Steven Wilson le 27/01/2019, Cargö, CAEN (14)

Steven Wilson  (report)

On a beau avoir des oreilles qui s'apparentent à des sacs à tout grain, il y a toujours des mouvements qu'on ne peut pas voir en peinture. Parmi ces styles que je ne supporte clairement pas, il y a tout ce qui a trait au prog' et autres trucs estampillés neo-classiques. Enfin, quand je parle de prog', je ne parle pas de tous ces mouvements bâtards, quand ça s'entremêle à d'autres styles (citons pêle-mêle des Opeth ou des Enslaved par exemple) ou le courant plus actuel que l'on catégorise d'alternatif (avec Riverside en fer de lance pour donner une idée mais ça peut comprendre également des plus audacieux comme The Erkonauts). Parce que les morceaux qui sont tout en progression, ça ne me dérange pas plus que cela, au contraire. En revanche, quand c'est des morceaux à tiroir, étirés au max juste par prétention technique, voilà qui pose beaucoup plus problème. C'est ainsi que des Dream Theater, Symphony X, Vanden Plas ou même Tool, ça a vite tendance à me gaver. Et le public « puriste » du style, je n'en parle même pas : plus sectaire et élitiste tu crèves. Malgré tout, il y a toujours ces « petites exceptions qui confirment la règle ». Parmi elles, on pourra parler de King Crimson, celui qui a tout inventé sans jamais, je trouve, partir dans le « too much » gavant (et puis, il y a du saxo et ça, c'est le bien) ou bien de Pain Of Salvation qui aime prendre le style à revers et s'en fout totalement. Et puis, il y a Steven Wilson et ses groupes/projets satellites (Porcupine Tree bien entendu mais Blackfield également entre autres). Et ce, même s'il part totalement autre part comme il l'a fait avec le controversé (m'enfin, surtout pour les puristes en fait) To The Bone qui s'est posé pour moi comme une vraie madeleine de Proust à mes premières amours pop « simples d'apparence mais plus alambiquées qu'il n'y paraît » qui me nourrissaient grassement avant de découvrir ce délicieux monde metallique. Et comme le voir au dernier Hellfest a été un petit coup de cœur, il était difficile de ne pas être tentée de rempiler lorsqu'on t'annonce qu'il fait une tournée française avec une étape à 2km de chez toi. Ce qui représente par la même occasion ma toute première plongée au cœur des progueux.

 

Ce point qui a été une crainte s'est vite estompé : le côté pop accessible de To The Bone a bien fait son boulot, ce qui a attiré plus d'une moitié de progueux pas forcément au fait du style à venir affronter le vent polaire de ce dimanche soir. Et le Hellfest a bien fait son taf aussi parce qu'on peut voir également quelques t-shirts du festival, montrant qu'il y a quand même quelques metalleux de la partie. Malgré tout, on sent quand même la différence de public : point de pilier connu de concerts locaux aux portes du Cargö, la plus grande salle de Caen après le Zénith. Et à discuter, on comprend vite pourquoi : ça vient des villes normandes les plus proches, et de la Bretonnie dont les plus acharnés se prennent deux louchées de Steven Wilson pour le prix d'une – il jouait à Rennes la veille. Nul doute qu'ils ont bien fait de se faire ce petit plaisir d'en reprendre une tranche car il s'est au final avéré que les setlists des deux dates différaient sur de nombreux points, comme si le maître de cérémonie avait gentiment prévu que ce cas de figure arriverait. Tout ceci fait que l'ambiance, même si plus coincée qu'un concert metal pur jus on ne le cachera pas, n'est pas aussi élitiste et autiste qu'on aurait pu le croire sur le papier. Un bon point.

 

On avait beau nous annoncer qu'il n'y aurait pas de première partie, il s'avère qu'on finit très vite par en voir une fouler la scène. De la façon la plus simple et modeste du monde puisqu'il s'agit d'un duo de guitaristes électro-acoustique/électrique. Rajoutez à cela du chant la configuration minimaliste s'arrête là. A la tête, un certain Paul Draper (ex-Mansun) apparemment. Et il faut admettre que le duo nous aura offert une demi-heure apéritive sympathique tant le registre était intéressant, catchy et plus chiadé qu'il n'y paraît, et vecteur d'un panel d'émotions extrêmement riche. Car avec « juste deux guitares et une voix », c'est fou tout ce qu'on peut faire.

 

Malgré tout, aussi bonne fut la surprise de mise en bouche, aussi vite l'oublie-t-on dès lors que le maître de cérémonie entre en scène. Et pour cause, Steven Wilson nous a offert pas moins de 2h30 de concert absolument MA-GIS-TRAL ! Enfin, peut-être devrait-on plutôt parler d'expérience. Ce qui m'a fait pleinement fait comprendre pourquoi les Bretons ont eu l'audace d'aller le voir deux jours d'affilée. Parce que, franchement, difficile de sortir indemne tant la prestation a été un véritable grand huit niveau émotionnel. Ce mec est un maître à tous les niveaux, difficile de ne pas l'admettre. Que ce soit pour To The Bone, sans surprise très représenté, dont les morceaux s'avéraient délicieusement acidulés que pour toutes les autres déflagrations complexes et vertigineusement éprouvantes. Ce dernier album, plus léger et formaté, se montre effectivement parfait pour ça et même si, pris indépendamment dans la discographie de Steven Wilson, il paraît totalement hors-sujet, son intégration en live passe étrangement comme une lettre à la poste – il a joué « Postcard », voyez le fin jeu de mot – amenant des subtilités et aérations bienvenues en terme d'intensité. Parce que même si autour de moi, il y avait des compagnes de pur progueux qui ne pouvaient s'empêcher de se tortiller dès lors qu'un « The Same Asylum As Before » ou un « Permanating » (Wilson nous disait regretter de ne pas l'avoir joué au Hellfest tant il aurait bien aimé voir les metalleux danser le disco), il faut admettre que la fièvre s'accentuait gravement dès lors qu'on part en plein cœur du progressif. A commencer par le tandem « Home Invasion » / « Regret #9 » tiré de Hand.Cannot.Erase où tu sentais pertinemment le bouillonnement dans la fosse, un peu comme si elle considérait que « les choses sérieuses commençaient enfin ».

 

Une entame dans le registre « habituel » de son géniteur qui justifie à elle seule en quoi son progressif est différent de celui des autres : la technique propre au style est là, les structures et autres rythmiques bigarrées aussi mais tout ceci est uniquement là pour l'émotion. Jamais il n'y a cette sensation gênante de perdre son temps à se prendre les délires mégalos d'un virtuose de son instrument qui ne désire que t'en foutre plein la gueule. Preuve en est que le maître de cérémonie se montre finalement très humble, tant sur sa communication (aussi délicieusement flegmatique comme tout bon British qui se respecte que parfois interminable) que sur son instrument tant il laisse toute la vantardise de l'exercice du solo à ses musiciens, par ailleurs excellents. Non, là l'intention n'est que de livrer une musique d'une rare sensibilité, qui s'enfonce dans tes entrailles, le cerveau tournant à plein régime afin de déguster et discerner cette avalanche de nuances. Parce que le patchwork déployé par Steven Wilson est varié : allant du plus technique (« No Twilight Within The Courts Of The Sun ») aux expérimentations les plus bruitistes (« Sectarian ») en passant par les phases plus simples où l'intimiste prime (« Postcard », décrit avec humour comme « figurant dans le top 3 des titres les plus plombants de mon répertoire parce qu'on attend surtout de moi que je joue des choses dépressives et mélancoliques après tout »). Sans compter qu'il s'est permis de nous déballer pas mal de Porcupine Tree (« Don't Hate Me » bon sang !), histoire d'en avoir pour tous les goûts. Et de rendre les choses encore plus denses qu'on ne râle pas vraiment quand on voit le groupe partir pour vingt minutes de pause en plein milieu des hostilités. Au contraire, on souffle un peu et, surtout, on s'extasie parce que des concerts de 2h30, on n'en voit plus des masses finalement à l'heure actuelle. Avec un peu de visuel comme cette « moustiquaire » que l'on nous déploie par moments devant la scène qui sert en fait d'écran de façade. Même si, malheureusement, mon placement au premier rang ne me permettait pas de me rendre compte de l'effet global à proprement parler. Mais surtout, des moments vraiment forts. Comme ce sensuel « Song Of I » au final un peu étiré en quasi-impro qui nous donne l'impression de découvrir véritablement le morceau dans son ensemble. Ou le dantesque « Vermillioncore » qui fait bien craquer les cous dans ses passages les plus électriques. Et cette note finale sur « The Raven That Refused To Sing », véritablement transcendant, surtout avec son clip magnifique diffusé sur l'écran de fond, dangereuse promenade dans la mélancolie aussi somptueuse que vraiment plombante. Qui m'aura, à lui seul, bien mise d'humeur sur les deux jours qui ont suivi de ne rien faire d'autre de ma journée que m'asseoir devant la fenêtre pour regarder la pluie tomber (pas de chance, c'était les deux seuls jours où il n'a pas plu en Normandie). Mais bon dieu que c'était beau putain ! Rien que de m'y replonger, j'en frissonne et les larmes montent, c'est dire...

 

 

Setlist

 

  • Nowhere Now
  • Pariah
  • Home Invasion / Regret #9
  • Don't Hate Me (Porcupine Tree)
  • The Same Asylum As Before
  • Sound Of Muzak (Porcupine Tree)
  • Ancestral

(Entracte)

  • No Twilight Within The Courts Of The Sun
  • Index
  • Permanating
  • Song Of I
  • Lazarus (Porcupine Tree)
  • Detonation
  • Vermillioncore
  • Get All You Deserve
  • Postcard (Rappel)
  • Sectarian (Rappel)
  • The Raven That Refused To Sing (Rappel)
photo de Margoth
le 23/02/2019

1 COMMENTAIRE

Freaks

Freaks le 26/02/2019 à 19:44:02

Tu rates pas une occasion de faire un report localement.. Je vais devoir me faire un peu plus prolixe pour Live reporter la scène Punk Caennaise ;)
Très immersif ce report.. comme souvent..

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anonyme


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