Scarecrow - The Last

Chronique CD album (53:01)

chronique Scarecrow - The Last

On pensait avoir tout entendu en termes de fusion entre Hip-hop et grosses guitares.

Le Rap Metal de Body Count.

Le Trap Metal de Ghostemane.

Le Djent Rap de Hacktivist.

Le Rap Punk Mandoline de Krav Boca.

Le Black Rap d'Uratsakidogi.

Le Wigger Slam de Worm Alert.

 

C'était oublier une autre approche, plus "andCo" que franchement Metal, et pourtant sacrément fructueuse : les polissonneries Blues / Hip-hop de Scarecrow.

Car l'alliance de, à ma gauche, la guitare pleine de langueur et la voix élimée comme un vieux jean de Slim Paul avec, à ma droite, les platines et le flow old school d'Antibiotik, crée un hybride qui – Enzo sur TikTok vous le dirait ainsi – est gravement dar ! D'autant que le pouls de ce duo merveilleusement improbable bat au rythme organique d'un vrai batteur et d'une basse délicatement sourde.

 

 

The Last est le deuxième et dernier album de l'épouvantail toulousain. Et c'est une merveille de feeling, de justesse, de sobriété, de décalages symbiotiques, de désenchantement punchy, et de mélancolie sublimée – si si, ça mérite amplement qu'on sorte ainsi les violons. Le Hip-hop, typé 80s, amène la souplesse de la démarche, la vitalité du scratch, le mordant urbain, à un Blues qui tantôt égraine ses trémolos dans la fumée d'un vieux bar, tantôt traîne ses bottes dans la poussière Country d'un désert américain. Pour le décrire depuis une lorgnette un peu différente, c'est un peu comme si un MC Solaar qui en aurait gros sur la patate, faisait équipe avec un Muddy Waters qui reviendrait de loin.

 

The Last est plus qu'une simple collection de hits. C'est une histoire. Les titres s'enchaînent, liés par des saynètes, par la pluie qui ruisselle, par une voiture qui s'en va ou des cloches qui tintent, depuis la rupture démarrant « The Last » jusqu'aux craquements de corde et aux corbeaux de « Pendaison ». Alors forcément, vu à quel point elle nous a remué la tripaille, cette histoire, on a envie de vous la raconter.

 

The Last commence donc sur le Blues gouailleur et épicé de scratches égrillards de celui qui vient de se faire prendre en train de mater du porno par sa désormais ex-petite amie. Ce qui frappe d'emblée, c'est ce putain de feeling de malade, ces tripes mises en quantités non homéopathiques dans chaque mot prononcé, dans chaque corde grattée, dans chacune des contributions des quatre musiciens en présence. Ce n'est cependant que sur « To The Beat » que la paire de cordes vocales commence véritablement à bicéphaler derrière le micro, les couplets étant confiés au bagout et la fine plume du MC, tandis que le refrain reste la chasse gardée de Paulo et de ses intonations rocailleuses, qu'il prolonge d'accords minimalistes exhalant des parfums de wild wild west.

 

« Da Black Cat Bone » est à la fois confondant de sobriété, et complètement imparable. Le crossover Blues / Rap s'y avère tout bonnement imperfectible. Les couplets soulèvent la poussière d'un matin aride. La section rythmique, indéniablement Rock dans sa forme, se révèle, sur le fond, être le terrain de jeu idéal pour qu'une jeunesse revancharde balance une prose mordante et chaloupée. Quant au mantra(p) qui fait office de refrain, il hypnotise, tournant en boucle, tout en se fragmentant sous l'effet d'une judicieuse enscratchification. On se permettra quand même de lui reprocher une répétitivité un peu usante sur la durée.

 

« Suitcase Blues » gratte tristement ses cordes sous la pluie, la complainte désabusée du fumeur de cigarettes sans filtre se voyant musclée de discrètes mais vitales touches urbaines.

 

Mais Scarecrow ne fait pas que se morfondre. C'est ce qu'affirme bientôt « Shake It », sa version à lui du « Cendrillon » de Téléphone. Du moins sur le plan des textes. Car ce titre voit par ailleurs le groupe se mettre à danser le Mia, et livrer un refrain empreint d'accents légèrement plus Soul. Des cuivres font leur apparition, et l'on y entend également un solo de scratch s'aventurant jusqu'aux limites des terres du Outkast de « Hey Ya ! ».

 

La suite nous offre l'occasion de pointer du doigt certains de ces éléments qui nous empêchent d'attribuer une note plus himalayenne encore à l'opus. C'est que le pur Rap de banlieue hexagonale, ça n'émeut pas plus que ça votre interlocuteur. Et bien que leurs textes soient savoureux, on goûte donc moins à des pistes comme « Tu peux, pas » (qui tape sur le Hip-hop à gros boules et gros billets) et « L'Importuné » (qui laisse néanmoins, minutes après minute, plus de place à un Blues des grands espaces), qui misent plus exclusivement sur le flow nu d'Antibiotik (ce pseudo, j'vous jure...).

 

Entre ces deux titres en revanche, une pure pépite : « Dad ». Ou comment devenir un homme à l'ombre d'un père qu'on n'a pas connu. Ce morceau est une merveille de sensibilité, l'apogée poignante d'une fusion qu'on n'aurait jamais imaginée pouvoir acoucher d'un aussi brillant joyau. Chaque écoute de ce titre me fout une monumentale chair de poule... Si chaque style a besoin d'un morceau cristallisant son essence, celui-ci sera l'étendard du Blues/Rap.

 

Les Alain Decaux des musiques modernes vous l'affirmeront doctement : à l'origine, le Blues comme le Rap sont des styles dépouillés, allant à l'essentiel, sans froufrous ni dentelles. Juste des voix, et des tripes. Et c'est bien là le propos de « Don't Mind Dyin' ». Quelques cordes, une voix, de la rage résignée. C'est beau comme une larme humectant les craquelures d'un désert émotionnel. À noter que, malgré ce dénuement, on finit par penser au « It’s Probably Me » de Sting et Eric Clapton. Et comme pour faire mentir le chroniqueur qui vient tout juste d'asséner que ces deux styles sont avant tout axés sur le chant, « Like This » affirme au contraire qu'ils peuvent tout à fait vivre sans, ces deux minutes cinquante purement instrumentales étant par contre parcourues de trompettes et de samples hautement scratchés chargés de compenser l'absence de textes.

 

Mais ce genre d'histoires, vous le savez, finit mal, en général. C'est ce que vont confirmer les deux véritables dernières pistes. « Wild Body » d'abord, Blues minimaliste de bord de feu de camp, dont les sanglots réprimés vont se prolonger à travers une triste trompette, au propos à ce point déformé par les platines d'Antibiotik qu'elle va, pendant un moment, sembler animée par Igorrr himself. Et c'est donc au bout d'une corde que finit ce funeste récit, les oscillations du corps suivant le tempo du glas, de la basse et d'une batterie dépressive. Au pied de cet arbre aux branches chargées de fruits macabres s'élève bientôt le chant d'esclaves désenchantés, ainsi qu'une thérémine, ces prières funestes nous renvoyant aux moments les plus sombres (et les moins Metal) de Zeal And Ardor.

 

 

… Maman, quel monument ! Quel putain d'album ! Pas étonnant qu'à l'époque le groupe ait fait tourner les têtes (on parle de 500 concerts dans 15 pays différents). Plus étonnant, par contre, ce silence qui dure à présent depuis presque dix ans. J'espère sincèrement que les Toulousains ne s'en tiendront pas là. Et que, si vous n'aviez jamais entendu parler de ceux-ci jusqu'à aujourd'hui, vous tenterez vous aussi l'expérience, qui est de celles qui ouvrent des perspectives, voire transforment intérieurement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La chronique, version courte : la rencontre du Blues et du Rap... Sans doute n'en aviez-vous jamais rêvé. Peut-être même l'évocation de ce mariage a-t-elle formé sur votre faciès interloqué une grimace peu amène. Il s'agit pourtant d'un événement stylistique majeur, dont The Last fournit les Tables des Lois. Qui aurait pu imaginer que les textes et le flow d'un MC Solaar acide, le désenchantement rocailleux d'un joueur de Dobro, des platines ironiques et l'aridité de l'Ouest américain s'uniraient de façon aussi symbiotique ?

 

 

photo de Cglaume
le 31/05/2025

7 COMMENTAIRES

el gep

el gep le 31/05/2025 à 07:58:15

Mais mais mais mais j'ai pas encore tout lu que je bondis !

La Fusion du Blues et du Rap n'a rien de complètement inédit, loiiiiin de là !
Tu peux en entendre (pas forcément dosé comme ici hein) direct déjà check ici: Blues Explosion, Everlast et des tas d'autres trucs que j'ai sur le bout de la langue !

Je suis profondément profané dans mon offense, je rends ma carte !

el gep

el gep le 31/05/2025 à 08:00:19

G Love And Special Sauce !

R.L. Burnside ! (pas le chant, les boucles)

Thedukilla

Thedukilla le 31/05/2025 à 08:02:51

Très chouette album, ça s’écoute sans peine ^^
Par contre, pour le côté précurseur, j’aurais tendance à mettre une pièce sur Everlast, qui a proposé ce métissage de la fin des années 90 (porté par les single « What It’s Like », « Black Jesus », ou « I Get By », qui tournaient sur MTV à des heures indues) jusqu’en 2018, avec un dernier album plus purement blues.

Excellente chro, pleine de belles images, tu m’as donné envie de réécouter Billie Holiday 😊

Thedukilla

Thedukilla le 31/05/2025 à 08:05:39

(Haha les 2 Jan-Michel Correction qui débarquent avec leur « oui MAIS EVERLAST » en simultané 🤣 c’est ça la famille CoreandCo 🥰)

cglaume

cglaume le 31/05/2025 à 08:14:32

Je confesse une ignorance crasse sur le sujet... Je vais de ce pas me recouvrir moi-même de goudron et de plumes 😅

el gep

el gep le 31/05/2025 à 09:10:27

Ahah la Police du HipHop/Blues en action !

Ouais... bon... mais c'est vrai que c'est vraiment pas la fusion la plus courante, hein...

el gep

el gep le 31/05/2025 à 09:30:14

Et Public Enemy par moments sur Muse Sick-n-hour Mess Age !

AJOUTER UN COMMENTAIRE

anonyme


évènements

  • ULTHA au Glazart à Paris le 27 juin 2025
  • Seisach' 6 les 17 et 18 octobre 2025