OU - 蘇醒 II: Frailty

Chronique CD album (42:55)

chronique OU - 蘇醒 II: Frailty

Avis aux immobilistes les plus indécrottables : en laissant traîner vos yeux sur cette ligne et les suivantes, vous acceptez de pénétrer dans une zone de turbulences stylistiques causées par une sérieuse incongruité musicale.

Vous aviez entendu le terme "J-Rock" ? Vous aviez pesté contre la K-Pop ? Apprêtez-vous dorénavant à lever des sourcils interloqués face au C-Djent de OU (…vivement qu’ils jouent à Caen, dirait Devos).

 

Non, l’appellation C-Djent n’est pas une plaisanterie. Juste une approximation. Car bien que ce « C- » soit justifié par les origines chinoises du groupe (qui crèche à Pékin), on ne peut pas vraiment ici en parler comme d’une scène à part entière étant donné que

1. OU est certainement le seul de son espèce à l’heure actuelle

2. le Djent n’est qu’un aspect de la musique proposée sur 蘇醒 II: Frailty, l’étiquette « Modern Dream Prog/Folk expérimental » s’avérant a priori moins inexacte

 

Mais essayons d’y voir plus clair. OU, c’est d’abord Anthony Vanacore, un batteur américain expatrié parlant le mandarin. Ce sont ensuite Zhang Jing et Chris Cui, respectivement guitariste et bassiste, qui ont sans doute potassé longuement Le Petit Periphery Illustré. Puis c’est enfin Lynn Wu, sorte de Björk extrême-orientale pouvant autant jouer la carte de la naïveté duveteuse que celle du mille-feuille vocal expérimental. Son talent étant insolent, OU décroche rapidement un contrat avec Inside Out, ce qui conduira à la sortie d’un premier album en 2022. Le même talent n’en finissant pas de convaincre, OU finit par bénéficier d’un puissant coup de projecteur le jour où il réussit à confier consoles et manettes – mais également un micro, sur « Purge » – à Maître Devin Townsend, dont on reconnait la patte massive et lumineuse tout au long de ce périple à l’autre bout de la Route de la soie.

 

L’écoute de 蘇醒 II: Frailty s'avère incroyablement excitante : on y découvre des textures, des mélanges, des caresses, des stimulations jamais expérimentés auparavant.

Mais l’écoute de 蘇醒 II: Frailty s'avère également terriblement frustrante. Du moins pour celui qui ne s’identifie ni à l’otaku en PLS mangaphile, ni au collectionneur de peluches rose-pâle. Car il ne faut pas s’attendre à y vivre trois quarts d’heure de Metal à grosses balloches.

(Oui je sais, je parle de manga alors que le groupe est chinois. N’y voyez pas la manifestation d’une inculture débridée (!), bande de vils inquisiteurs. Mais certaines intonations de Lynn rappellent ces kawaïries dont raffolent les pokemon-addicts. D’où la permission auto-accordée de confusionner aux entournures)

 

Les trois premiers morceaux de ce 2e album sont du miel pour les âmes curieuses, surtout si celles-ci sont fans de Devin et d’avant-gardisme progressif. Car « 蘇醒 Frailty » hypnotise, l’oreille s’y faisant envoûter par un mélange inédit de trampoline épileptique, de piano évanescent, de mélopées joliment entremêlées, et de contrastes délicieux. C’est à la fois clinique et doux, divinement inspiré (zappez vers 2:42 pour savourer la rencontre d’un mantra soyeusement démultiplié et de trépidations rythmiques à haute fréquence), et occasionnellement sans concessions (à 4:37, clavier scintillant et hymne des Jeunesses maoïstes cohabitent sur fond de blast beats). « 淨化 Purge » prolonge l’expérience au cours d’une séance d’autisme atmosphérique captivant, la prod’ townsendienne, toujours aussi gonflée à l’hélium incandescent, continuant de diffuser une lumière aveuglante. Et le triptyque de se conclure sur « 海 Ocean », qui allie élitisme jazzy et mélodie délicieusement moelleuse – sans parler de cette injection de synthé so 90s et so sexy à 3:21 (on pense fugacement au « Born Slippy » d’Underworld – cf. Trainspotting).

 

On a un peu l'impression d'écouter des inédits tirés du Butterfly de Rejectionary Art, dans une version toutefois adoucie, pensée pour ambiancer les pauses détente au sein de Tiangong.


Malheureusement, c’est à ce moment précis que votre interlocuteur se perd en chemin.

Ou plutôt qu’OU le perd, sans doute sciemment.

(« où ? »... Ah non, ne commencez pas !)

 

Car « 血液 Redemption » n’est qu’un bol de lait au miel invitant au cocooning le plus doucement régressif. Car « 衍生 Capture and Elongate (Serenity) » invente un nouveau langage musical qu’on baptisera « d’Electro-ASMR Rock », dispensant glitcheries éparses, et caresses asexuées que seul un public de nerds craintifs appréciera à sa juste valeur. Quant à « Sprit Broken », s’il démarre sur un riff purement townsendien et renoue enfin avec le Metal, il erre sans colonne vertébrale fixe, tâtonnant entre minimalisme hésitant et divagations lounge éthérées.

 

BAM!, comment faire plafonner sa note à 7/10 maxi, alors qu’on avait un potentiel de folie et qu’on était à deux doigts de recevoir une pluie d’étoiles critiques enthousiastes…

 

La barre se redresse sur le dernier tiers de l'album, mais pour affirmer un avant-gardisme plus décomplexé que jamais. Enfin... surtout à l'occasion du conclusif « 念 Recall », sur lequel des percussions de bambou et un canevas vocal pléthorique semblent vouloir évoquer une machinerie organique merveilleusement monstrueuse. Impressionnant, mais un brin dérangeant. « 輪迴 Reborn » est bien moins perturbant, le problème étant qu’il n’offre « rien d’autre » que le chant nu et angélique de Lynn, tout juste agrémenté de quelques coussins synthétiques et autres mélodies ondoyantes.

(Je ne l’ai pas mentionné, mais oui, « 歪歪地愛 yyds » permet de retrouver des sensations parentes du premier tiers de l’album… Haut les cœurs !)

 

« Alors ? »

Comment dire… Excellent ce Puligny Montrachet 1996 ! Mais pourquoi y avoir versé des gouttes de grenadine ? Je suis une incorrigible brutasse sans finesse ni ouverture d’esprit ? Peut-être… J’avoue regretter amèrement ne pas pouvoir me livrer entièrement à cet enthousiasme fiévreux qui m’a parfois pris lors des nombreuses écoutes de 蘇醒 II: Frailty. D’un côté l’album explore, innove, irradie... Mais de l’autre il anesthésie, déroute, et divague. Ce qui, au fond, atteste une fois de plus du caractère profondément chinois de cette œuvre qui, en définitive, balance entre Yin et Yang.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte : « C-Djent » ou « Modern Dream Prog/Folk expérimental », appelez la musique de OU comme bon vous semble. Mais quelle que soit l'étiquette que vous lui accolerez, les expérimentations contrastées de ces Chinois – épaulés par Devin Townsend – ne vous laisseront pas indifférents. Tantôt caressante, innovante, irradiante, envoûtante même (pour le côté Yin de sa personnalité), tantôt délirante, perturbante, voire anesthésiante (pour le côté Yang), il s’agit là d’une terre musicale de contrastes qui vous laissera entre émerveillement et contrariété.

 

 

photo de Cglaume
le 24/04/2025

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