Temps Plein - Film documentaire (Delbos/Tournier/Gravade) et Fanzine

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chronique Temps Plein - Film documentaire (Delbos/Tournier/Gravade) et Fanzine

A l'heure où sort un nouveau documentaire sur la scène alternative/underground/punk nommé Les disparus de la photo (que je n'ai pas vu), il était pleinement temps que je parle de Temps Plein (que j'ai vu, semble-t-il). Documentaire qui se double d'un fanzine au moins tout aussi intéressant. Vous voulez voir le film ? Achetez le fanzine, à l'intérieur un code vous permettra de le télécharger en excellente qualité. Écrivez là : collectif.toile.blanche@gmail.com

5 euros, c'est bon, ça va !

 

L'angle de Temps Plein est intéressant en soi : causer de la cause Punk/Noise/Underground et assimilés via un film avec une véritable réalisation (n'y cherchez pas de « stars » de l'underground, d'interviews découpées en fines tranches montées à l'emporte-pièce épileptique, vous n'en trouverez pas, et du sensationnalisme et/ou misérabilisme, non plus). Les réalisateurs explorent les temps morts, l'attente, la route, les antichambres, la vie de famille, le public, l'ivresse, les désirs, et bien d'autres choses encore, sans passer par l'exposition du sujet en lui-même : la musique. Pas de musique ici, ou si peu.

Pourtant, elle est partout.

 

Vous avez bien lu : pas d'extraits de concerts (ou presque), pas de voix off non plus, d'ailleurs (ou presque, à une exception près, que certes si je l'ai trouvée décalée par rapport au reste, elle apporte cependant une bouffée d'air à un moment propice), pas de foutus darons de la scène pour vous expliquer la vie, mais des portraits fugaces – des esquisses plutôt – de vies, croquis subjectifs d'êtres, de lieux, de situations. Temps Plein parle de ce que c'est qu'un individu qui passe sa vie à ne pas la gagner avec son groupe, son asso, ses plans concerts, tournées... Temps Plein parle de passion, mais aussi d'organisation et de rêves – devenus réalité en quelque sorte.

 

A l'opposé du docul-choc, le film pétrit la lenteur, l'attente, voire l'ennui pour en sortir des instants de poésie, et pas seulement un témoignage. On regarde Temps Plein comme on écoute le vinyle du groupe qu'on est allé voir la veille dans une cave, ou comme on pense à sa bande de potes (ce qui peut parfois revenir au même). C'est un instant chaleureux, attentif, intéressant.

Je repense à cette séquence où Membrane « essaie » et surtout rencontre un nouveau bassiste. Arnaud me confiait adorer ce moment dans le film parce qu'il se crée comme une forme de séduction entre les membres du groupe, de séduction et d'attente positive. « J'espère que ça va le faire ! ». Et oui, c'est vrai, c'est très touchant. Et en plus, la nostalgie d'un temps qui dure encore pointe son nez quand le groupe revient sur son passé pour le nouvel arrivant...

 

Poésie ! Poésie quand le gratteux de Bras-Man rentre chez lui, seul, sa tournée finie, et se roule une clope en écoutant un vinyle aux sonorités trans-vibratoires. Et pour ma part, impression de déjà-vu. Oh beaucoup d'entre vous le connaissent aussi, hein, le calme après la tempête, heureux d'avoir fini, heureux de l'avoir fait, heureux d'être parti, heureux d'être rentré, mais aussi déjà en train de regretter cette fin et d'appeler la prochaine.

Et la solitude qui vient, déjà, encore, salope qui te refroidit les os.

 

A peine ai-je été agacé par la séquence orga de concerts parisienne, surtout parce que je sais que ces gens se bougent vraiment le cul, et que la partie retenue est un peu navrante. Ou comment se créer de faux-problèmes. Mais bon, c'est une séquence « réunion » et peu de choses se font réellement au travers d'une réunion. Les réunions ne servent en général à rien, à part s'embrouiller, éhéh ! Et ça a le mérite d'illustrer cependant une réalité, aussi peu flatteuse et vaseuse soit-elle.

Pour se faire peut-être une meilleure idée de ce que brassent les gens de En veux-tu, en v'là, je vous invite à regarder l'interview fleuve antérieure réalisée par la même équipe, justement, là-bas :

https://www.youtube.com/watch?v=L2CD_9ri6DM

https://www.youtube.com/watch?v=2N8DLbKK9pc

C'est un peu plus intéressant. Ou juste complémentaire, en fait.

 

Mais pour tout le reste, pour le contenu, pour la démarche, pour le traitement, j'ai passé un pur bon moment. Et ne comprenez pas mal, il ne s'agit pas non plus d'une collection d’instants de lose, pannes de vans, séparations de groupes, galères des boulots alimentaires pour survivre, fatigue et drogues.

NON PLUS.

 

Autre chose amusante, c'est le sentiment, quand on a un peu navigué dans ces eaux accueillantes, de distinguer des têtes déjà croisées, entrevues, voire carrément de retrouver des gens qu'on a rencontrés, ou des potes, des amis. C'est ça aussi la magie de la musique de l'ombre ! Et je ne vous cacherai pas que derrière la création de ce film et de ce fanzine se cachent un certain nombre de personnes qui ont leur bonne place au chaud dans mon cœur.

Mais tout cela est juste chouette, intéressant pour tout le monde je pense, encore faut-il posséder un esprit un minimum ouvert.

 

Mais assez bavassé, j'essaie de ne pas trop en dire sur le film et me voilà déjà depuis de trop nombreux paragraphes à bavouiller sévère sénile.

Car là faut que je vous parle du fanzine. Non c'est pas fini, bordel !

Car en plus c'est un beau putain de contre-point, ce fanzine, il est excellent ! Il contient même une quasi auto-critique du film, en lisant entre les lignes, ou surtout, oui, il fait contre-point, il amène d'autres angles et nuance certains propos.

 

 

Ainsi il y a ce fantastique article d'une des personnes qui tiennent le label Et Mon Cul C'est Du Tofu ?

Drôle et perspicace, il pointe du doigt l'absence des femmes dans le film – et ailleurs. Oh pas de discrimination positive stérile ici, mais plutôt un grand moment de justesse et de bienveillance (mouahahahahah ce putain de mot, on a encore le droit de l'utiliser, hein!?!). Notamment sur le fait que si les femmes ne sont ici pas complètement des fantômes – mais presque – on n'en voit pas sur scène, derrière un instrument ou l'organisation d'un concert, mais ouais bon, un peu dans le public, ou surtout à la maison avec les gosses, à gérer, parce que bonhomme-grand-enfant part faire sa zizik bizarre et qu'il la laisse seule affronter la vie quotidienne dévoreuse d'âme et de temps.

Gêne. Vérité. Transparence ! Et ce, même si une femme a co-réalisé ce film – Aline. Et même si, je vous jure, parole d'ahuri, des femmes dans la ou les scène(s), j'en ai croisées un paquet.

Alors quoi de mieux que l'humour pour critiquer ? Je vous laisse apprécier cette parodie d'une couverture de Noisemag par Et mon cul c'est du tofu ?:

 

Pour bien comprendre, il faut voir l'originale, intitulée « La France a peur », le numéro et la couv' en question se voulaient un panoramique représentatif – mais pas exhaustif, hein, on a pigé, c'est bon - de la scène « Noise » française.

Bilan de la photo de famille : que des bonhommes.

Je vous jure. Que des bonhommes. Pas une seule nana.

Allez, j'vous la mets, rrrhhaaaan :

 

Gé-nial.

D'où la réponse savoureuse précédemment montrée.

L'article vaut son pesant de cacahuètes, même s'il semble parfois soulever des évidences, elles ne le sont pas pour tout le monde, et j'adore spécialement cette phrase qui devrait être enseignée et débattue à l'école : « […] nous avons tous intériorisé le sexisme, le racisme et n'avons pas toutes et tous essayé d'en déconstruire les mécanismes enfouis en nous. ». Mais aussi celle-ci : « Imagineriez-vous un magazine vous dire ''ce groupe est composé de quatre blancs hétérosexuels fils de bourgeois sans aucun handicap mental''? Cela paraîtrait incongru et pourtant nous acceptons tout le reste... »

Eh, je vous parlais de ce qu'est censée être la « black music » dans une autre chronique il y a quelque temps... C'est pareil, putain !

 

J'ai aimé aussi l'article d'Arnaud Gravade, « Une néfaste institutionnalisation des musiques actuelles », que TOUS les jeunes groupes plus ou moins ambitieux devraient lire. TOUS.

Ne vous enfuyez pas à cause du titre, ça tire justement à rouges boulets sur cette officialisation à tendance professionnelle des « scènes actuelles » ! Ou comment utiliser le langage du mal pour mieux désigner la maladie. L'article est tellement bon, et vrai, que j'aurais juste voulu que ce soit encore plus développé. L’histoire du groupe du Sud monté à Paris « pour réussir » est édifiante... et triste à mourir.

 

« Bon et vrai », j'en pense pas moins de la Bédé de CxRudler, que j'aurais pu lire encore pendant des pages et des pages tant je me bidonnais. Et ça balance au beau milieu des rires quelques vérités sur la connerie humaine, qu'on retrouve tout autant dans « la scène » qu'ailleurs, faut pas s'leurrer la gueule dans le fion : attention au rembourrage de crâne, « Y'a tellement de passe-temps intéressants... […] C'est bien, ça, la taxidermie ! », ahahaha !

Les fétichistes du matos, les Punks qui vendent leurs culs, les assos qui causent marketing codé, les accros aux étiquettes, T-shirts de groupe et autres communautaristes sectaires en prennent pour leur dégradé arrière.

Vous pouvez retrouver ses bédés 100% locales faites-main artisanat bio par exemple ici.

 

Intéressant aussi, l'article de Fabrice Hein sur le thème de l'automobile dans le Punk. Ça va me permettre d'ailleurs de faire une digression perso ; c'est pas parce que je sors plus de fanzine que je dois fermer ma gueule !

Quand allons-nous nous rendre compte de l'absurdité des fameuses « tournées » ? Ces trucs qui coûtent un pognon de dingue, qui brûlent du carbu', des pneumatiques et des neurones comme un bon nazi crame ses boucs (émissaires) ! Musique, loisir de riches ! Peut-être devons-nous revenir à moins de kilomètres parcourus et plus proposer sa musique au sein de son périmètre de vie – ou d'un périmètre disons « acceptable » niveau déplacements/dépenses/écologie. Ne riez pas ! Ce n'est pas du renfermement sur soi ! Ne pourrions pas plus insister auprès de la proche population ? Que les gens puissent mieux se rencontrer et se comprendre (et peut-être plus de gens finiraient par comprendre « la scène » et ses messages d’amateurisme assumé, passionné et consciencieux) d'une façon plus « régionale » si je puis dire, pour fabriquer plus de convertis, hihihi ! Le vrai sens de la CULTURE, quoi, bordel ! Sortir de « l'entre-nous » souvent caractéristique de la musique underground. Ces endauffés nous parlent du « vivre ensemble » ! Mais ce sont trop d'ignobles connards pour nommer les choses correctement par leurs noms : LA CULTURE, bordel !

 

Ah mais il faudrait que ce monde soit radicalement différent pour que cela fonctionne... Nos soucis écologiques évidents pourraient nous ramener à la raison...

Pour un retour à de vraies valeurs : soyons piétons ! Faut moins polluer avec les bagnoles ? Y'a qu'une seule solution : faut moins de bagnoles. Point.

Et je passe – comme un guedin sur un rond-point – sur les milliers de vies broyées, déchiquetées, écrasées, pulvérisées dans les divers et variés (comme les supplices de l'enfer) accidents de la route...

Quand allons-nous nous rendre compte de l'absurdité des fameuses « voitures » ?

 

 

Quoi d'autre à boire et à manger ? Tellement de choses... Une interview d'Agnès et Greg Rejuvenation (coucou!), pragmatiques comme toujours, un texte comme toujours-bis concis et incisif de Buddy Satanik Flo, digne comme pas deux, une petite thématique malheureusement récurrente sur la pute de gentrification, une explication contextualisée du débauchage au Samynaire par Guillaume Circus (Salut toi !, alors ça fait vraiment un bout de temps, nom de dieu, comment ça va depuis tout ça ? Moi perso je crois que ça va mieux, en tous cas je bois moins et je broie moins du noir et j'ai une fille géniale, qui l'eut cru, putain dans trois mois j'aurai 39 piges et je suis toujours pas mort et je suis père, mais tu sais, plus le temps passe plus je suis énervé, ça te fait ça à toi aussi ?, et plus les années passent et plus on s'dit « ah qu'est-ce que j'étais con avant » sauf qu'avant ben à un moment c'était maintenant et en fait on est toujours des cons à se démener dans ce grand bordel, ah ma bonne dame et en plus y'a plus d'saisons - fin du blink-blink emo, désolé et merci), bref, bref, bref, procurez-vous ce fanzine – et du coup LE FILM!!! – tout de suite, ça vaudra mieux pour vous, OK ?

 

photo de El Gep
le 29/12/2018

6 COMMENTAIRES

el gep

el gep le 06/05/2019 à 14:58:22

Le film est désormais dispo en visionnage libre:
https://youtu.be/XD34X-_c-As
Faites-vous plaiz'!

Freaks

Freaks le 10/05/2019 à 10:26:15

Traitement totalement inattendu, original et super intéressant..
J'ai beaucoup aimé le commentaire un peu consternant d'un des tourneurs "Euh par contre y'a pas de femmes" Aha tkt on avait remarqué et c'est bien dommage, ca manque cruellement dans le film..
Aussi, le réveil dans la cuisine, la tête a 10cm du balai.. Drôle et touchant à la fois..
Bref super doc avec ces failles certes mais avec ces moments de grâce et surtout qui dresse un portrait authentique et bienveillant de la scène..
Cimer pour le lien j'me suis régalé ;)

el gep

el gep le 10/05/2019 à 10:48:33

Aaaah bah ça fait plaisir, tiens!
Tu peux quand-même leur commander le fanzine, ça vaut le détour, éhhé!

Freaks

Freaks le 10/05/2019 à 13:05:10

Carrément! J'fais comment? Aha

el gep

el gep le 10/05/2019 à 13:31:24

Tu aurais pu lire le premier paragraphe de ma chronique, quand-même! Ah, j'te jure...
"Vous voulez voir le film ? Achetez le fanzine, à l'intérieur un code vous permettra de le télécharger en excellente qualité. Écrivez là : collectif.toile.blanche@gmail.com

5 euros, c'est bon, ça va !"

Freaks

Freaks le 10/05/2019 à 15:43:51

aha je vais passer pour un rigolo alors que je l'ai lu à 90% mais ne voulant pas faire le faux derche, j'ai préféré faire l'économie de trop de flatteries..
D'ailleurs, jai eu pas mal de ressentis commun en aillant vu le film... et merci pour l'analyse crypto-situ-féministe c'est toujours cool Aha ;)

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