Quadvium - Tetradōm
Chronique CD album (35:33)

- Style
Bass master class - Label(s)
Agonia Records - Date de sortie
30 mai 2025 - écouter via bandcamp
« Un side-project élitiste monté par des musiciens prestigieux, qui coiffe ses voyelles d’accents circonflexes revus et corrigés au rouleau-compresseur ? Bien sûr que je me rappelle : Tētēma. D’ailleurs j’ai encore des brûlures d’estomac en pensant à son Geocidal… »
L’association d’idée n’est pas si saugrenue, en effet, même si les sucs gastriques devraient vous attaquer (un peu) moins fort la boîte à boyaux à l’écoute de Tetradōm. Car chez Quadvium, on ne cherche pas consciemment à vous balancer du poil à gratter dans les oreilles. Au contraire : entre quelques rares déflagrations quantiques aussi épineuses qu’un porc-épic meshugguien, l’expérience proposée par cette entité américano-néerlandaise s'avère plutôt duveteuse, voire loungy, les banquettes y étant tapissées d'épais coussins de basse aux rondeurs moelleusement fretless…
Mais l’on ne peut se permettre de déblatérer plus longuement sans vous dire qui donc conduit ce quad virtuose. Aux commandes, deux chevaliers Jedi de la basse :
- Jeroen Paul Thesseling, qui n’a certes pas fait toutes les guerres pour être si fort aujourd’hui (Francis, si tu nous lis !), mais qui a quand même gagné moult médailles sur les champs de bataille Obscura, Sadist et Pestilence (il a fait partie du line up ayant enregistré Spheres, eh oui) !
- Steve Di Giorgio, plus légendaire encore, dont le nom est écrit en lettres de feu au sein des sagas Testament, Sadus, Quo Vadis, Megadeth, Iced Earth, Autopsy et Death
Mais puisque l’on ne peut nourrir une oreille que de basse et d’eau fraîche, ces deux-là se sont adjoint les services de Yuma van Eekelen, dont les baguettes ont tambouriné chez Exivious et Pestilence, ainsi que ceux d’Eve, guitariste faisant étalage de ses talents sur Instagram, et qui semble avoir encore bien d’autres talents puisqu’iel (!) s’est également chargé(e?) de l’enregistrement et de la production de Tetradōm.
Etant donnés les hobbies des deux piliers portant l’édifice Quadvium, vous vous doutez que l’album ici chroniqué fait de la basse un élément central. Et pas cette basse brutasse à deux cordes et demie telle que la maltraite un Max Cavalera. Plutôt ce genre de basse badass pratiquée par Dominic Lapointe et Sean Malone, qui tantôt vrombit tel un quasar, tantôt ronronne tel un guépard. Tetradōm est pour cette paire un vaste terrain de jeu dont les seules frontières sont celles d’un Metal progressif « moderne » et instrumental – « moderne » indiquant qu’il y a ici des traces de Meshuggah, certes pas aussi profondes que chez cette autre paire de bassistes qui nous avait bluffés sous le nom de The Omnific, mais néanmoins évidentes, vous n’avez qu’à écouter « Náströnd », « Apophis » ou « Adhyasa » si vous voulez constater la chose par vous-mêmes.
Il va de soi que cette grosse demi-heure est généreuse en cabrioles phalangiennes, en envolées majestueuses et autres improbables exploits générateurs de tendinites carabinées. Les déséquilibres sont aussi souples qu’ils sont savants, la broderie est des plus fines, les riffs sont tressés serrés, tout ce bavardage technique baignant dans des atmosphères évoquant l’équivalent métallique de ces soirées cocktails où ça parle Jazz, où les petits-fours mêlent habilement magret, figue et basilic, où les sous-entendus sont subtils et les rires raffinés. Pour le dire autrement, si vous voulez apprécier pleinement l’exercice, vous feriez mieux d’aimer quand Cynic sort la veste Kenzo et les gants blancs pour se lancer dans des divagations cubistes, plutôt que quand Necrophagist vous explique avec faste et sophistication à quel point un coup de hache bien placé permet d'économiser des années de psychanalyse.
Certes, lors de démonstrations de savoir-faire comme « Náströnd » ou « Apophis » – plus vives et toniques que la moyenne – nos sens sont piqués à vif, et l’on ressent même de ces émois qui attendrissent profondément les muqueuses. Mais il faut malheureusement reconnaître que le reste de la tracklist est assez peu tendre avec l’oreille profane. Les contours y sont flous, les idées pas vraiment fixes, les progressions erratiques (cf. « Ghardus »), les colonnes vertébrales salement contorsionnistes, quand l’ambiance n’est pas carrément à la somnolence élégante (le réveil est long et difficile au début de « Moksha », et la couette épaisse sur « Eidolon »). Sans compter des tics un peu pédants, telles ces fréquentes interventions de piano. Et puis il faut avouer que, sur des compos comme « Ghardus », ça se regarde un peu beaucoup le nombril…
Alors c’est sûr, le « Tetra- » de Tetradōm ne renvoie clairement pas à « tétraplégique » vu la dextérité des intervenants impliqués. Le « -dōm », en revanche, renvoie plus directement à « dommage ». Car c’est triste, en effet, que tant de talent ait un impact aussi ténu sur l’auditeur n’ayant pas dix ans de Conservatoire au compteur. Plus cruellement encore que le récent premier album de Changeling, l’acte de naissance de Quadvium nous rappelle que, à moins de vouloir ne s’adresser qu’à une élite portant monocle et queue de pie, il est nécessaire de savoir vulgariser et de taper suffisamment fort afin que l’auditeur féru de sophistication métallique trouve son compte dans la musique proposée. Parce que de ce côté des enceintes, on voudrait bien s’emballer… Mais l’on ne peut s’empêcher de trouver beaucoup de préciosité et de prétention aux savants discours de Jeroen Paul et Steve.
La chronique, version courte : au sein de Quadvium, les basses fretless de Jeroen Paul Thesseling (Obscura, Sadist, Pestilence…) et Steve Di Giorgio (Testament, Sadus, Death…) ont uni leurs forces pour le meilleur… et pour le pire. Pour le meilleur, car le Metal progressif instrumental proposé est d’un niveau technique stratosphérique. Pour le pire, car Tetradōm abandonne l’auditeur sans boussole, ni couteau suisse, ni instructions au sein d'un labyrinthe fractal garni de coussins épais, de piquants vicieux et de culs de sac nombreux.
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