Botch + Great Falls le 19/03/2024, Elysée Montmartre, Paris

Botch + Great Falls (report)

Pour moi, Paris est une sorte de rumeur.

On m'a toujours dit et j'ai vaguement conscience qu'il y a une ville, là-bas, où il se passerait des trucs, mais je n'en ai jamais vraiment eu la preuve indiscutable, si vous voulez.

Mais là, c'est différent.

Headliners de la Valley le vendredi du Hellfest 2023 pour une reformation après un hiatus d'une vingtaine d'années, le quatuor de Tacoma avait mis tout le monde d'accord à cette occasion. Et moi, je n'y étais pas, et c'était l'un des noms qui auraient pu éventuellement me mener cette année-là au Hellfest, bien que je n'y ai pas mis les pieds depuis 2009.

Alors lorsque Botch ont annoncé une tournée, qui par ailleurs se trouve être une tournée d'adieu avec une seule date en France, Paris, j'ai immédiatement pris des billets et – l'occasion faisant le larron – pensé que ce serait une bonne opportunité de découvrir si la rumeur disait vrai, en plus de retrouver d'autres collègues scribouillards en ces pages, en l'occurrence nos bons amis Freaks et Moland Fengkov (dont les belles photos illustrent ce report), reconstituant donc notre trio du Roadburn de l'année dernière.

 

Et tant qu'à faire, autant y passer plusieurs jours, ce qui me permettra de passer (en retard pour les sets des premiers musiciens) au Cirque Electrique pour voir une performance dronesque expérimentale d'Aidan Baker (l'une des deux têtes de l'entité bifide canadienne Nadja) et une apothéose harsh noise de membres de l'équipe d'orga Banlieue Rouge le samedi ; puis à l'ESS'pace le dimanche pour l'instant hardcore bagarre avec un concert organisé par Arak Asso avec Reclaimed (Paris), les Allemands de Mortal Form, les Londoniens de Negative Frame au beatdown frisant avec le death qui agitera son lot de moulinets et de spinkicks, pour finir avec le crossover efficace de Denial Of Life, groupe originaire de Tacoma, Washington, exactement comme.... Botch. C'est bien, ce genre de petits détails, quand on écrit, ça donne l'illusion de la cohérence. Pour résumer, un chouette concert au pit animé mais à la bonne ambiance, avec son lot de 2-step et autres figures chorégraphiques typiques du genre, pour une moyenne d'âge relativement jeune dans le public, dans la vingtaine à vue de nez.

 

Une soirée de pause, une introduction et un jour plus tard, et nous voilà donc mardi soir, devant l'Elysée Montmartre, une excitation qui confine au trac de pouvoir enfin voir ce groupe mythique sur scène s'insinuant dans tout mon système nerveux. BOTCH, MERDE !

 

Mais avant eux, c'est Great Falls qui s'emparent de la scène. Comme beaucoup, je les ai découverts avec leur très bon Objects Without Pain, (logiquement) sorti chez Neurot Recordings l'année dernière. Le groupe n'ayant pas encore été annoncé au moment où nous avions acheté nos billets, la nouvelle de leur présence en tant que première partie, quelques semaines plus tard, avait permis de faire un nouveau pas vers la certitude qu'on allait passer une bonne soirée.

Le trio ouvre donc en toute logique avec « Draged Home Alive », le titre d'entrée dudit album et son quasi a cappella soutenu de quelques notes minimalistes menaçantes, un peu écourté il me semble par rapport à l'enregistrement (exit par exemple le petit sample chuchoté qui susurrait « There is no escape... »), mais ô combien efficace pour mettre dans... l'ambiance, disons ça comme ça.

 

great falls

Photo : Moland Fengkov

 

Et dès que la basse rentre en jeu, râclant le fond de vie de la noise-rock avec un soc de charrue taillé dans le post-hardcore cradingue, la densité et l'intensité de l'effort ne redescendront que très peu jusqu'à la fin du set. Tout cela a un petit côté 'poser sa tête sur l'autoroute avec l'oreille plaquée au bitume et voir ce qu'il se passera' du plus bel effet, cette saveur 'everything is NOT gonna be alright' qui reste bien pitonnée au fond du crâne.

Avec un jeu de batterie toujours vraiment chiadé et intéressant, un univers distordu et des sonorités qui renvoient indubitablement aux influences Neurosis un peu partout pendant le concert, Great Falls assurent le show sans problème, bouclant le concert avec un troisième (seulement) et dernier morceau, le massif « Thrown Against the Waves » qui clôturait l'album : là encore, la cohérence entrée/sortie est respectée, les vibrations soulèvent les corps et les cœurs.

Un seul regret peut-être pour ma part, un set que j'ai trouvé un peu trop court, le caractère immersif du style pratiqué par le combo laissant largement la place à un abandon aux ondes sonores qui se prolongerait plus longtemps. Mais bon, c'est le drame éternel des premières parties. Concert réussi néanmoins pour Great Falls.

 

Une petite pause et une pinte en main plus tard, non sans croiser par hasard d'autres personnes venues de la même ville que moi se perdre jusque dans ce concert à plusieurs centaines de kilomètres de leur foyer, et c'est l'occase de jeter un œil à la salle et à la foule.

Les nom des groupes sur les t-shirts, la proportion de vestes en jean, les cheveux grisonnants loin d'être des cas isolés..... On peut sans peine dire que la moyenne d'âge est ici nettement plus élevée que celle qui peuplait l'ESSpace deux jours plus tôt, pour aller probablement chercher dans la trentaine sup', voire sauter en Fosbury juste au-dessus de la barre des 40.

En même temps, ça peut se comprendre : une des personnes avec qui j'ai discuté à l'ESSpace n'était pas encore née quand Botch se sont séparés en 2002, et plus aucune sortie n'est venue marquer une quelconque actualité. Donc groupe mythique, oui, mais à la découverte ou la transmission peut-être plus difficile que d'autres. C'est un style de hardcore qui se trouve aussi être bien différent de la tendance actuelle, dans cette opposition entre dissonances créatives et gros breakdowns qui tâchent. Bon, c'est probablement de la psychologie historique du hardcore de comptoir, mais n'empêche : il y a une vraie différence de foule.

 

On s'en doutait un peu étant donné le caractère emblématique du morceau, mais lorsque « To Our Friends In The Great White North » nous débaroule en pleine tronche pour ouvrir le bal, comme il le faisait sur We Are The Romans, l'impact est toujours aussi redoutable qu'il y a 25 ans. 25 piges. Bordel, ça n'a pas pris une ride (musicalement, hein, parce que sur scène comme dans le public, comme on l'a déjà dit, il y en a sur les visages, Dave en blaguera une paire de fois). Et si le public s'était montré assez peu mobile durant le set de Great Falls, se contentant de se faire piétiner avec plaisir, cette entrée en fanfare de Botch réactive les capteurs de mouvements, qui ne s'arrêteront plus jusqu'à la fin du concert, une très généreuse heure plus tard.

 

botch live à Paris

Photo : Moland Fengkov

 

Les 'tubes' déroulent les uns après les autres, les dissonances et les rythmiques hachées typiques du groupe pètent le cerveau et déclenchent de sévères libérations d'endorphines chez celles et ceux d'entre nous qui avons poncé ces albums sans jamais avoir eu la chance de les voir en live, Dave Verellen n'a rien perdu de sa harangue vocale, même lorsqu'il sera chopé par la foule pour le faire slammer tout en continuant à chanter sur « Transition From Persona To Object », et derrière ses fûts, Tim Latona éclate absolument tout, avec une impression de confort assez dingo (en plus de prendre le piano sur la fin de « Oma », là où pas mal de monde aurait probablement fait tourner un sample). Mais surtout, que dire de ce magicien de la six-cordes qu'est Dave Knudson...

Non content de proposer des riffs à la fois emblématiques, dissonants et malgré tout débilement groovy, on sent, on voit et on entend que le mec a une approche d'ensemble de son instrument, cherchant à en tirer le plus possible par des moyens parfois 'détournés', ou en tout cas non-conventionnels : on pensera par exemple à ce riff sur « Hutton's Great Heat Engine » qui consiste en partie à jouer à moduler le désaccordage de la première corde pour distordre le son et aller chercher de nouvelles 'notes' et rondeurs tout en continuant à jouer, ou ce jeu sur le volume des micros qui là encore vont opérer des va-et-vient dans les basses et les stridences sur « Afghamistam », et le tout de façon tellement fluide que ça en grille les neurones, à l'image de cette guitare posée à terre pour être triturée et bidouillée à mort sur la fin de « Transition From Persona To Object », dans un pur esprit noise.

 

Quel concert mazette. Sous les yeux de cette statuette de chaton dégueulasse qui orne l'un des amplis, la quasi intégralité de An Anthology of Dead Ends y passera, ainsi qu'une vaste sélection des deux albums du groupe, en plus du nouveau morceau « One Twenty Two », pour une setlist complètement dingue. L'enchaînement « Spaim » et « Japam » est toujours aussi absurdement efficace, ces stridences de « Framce » qui s'insinuent partout, et que dire de ce « Thank God For Worker Bees », bordel, qui me fume complètement à chaque fois. Et ces rappels qui enchaînent le plus calme « Afghamistam » avec « C Thomas Howell As The 'Soul Man' » qui rendent tout le monde complètement déglingo, avant d'achever tout le monde sur « Saint Matthew Returns To The Womb » pour faire les choses bien.

On pourrait énumérer une quasi infinité d'instants qui ont rendu ce concert incroyable, et c'est quelque chose que l'on a bien retrouvé dans le public, avec des sourires qui ornaient chaque visage, des gens qui s'embrassaient dans le pit en se disant « PUTAIN C'EST TROP BIEN », la gueule bouffée par le bonheur d'être là.

 

Botch. Un groupe majeur, qui avec sa courte discographie a planté des jalons indéboulonnables de l'histoire du hardcore et des musiques extrêmes en général, avant de splitter sans avoir jamais tout à fait récolté le fruit de leur travail de leur vivant (en tant que groupe, hein), malgré l'influence considérable qu'ils ont pu avoir sur des centaines, des milliers de groupes dans leur sillage et qui, pour certains, deviendront beaucoup plus connus.

 

Botch. Emus que des gens aient voyagé exprès de loin pour venir les voir, eux, des quarantenaires qui jouent des chansons qu'ils ont écrit il y a plus de vingt ans, les quatre de Tacoma ont tout donné ce soir. Dans le jargon journalistique, c'est ce qu'on appelle une turbo branlée. Avec leurs dégaines de papas, ils ont mis tout le monde d'accord ce soir à l'Elysée Montmartre, offrant un concert et une performance qui restera indubitablement dans beaucoup de mémoires, et qui dans la mienne viendra se classer assez haut sur l'échelle des meilleurs shows auxquels j'ai pu assister, tous groupes et styles confondus, avec zéro seconde à jeter et pas mal de temps nécessaire par la suite pour redescendre de ce nuage sur lequel ils nous ont projeté.

Et quand bien même ce report est déjà bien trop long, j'ai l'impression de ne pas trouver les mots pour dire à quel point cette soirée était exceptionnelle.

 

Alors pour le résumer très rapidement, voilà l'idée : ce soir, Botch ont tout simplement démontré pourquoi ils méritent leur statut de groupe culte.

C'était incroyable. Et si vous n'étiez pas là, vous avez eu tort.

 

botch live à Paris !

 

Setlist Great Falls :

- Dragged Home Alive

- Born As An Argument

- Thrown Against The Waves

 

Setlist Botch :

- To Our Friends In The Great White North

- Mondrian Was A Liar

- John Woo

- Spaim

- Japam

- Framce

- Oma

- Thank God For Worker Bees

- One Twenty Two

- Vietmam

- Transitions From Persona To Object

- Hutton's Great Heat Engine

- Afghamistam

- C Thomas Howell As The 'Soul Man'

- St. Matthew Returns To The Womb

 

P.S. : Une captation vidéo intégrale du concert peut se trouver ici.

photo de Pingouins
le 03/04/2024

7 COMMENTAIRES

pidji

pidji le 03/04/2024 à 10:13:28

Un des concerts les plus attendus de l'année dans le style, et à priori ils ont assuré 😁
En tout cas au Hellfest l'an dernier ils ne m'avaient pas déçu déjà.

Moland

Moland le 03/04/2024 à 11:50:47

Très chouette soirée pour un néophyte comme moi, mais j'avais déjà pris ma claque au Hellfest. Bien content d'avoir partagé cette soirée avec vous. 

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 04/04/2024 à 21:39:33

Bouyaga les fotos !!

Moland

Moland le 05/04/2024 à 02:57:19

Tout au téléphone haha 

Pingouins

Pingouins le 06/04/2024 à 09:50:54

C'était vraiment ouf, mais j'imagine que le report exprime bien ce que j'en pense ahah. Une super soirée, qui vient pour le moment se classer en #1 de l'année (de la décennie '20 ?) en termes de concerts. Et ce soir c'est Slift !

Moland

Moland le 06/04/2024 à 12:32:03

Pfouah ! Slift. Cascades de claques et tutoiement de l'infini en prévision !

Freaks

Freaks le 08/04/2024 à 21:00:13

C'était bon enfant et à tombé par terre.. Ce qui n'est pas arrivé mais ça aurait pu vu l'énergie dans le pit :p
Mémorable ! 

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