First Draft - Declines Are Long Gone

Amateurs des Belges de Brutus, vous aimez ce groupe notamment pour le charisme de sa chanteuse officiant derrière les fûts de sa batterie ? Arrêtez tout, séance tenante, et découvrez leurs cousins français de First Draft. Le parallèle ne s’arrête pas à la similitude de la formation, car si ce groupe jouit d’une chanteuse batteuse, il compose une musique qui navigue peu ou prou dans les mêmes eaux, avec ce savant mélange entre puissance d’une propreté sophistiquée et mélodies pleines de dignité un tantinet mélancolique.

Marine Arnoult, tout en livrant des partitions d’une précision chirurgicale, se montre généreuse dans son registre vocal aux 1001 nuances qui pourra rappeler celui de Circé envoûtantes comme Björk ou Hayley Williams, voire Julie Christmas. Quant à Clément Douam, son acolyte, car oui, nous avons là un duo, assure le reste du travail, uniquement armé de sa basse, et d’un arsenal de pédales d’effets et d’amplis qui, sans céder à la tentation des boucles ou des samples, créent la bluffante illusion de se trouver face à plusieurs musiciens. 1+1 ne font pas 2, chez eux, car le rock n’est pas affaire de mathématiques mais obéit à la règle des 3tions : intention, inspiration, exécution. Au-delà de la prouesse technique (le duo nous dévoile ses secrets en interview, qui parleront essentiellement aux musiciens chevronnés versés dans l’art de la maîtrise de la technologie), le combo impressionne par la possession de ses moyens, par son univers très personnel et une certaine sincérité dans sa volonté de restituer la même énergie sur disque comme sur scène. En clair, au-delà de l’originalité du line-up, et partant, de ses particularités techniques, force est de constater qu’il ne s’agit pas là d’un argument de vente, car la musique de First Draft ne triche pas, ni en studio, ni sur les planches. Si vous n’avez pas encore connu la chance de les applaudir, patientez avec l’écoute de Declines are long gone, leur second EP de 5 titres d’une richesse sans pareille qui fait suite au précédent : Irony & smile. Nul artifice, il convient ici de ne pas confondre subtilité, nuances et esbrouffe technique.

First Draft ou la poétique du désespoir. C’est ainsi qu’on pourrait résumer l’ambiance de cet EP aussi court et frustrant qu’il se montre intense et riche dans les différentes émotions qu’il véhicule, globalement, et au sein des titres eux-mêmes. Car si sa musique se montre froide dans sa chirurgicalité, et dans les thématiques qu’elle aborde (les défis environnementaux ramenés aux turpitudes personnelles), elle ne se morfond pas pour autant ni ne se complaît dans l’idée tentante de la dépression, car dans la rage qu’elle déploie, on décèle des trouées lumineuses. C’est dans ce paradoxe que réside sa réjouissante originalité. Du reste, sans jamais se cantonner à un schéma classique couplet/refrain, les chansons ne font jamais se succéder les instants de fureur à ceux de douceur, mais imbriquent ces antagonismes dans des dynamiques évolutives qui rappellent le cheminement tortueux de la pensée qu’on laisse progresser par vagues inconscientes. Sauf qu’ici, rien ne tient du hasard, mais du contrôle total. Quoi qu’il en soit, n’attendons pas que le groupe sorte un jour un LP, et délectons-nous de ce second EP déjà bien abouti, porteur de grandes promesses quant à la suite de sa cosmogonie.

Moland Fengkov

le 08/03/2022