeu t'en as pensé. 

Tookie

Tookie le 02/12/2022 à 12:36:07

Oh, je n'avais pas vu qu'ils avaient sorti un nouvel album. Je me jette dessus de ce pas !

Moland

Moland le 02/12/2022 à 12:59:37

Comme quoi, il s'avère bien discret, ce retour. Bonne écoute. 

Pingouins

Pingouins le 02/12/2022 à 14:14:33

C'est vraiment bien foutu et plus d'un moment est très beau. J'imagine que quand on est dans le mood, ça passe tout seul.
Mais là, ça m'a donné envie d'écouter Necrophagist :D

Moland

Moland le 02/12/2022 à 17:23:49

Hahaha le bourrin ! Ceci dit, l'un n'empêche pas l'autre. Et comme le dit si bien Paulo Coehlo, "la vie est une question de timing". 

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