Ina-ich le 25/08/2018, Chez Fred, NANTES (44)

Ina-ich (report)

Si vous prêtez attention aux différentes informations d'un concert traité en live report, peut-être avez-vous remarqué le fameux « Chez Fred » noté en guise de lieu. Qui n'est nullement un petit bar/café/bistrot/concert de quartier nantais comme on pourrait le croire de prime abord. Non, Fred, c'est ce « jeune » retraité qui pourrait être notre père – si vous êtes dans la même génération que moi – qui profite de la quiétude de sa post-carrière professionnelle pour écumer les concerts de tout style dans les bars et petites salles du coin avec énormément de curiosité, de passion et de dévotion qui ne peuvent qu'interpeller. Et, quand une ouverture se profile, d'inviter ses petites découvertes musicales, chez lui, dans son petit pavillon d'une banale zone résidentielle comme on en voit à la pelle dans toute la France située en périphérie nantaise. Certains s'en étonneront et comme moi, regarderont ce bonhomme avec plein d'étoiles d'admiration dans les yeux. Tandis que les plus grincheux iront poser la question qui tue d'un air narquois et condescendant : « Ouais, ouais, c'est bien mais un concert chez soi, ça fait du bruit... Et les voisins, ils en disent quoi ? ». Ce à quoi je répondrais qu'il n'y avait pas l'ombre d'un flic – vu que fin août, ils n'étaient pas encore monopolisés par ces « terroristes politiques sans le sou » en gilet jaune – à tambouriner la porte pour faire cesser ce tapage nocturne. Pour cause, les voisins avaient ramené leur petite bouteille et leur petite boîte de Belin et tarte sucrée maison cuisinée avec amour par madame dans l'après-midi afin d'assister à ce concert privé du duo d'électro-rock multi-facettes d'Ina-Ich. Au même titre que la poignée de fans du coin qui avaient eu vent de l'événement. Et des grands malades que nous sommes, mes deux compères et moi, qui avons quand même englouti 300 bornes pour y venir – mais au moins avons-nous pu poser nos tentes sur un bout de pelouse de ce cher Fred, merci à lui – n'ayant pas d'autres dates plus proches de nos terres normandes. Ce qui n'a pas manqué d'étonner et émouvoir les invités de luxe de la soirée d'ailleurs.

 

C'est d'ailleurs à cause de cette configuration particulière que je prends la plume aussi tard pour en parler au grand jour : devais-je extérioriser tout ça ou au contraire le garder pour moi tant le but de la manœuvre pour Ina-Ich est de proposer un moment unique et très intimiste entre le groupe et sa trentaine ou quarantaine de pèlerins amassés sur la terrasse et la pelouse de Fred. Où même les différentes dates en concert privé qu'ils ont pu mener auparavant à droite et à gauche – et feront dans le futur sans nul doute – ne se ressemblent pas, les contextes et personnalités présentes étant à chaque fois, on l'imagine, très différents. Et, surtout, où la manœuvre médiatique n'a pas lieu d'être. Ici, c'est le groupe et son public, point barre. Pas de journalistes, de photographes et de caméras à y avoir. Mais bon, dans la mesure où je doute que le lectorat de Core And Co s'amasse par centaine de milliers de pèlerins journaliers et que j'ai très loin d'avoir la visibilité publique d'un Francis Zégut, pourquoi pas vous en parler. Pour vous montrer de quoi il en découle vaguement même si cela n'en sera pas spécialement représentatif. Et pourquoi pas, vous donner l'envie de vous lancer dans ces petites aventures des concerts privés, en spectateur avisé, voire peut-être en organisateur si votre lieu de résidence vous le permet. Que ce soit avec Ina-Ich ou avec un quelconque autre artiste ouvert à ce type d'expérience, ce genre de pratique se démocratisant plutôt pas mal apparemment (moins dans le metal, on en conviendra, la configuration électrique qui défouraille sévère expliquant certainement cela).

 

Parce que franchement, l'expérience vaut largement le coup tant elle semble exotique et irréelle. Parce que se pointer chez un inconnu, avec ce même petit biffeton que tu laisses pour un concert en bar, avec en plus, ton petit pack de bières et paquet de crackers sous le bras pour alimenter un convivial petit apéritif dînatoire sous le soleil estival, ça fait quand même son petit effet. C'est qu'il manquait juste le barbecue et on était pépouze comme à la maison. A la différence près qu'on avait le duo et couple dans la vie composant Ina-Ich, Kim-Thuy Nguyen et Aurélien Clair, qui participait à ces festivités simples, frugales et « à la bonne franquette ». Des figures semblant pour tous d'ordinaire inaccessibles qui s'entremêlaient à cette trentaine ou quarantaine d'anonymes, les saluant chaleureusement un par un avec énormément de simplicité. Ce qui ne manque pas d'attiser quelques scènes touchantes comme ce grand dadais tatoué tellement intimidé et tremblotant d'émotion qu'il aurait sans mal pu passer par un trou de souris si sa carrure lui aurait permis. C'est sans doute ce que je retiendrais le plus de ce partage humain qui est intervenu avant et après le concert, le duo ayant fait l'effort de rester par-delà des 4h du matin malgré ses contraintes familiales : ce sentiment d'égalité entre le groupe et le public. Chaque partie aimait partager de la même manière qu'elle aimait porter une oreille attentive à l'autre. Et ce, quelque soit le sujet, aussi bien musical qu'extra-musical et/ou véritablement personnel. A l'image de cette table où s'amassaient à l'arrache la bouffe et les bouteilles sans aucune forme de chichi, le moment humain était également frugal, brut sans aucun filtre et sincère. Vraiment touchant et vecteur de souvenirs exceptionnels, car encore très différent d'un dialogue entre artiste(s) et journaliste/chroniqueur lors d'une interview, qui suivront jusqu'au cercueil sans nul doute.

 

Mais si on était là, ce n'était pas que pour le grain de causette, c'était aussi pour un concert à la base. Qui finit enfin par venir. Enfin dirais-je, l'impatience montant crescendo entre deux parts de quiche et deux bières. Parce que j'étais curieuse dans le sens où je ne savais pas à quoi m'attendre d'une telle prestation se déroulant dans des conditions aussi drastiques qu'un bout de terrasse en extérieur. En configuration duo, sans véritable backing band de scène comme ça peut être le cas dans un vrai concert en salle en bonne et due forme. Si l'on pouvait s'attendre à une forme acoustique, il s'avère qu'il n'en était rien : une douzaine de titres a été préalablement préparés et samplés à grand renfort de boîte à rythmes. Certains se voyant véritablement interprétés en quasi acoustique lorsque le titre originel le permet, d'autres se trouvant extra-numérisés, histoire de pallier au manque d'effectif, de contexte empêchant toute volonté de mettre un mur d'amplis de 2x1500W. Et étrangement, cela fonctionne très bien. Car Ina-Ich nous a montré tout particulièrement sur son dernier méfait, ii3, qu'il s'était radicalisé dans l'électro-rock, de la même manière qu'il montrait dès ses balbutiements de carrière quelques influences dépendantes des samples (le hip-hop notamment). Autant dire que le parti-pris était loin d'être choquant et hors de propos. Et surtout, le groupe est parvenu à réaliser l'impensable : savoir rendre une illusion organique parfaite. Car même si le numérique était très présent, il y a des choses que la programmation et les ordinateurs n'avaient aucune prise : la prestation d'Aurélien et Kim sur leurs instruments (respectivement en batterie numérique et clavier) et, bien sûr, le chant, dont les textes en français restent pour moi le plus gros atout du combo. Et comme a bien pu l'avouer la frontwoman à un moment : « ça peut sembler étonnant mais il est bien plus difficile de jouer dans un jardin devant quarante personnes que sur la scène d'un Zénith face à des milliers ». Et des moments de fragilité, de timidité, d'auto-pression – qu'on n'imaginait pas forcément venant d'une personnalité capable de pondre des textes aussi forts et écorchés vifs – amenant parfois sur quelques pains comme un « Fais-Nous Un Tube » au clavier approximatif (rejoué par la suite en guise de rappel, où les irréductibles restés debout n'ont pas hésité à se jeter dans un pogo tout gentillet), un faux départ dû à une crise de fou rire incontrôlée de la Franco-Vietnamienne ou encore quelques larmes d'émotion difficilement contenues çà et là. Et bien entendu, le squat inopiné d'une armée de moustiques particulièrement voraces qui ont vu en nous un garde-manger de choix avant d'être chassés à grands coups de citronnelle. C'est qu'ils n'avaient pas payé leur place les saligauds après tout !

 

Outre ces petits errements ponctuels qui n'avaient en réalité rien de très dérangeants (cela en était même extrêmement touchant), le côté faussement organique est également dû à ce choix hasardeux de l'ordre des titres, chaque interlude étant propice à nous laisser clamer un numéro correspondant à un morceau présent de la setlist, donnant un caractère plus spontané à la prestation. Et de donner une architecture pas toujours très logique par rapport à un concert conventionnel tant il était certain que jamais le combo n'aurait entamé par un titre comme « Tes Silences », mid-tempo quasi-acoustique pour l'occasion qui m'aura filé une belle chair de poule entre deux piqûres de moustiques, en salle. Des interludes qui, surtout, donnaient l'occasion à une communication privilégiée entre le groupe et son parterre à taille humaine, Kim n'ayant pas été avare en détails et anecdotes sur les contextes et inspirations sur tel ou tel titre joué tout en prêtant une oreille attentive à ce que pouvait en dire telle ou telle figure du public qui avait la totale liberté de prendre la parole. Ce qui permet d'appréhender les ressentis des deux parties de la balance, une chose véritablement passionnante et édifiante. Parce que Ina-Ich, ce sont à mon sens des chansons à texte très forts et il ne faisait aucun doute qu'il y avait énormément à dire, que ce soit dans le contexte de composition et d'écriture que de réception d'une oreille extérieure qui est très loin d'avoir le même vécu que ses géniteurs. Sans que toutefois on ne se perde trop longtemps, la musique reprenant toujours ses droits au bout du compte, nous enfermant chacun dans nos petites émotions comme des autistes entre deux incartades où le sens de la communion entre individus reprend ses droits. Même s'il s'avère toujours frustrant d'être au bout de la course, toujours touché par l'envie d'en prendre une louchée supplémentaire ou de ne pas avoir entendu un titre tout personnellement affectionné.

 

Des choses rapidement pardonnées car au final, certains titres ne seront plus jamais entendus de la même manière comme « Âme Armée » (hommage au père de Kim, militaire de profession), « Belle Asiatique » interprété vocalement de manière extrêmement rageuse comme si sa génitrice faisait éclater toute sa frustration ravalée depuis des lustres ou encore « Comme Un Garçon » qui prend tout son sens maintenant que l'on a pu le voir joué par ce petit bout de dame affublé le plus simplement du monde de son survêtement et ses mimiques de garçon manqué à mille lieux de toute image hyper-féminine que les médias aiment véhiculer traditionnellement en terme de communication. Et qu'on aura vraiment vécu une soirée privilégiée, à la fois intime dans les émotions ressenties, que profondément humaine dans les interactions sociales. Et dans une époque où plein de gens profitent d'un concert au travers de leur écran de smartphone, à filmer et prendre des photos qui se retrouvent instantanément sur les réseaux sociaux, voilà bien ce genre d'expérience un peu inhabituelle qui compte d'autant plus tant on était à mille lieux de tout ça.

photo de Margoth
le 16/01/2019

1 COMMENTAIRE

cglaume

cglaume le 16/01/2019 à 17:40:27

Une expérience géniale, manifestement. J'avais eu la chance de vivre une expérience similaire pour un concert Toumaï - Dirty Shirt donné véritablement "à la maison", chez les Toumtoum, avec tente plantée dans le jardin. Ce sont des moments qu'on n'oublie pas !

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