Eschaton - Techtalitarian
Chronique CD album (45:23)

- Style
Brutal Tech-Death virtuose - Label(s)
Transcending Obscurity - Date de sortie
30 mai 2025 - écouter via bandcamp
Dites voir : on ne tiendrait pas là LE titre d’album ultime ? Techtalitarian : tout est dit. Il ne nous sera accordé ni élections, ni vaseline, ni roucoulades, ni accordéon. L'oreille va être immergée dans un autoritarisme technique où reignent adjudants-chefs d'orchestre sadiques et profs de Conservatoire orwelliens. On devine qu’en ces contrées hostiles ça doit gravityblaster sous les bombes, débiter du riff avec une cadence de DCA névrotique, et faire tonner les trompettes de l'apocalypse sous le haut-commandement de stratèges sortis majors de St Cyr.
… Alors forcément, afin d'entretenir cet état d'esprit aussi virtuose que belliqueux, mieux vaut éviter d’appeler le groupe « est-ce chaton ? ». L’objectif est de garder en tête l’image d’un Robocop à Flying V, et non celle d'une Hello Kittie toute mimi. Allez, forcez-vous : c’est « Aicheutonn’ », blaze plus proche de « mégatonne », dans la sonorité comme dans l’esprit.
Vous me direz que ce n'est guère compliqué de jouer les grosses tech’ brutasses en arborant un artwork froidement menaçant et un titre affirmant des intentions despotiques. Mais musicalement, est-ce que ça suit ?
Méchamment Armand ! Il faut dire que, si les flots fougueux déversés dans nos tympans semblent produits par une armada de cyborgs armés jusqu'aux dents d'instruments, ce n’est pas un hasard. En effet, parmi les pointures qui nous régalent ici, on compte :
-
Darren Cesca, qui a également joué du tam-tam pour Goratory, Vile, Hideous Deformity, Arsis, ou encore Deeds of Flesh
-
Mac Smith, qui s’est précédemment raclé la gorge chez Apogean, Alterbeast ou encore Decrepit Birth
-
et surtout Christian Münzner, dont je ne devrais pas avoir à rappeler qu’il a trempé dans Spawn of Possession, Alkaloid, Defeated Sanity, Obscura, Nader Sadek, Necrophagist, et tout dernièrement Retromorphosis
Notez par ailleurs que, s’ils n’ont pas le poitrail recouvert de médailles aussi prestigieuses, les deux zigs n'ayant pas été explicitement cités ci-dessus n’en demeurent pas moins des monstres dans leurs domaines respectifs.
Techtalitarian est donc le troisième album de cette escouade de l’extrême – le premier à tout à la fois embarquer Mr Münzner dans l'aventure, et débarquer de l’écurie Unique Leader. En calant la bête sur votre platine, vous signez pour trois quarts d’heure mêlant la virulence impitoyablement élitiste d’Odious Mortem et Origin, et l’exubérance virtuose de First Fragment. Vous y serez invités à un buffet aussi luxuriant que raffiné… qu’on vous sommera d'ingurgiter à la vitesse du boulimique au galop. Vous y assisterez à la rénovation d’une Chapelle Sixtine 2.0 par une nuée de drones dont les pilotes carburent à la coke. J'en fais des caisses, c'est vrai. Mais c'est que ce pavé peut sans mal être considéré comme THE album de Brutal Tech Death de tous les excès & exploits. C'est le genre de disque qui vous laisse sur les rotules, les yeux exorbités, les tempes douloureuses, le corps ne sachant comment aborder la digestion d'un tel monceau d’informations et de plaisirs inédits, hésitant face à des sensations puissantes mais contradictoires : euphorie, douleur, émerveillement, confusion…
Tout va très vite sur Techtalitarian : rythmes et changements de braquets, doigts sur les cordes, alternances entre shrieks et growl profond. Évidemment, je vois d'ici arriver les critiques. Car en effet, il est facile de se perdre au sein de certains de ces morceaux (« Devour the Contrarian », notamment). Oui, ça balance du solo un peu trop fréquemment, et l'accès à cet univers totalitaire serait grandement facilité s’il était huilé à l’aide d’un supplément de groove gorodien. D’autant que les structures de la plupart des titres ne sont pas du genre à s'offrir à vous dès le premier soir. Mais moyennant quelques efforts, celles-ci finissent par se livrer : elles se révèlent dès lors incroyablement solides, alambiquées, majestueuses, et richement décorées de mélodies sophistiquées et de friandises techniques hallucinantes. Le cœur de l’album – de « Hellfire's Woe » à « Techtalitarian » – s'avère tout particulièrement effarant : on ne cesse de béer des mandibules devant ces guitares semblant s’adresser à nous dans des langages extra-terrestres, la volubilité de leur discours n’étant nullement entravée par de nombreux passages « twinnés » lors desquels la paire de gratteux semble synchronisée via un mécanisme d'horloge nucléaire. Sur certains titres – « The Bellicose Duality » par exemple – on a la nette impression que Meshuggah et Archspire ont uni leurs sciences pour mettre au point de nouvelles métriques fractales aux impulsions conçues pour aller directement reconfigurer nos connexions neuronales.
… Quelle diableries est-ce là donc ?
Sous l’inquisition, Eschaton aurait fini au bûcher, c’est sûr !
« ... Mouais, perso' je laisse tomber : a priori c'est too much pour moi ! »
La réaction est compréhensible, voire naturelle. J’aurais sans doute eu la même si j'avais dû aborder l’album en commençant par la lecture de cette chronique. Pourtant le jeu en vaut indéniablement la chandelle. D’autant que le groupe nous aide à mettre le pied à l'étrier via une poignée de titres au calibrage moins inhumain. Voire même à l'abord plus sexy. Tel « Hellfire’s Woe », qui revisite l'univers des musiques sacrées après leur avoir appliqué le filtre de l’ultra-technicité agressive : on rentre dans cette église au son des grandes orgues, on y croise un piano qui suffixe les plans les plus ardus sans que cela sonne jamais artificiel, et l'on profite de chœurs entonnant de fervents cantiques en guise de conclusion. « Blood of the People », lui aussi, se veut plus « direct », en se cantonnant à un registre Suffocation meets Nile plus proche des standards du « tout-venant métallique ». De leurs côtés, « Econocracy » nous accueille sur des courbettes semblant chorégraphiées par Danny Elfman, tandis que « Castle Strnad » joue la carte du néoclassicisme afin d’hameçonner les fans de DragonForce et Exmortus.
Vous voyez : tout va bien se passer…
Alors c'est sûr, ça va secouer, et pas qu'un peu ! Mais le voyage est tellement hallucinant, tellement stimulant, tellement bouleversant, même, par moments, qu’il faut s'interdire ce réflexe initial de recul afin de ne pas passer à côté d’une telle expérience. Ainsi, que vous aimiez les challenges, que vous raffoliez des feux d’artifice techniques, ou que vous soyez de ceux qui militent pour que les formations musicales intègrent des modules de neurochirurgie et de connaissances en artillerie lourde, une fois digérés les derniers Cytotoxin et Retromorphosis, pas d'hésitation : laissez derrière vous les hésitations démocraintives pour vous soumettre corps et âme à Techtalitarian !
La chronique, version courte : Techtalitarian est proprement hallucinant. Au royaume des pizzas Tech-Death végétariennes, ce serait la Royal 7 fromages, truffe & basilic, servie à volonté. L'album combine la rigoureuse inflexibilité d'Origin, la fastueuse volubilité de First Fragment, et l'exigence avant-gardiste de Theory in Practice. Alors évidemment, il s'agit d'un GROS morceau, aussi éloigné de l'Easy listening que Bruno Retailleau du cortège de tête de la Gay Pride. Pourtant même l'oreille douillette se doit de tenter l'expérience : il serait aussi malvenu d'éviter un tel album par frilosité auriculaire que de décliner un baptême gratuit de saut en parachute par appréhension du vide.
2 COMMENTAIRES
Thedukilla le 30/05/2025 à 10:15:50
TCHO ! Y’a quand même BEAUCOUP de solos (solis ? Je sais jamais) 🤣 et pourtant j’ai poncé le Gloire Éternelle de First Fragment, donc j’ai pas peur de foutre de la chantilly sur mon double glaçage truffe blanche-fruits des bois…mais là ça fait VRAIMENT BEAUCOUP de solos
cglaume le 30/05/2025 à 12:37:48
Y a pas de mal (juste des cloques) à se faire du bien 😅
AJOUTER UN COMMENTAIRE