Mogwai - The Bad Fire
Chronique CD album (54:50)

- Style
Post-rock poppy et feelgood - Label(s)
Rock Action / PIAS - Date de sortie
24 janvier 2025 - écouter via bandcamp
Il y a des vocables tellement utilisés à l'envi qu'ils en perdent leur sens. Nous n'en dresserons aucune liste non exhaustive mais parmi ceux-là, nous retiendrons la résilience. Et pourtant, c'est bien le terme idoine qu'il s'agit de dégainer pour parler de The Bad Fire, cette expression de la classe ouvrière de Glasgow qui désigne l'enfer. Cet enfer, ce n'est pas les autres de Jean-Paul Sartre mais celui qui a envahi la vie des membres de Mogwai, quand une grave maladie a frappé la fille de son claviériste Barry Burns. Quatre ans après un excellent As the Love Continues, le nouvel album des Ecossais s'est construit autour de cette épreuve. On aurait pu s'attendre à un résultat chargé, sombre, lourd, mais à l'instar de Hushed and Grim, le monstrueux bijou de Mastodon qui se paraît de dignité face au deuil, le groupe livre une oeuvre qui, dans la continuité du précédent opus, s'avère extraordinairement lumineux, solaire, apaisé. Voire poppy dans son approche directe et résolument feelgood dans son esprit.
Adonc, exit les longues structures en lentes progressions derrière lesquelles se tapissent, en embuscade, des explosions telluriques, il convient d'aller applaudir le groupe sur scène pour avoir sa dose de mur du son, la tournée accompagnant la promotion de ce "mauvais feu" privilégiant les nouveaux titres tout en insérant à la setlist des classiques, ladite setlist, différente chaque soir, cachant son lot de surprises. Le 19 février 2025 au Casino de Paris, en guise de rappel, nous avons eu droit à un seul morceau, mais quel morceau ! Vingt minutes titanesques de "My Father, My King" avec son final apocalyptique à en faire imploser les organes et les murs du théâtre ! Du reste, les nouveaux morceaux, comme toujours chez eux, gagnent en force et énergie dans leur version live. Leur version studio s'avère tout autre. Plus directe, plus courte et en apparence plus simple que d'habitude, la musique de Mogwai de 2025 se débarrasse des oripeaux du passé tout en cultivant un sens subtil et paradoxal de la sophistication dont il détient le secret depuis maintenant 30 ans.
Comme moult autres groupes de rock en général et de post-rock en particulier, Mogwai a fini par intégrer des éléments electro à sa musique, et si ces choix artistiques ont pu rebuter certains fans de la 1e heure, n'y voyant qu'une lubie pour se renouveler sans en avoir assez écouté au préalable, force est d'admettre qu'au fil des albums, ils deviennent des ingrédients constitutifs du processus de création. Témoin, cette longue intro de "God gets you back" laissant toute la place aux claviers qui délivrent une ritournelle légère et entêtante (une écoute attentive identifiera la richesse des arrangements qui se mêlent à la danse avec discrétion et pertinence) avant que n'interviennent guitares cristallines, basse ronronnante, batterie sautillante, et chant éthéré dont les paroles ont été imaginées par la fille de Burns elle-même. En clair, ce titre d'ouverture pose d'emblée et sans ambage le cadre. Le message est clair : l'album se place comme un anathème cathartique répondant à la noirceur de son titre. Le combo sait unir les forces de ses membres pour surmonter les obstacles de la vie et les enterrer sous l'ombre de leur éclatante noblesse d'âme.
Mais qu'on ne s'y trompe pas. Si l'entame de l'album (et son ensemble) laisse une impression de simplicité dans ses structures, bâties sur une idée principale, qui traduit une volonté de s'attacher aux aspects essentiels de la vie pour mieux en jouir au lieu de se laisser submerger par son faix, chaque morceau détient sa part de richesses (impossible de déterminer combien de couches d'arrangements certaines parties contiennent) qui rappellent précisément que les choses détiennent la valeur qu'on leur donne. C'est ainsi que la coulée de lave puissante dans ses rugissements successifs de "Hi Chaos" s'intègre sans rupture mais avec une déconcertante et naturelle fluidité aux ritournelles autour desquelles se déploie le morceau. A l'épicentre de l'album, son plus long titre (la moyenne des morceaux tournant autour des 4 minutes), If You find this world bad, you should see some of the others, et également son plus poignant, dénote par sa mélancolie embarquée qui rappelle le Mogwai classique, et nous dit en substance que les sourires affichés sur les autres tracks s'affichent au prix de luttes âpres, voire homériques, contre les vicissitudes de la vie. C'est parce qu'on ne doit jamais baisser la garde qu'on peut savourer ses victoires.
Ces victoires, tout l'album les célèbre dans une allégresse à vous en foutre la chiale : "Fanzine made of flesh" et ses relents daftpunkiens qui donnent envie d'enflammer la piste de danse en y dessinant avec son corps des arabesques champêtres, ou encore l'enchaînement des 2 titres frémissants que sont "Hammer Room" et "Lion Rumpus" (et ses magnifiques soli de guitare dont les mélodies transpercent le coeur). Lorsqu'ils s'emballent, ce n'est plus un déluge de feu qui s'abat sur l'auditeur mais une pluie d'étincelles et de confettis multicolores. Que ce soit dans la délicatesse de ses moments calmes comme dans ses élans de fureur de vivre, The Bad Fire nous tend la main et sa poigne se montre ferme, solide, rassurante. In fine, résiliente. Car Mogwai, avec cet album aux 1001 contrastes tous emprunts de formes différentes de l'énergie qui fait tourner la machine contre vents et marée, nous dit, avec son titre de clôture, "Fact boy", tout en sérénité, que le feu, aussi vorace et dévastateur puisse-t-il être, on peut le dompter.
7 COMMENTAIRES
Tookie le 28/05/2025 à 07:38:58
Toujours intouchables pour moi. Même si l'album n'est pas excellent (il est quand même très très bon), je suis toujours sur le fessard qu'avec un tel historique et leur productivité ils ne soient pas devenus tout simplement chiants. Mais non, ça n'est jamais décevant.
Thedukilla le 28/05/2025 à 08:19:51
Incroyable album, effectivement dans une couleur bien différente, mais qui apporte une dose de positivité bienvenue.
On n’y trouve pas forcément ce qu’on venait chercher dans Young Team ou Happy Songs For Happy People, mais les frissons sont toujours là !
Moland Fengkov le 28/05/2025 à 11:48:26
@Tookie et en live c'est toujours aussi puissant dans tous les sens du terme. Quoi qu'il en soit, y a des chances qu'on retrouve cet album dans mon top de fin d'année.
@Thedukella j'aime bien quand un groupe sait faire évoluer sa musique et n'essaie pas de resservir l'album préféré des fans. Mogwai fait partie de ce genre de groupe.
Thedukilla le 28/05/2025 à 13:22:30
@Moland : je viens de placer le dernier Full of Hell en base, je pense qu’on va être raccord sur cette réflexion ^^
Moland Fengkov le 28/05/2025 à 13:50:47
Hâte de lire !
Pingouins le 28/05/2025 à 14:33:41
Et ben moi je suis passé complètement à côté de cet album de Mogwai. Le côté pop agit comme un repoussoir viscéral, ça ne me prend pas duuuu tout :/
Moland Fengkov le 28/05/2025 à 18:16:30
@pingouins t'es amateur du groupe, en temps normal, ou bieng ?
Et sinon, tu préfères aussi les débuts de Mastodon plutôt que leurs derniers albums ?
Après, Mogwai en live, c'est différent, la prochaine fois qu'ils passent chez nous, on y a ensemble !
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