After Forever - Invisible Circles

Chronique CD album (59:05)

chronique After Forever - Invisible Circles

Si l'annonce de l'arrivée de Floor Jansen au sein de Nightwish a suscité bien plus d'enthousiasme parmi les fans de metal sympho par rapport à l'intégration d'Anette Olzon en lieu et place de l'emblématique Tarja Turunen quelques années auparavant, c'est qu'il y avait bien une raison. La plus directe est le retour de force d'une donzelle maîtrisant le registre lyrique qui avait sérieusement manqué aux fans les plus conservateurs. L'autre raison plus indirecte se résume en deux mots : After Forever. Même ce groupe a été dissolu depuis presque dix ans, il a marqué la scène symphonique à bien des égards. Déjà parce qu'il s'agissait du groupe qui a servi d'échauffement à Mark Jansen avant qu'il ne s'en aille fonder Epica et les deux premiers albums marquent un peu les prémisses de ce dernier. Ce qui se ressent tout particulièrement sur le second opus, Decipher (2001), poussant la part symphonique grandiloquente d'After Forever à son paroxysme et trahit de nombreux tics d'écriture et approches propres à Epica. Puis une fois le camarade Mark parti vers d'autres horizons, After Forever parvient à se démarquer d'une scène symphonique qui en faisait toujours plus dans la grandiloquence orchestrale – via Epica et Nightwish en pleine période Once justement – en la prenant à revers : en faire moins dans les arrangements symphoniques et davantage miser sur un caractère plus direct, plus emprunt du heavy/power metal. Ce que les Bataves pouvaient largement se permettre vu la frontwoman qu'ils possédaient, Floor Jansen possédant un coffre et une puissance vocale monstrueuse, bien en-deçà de toutes les figures féminines officiant dans le genre, à l'époque et même encore aujourd'hui d'ailleurs et qu'on pourrait plutôt catégoriser comme une Doro (ex-Warlock) d'opéra plutôt qu'une énième diva lyrique issue du conservatoire classique. Si le virage avait déjà été enclenché via l'EP Exordium (2003) où l'on retrouve notamment une reprise d'Iron Maiden fort convaincante dans la capacité de la vocaliste à se fondre dans le décor du heavy metal sans faire tache, c'est réellement via Invisible Circles que les Hollandais enfoncent le clou plus profondément. Un troisième album qui a recueilli un joli succès commercial, même si paradoxalement, je me souviens de pas mal de sons de cloche de la part des médias à l'époque, certains ne comprenant pas ce virage, d'autres en se trouvant perdus du fait qu'il s'agissait d'un concept-album demandant un minimum de temps de digestion.

 

Avec le recul, je trouve ces derniers avis un brin concons dans le sens où je trouve cet album bien plus simple à appréhender par rapport aux concepts grandiloquents fortement alambiqués les plus récents d'Epica, pourtant follement applaudis et acclamés pour cette raison. Et qu'il s'agit également de l'amorce montrant le visage le plus intéressant d'After Forever en terme identitaire qui ne le quittera plus jusqu'à sa dissolution et sera d'autant plus sublimé par l'ultime album éponyme trois ans plus tard, faisant office de synthèse et d'aboutissement. Après, qu'il en soit bien clair, je ne prétends aucune objectivité quant à ce Invisible Circles qui m'a profondément marqué à l'époque pour plusieurs raisons : découverte d'un style de metal dans son sens plus majestueux et prouvant toute la largesse du style que les mièvreries neo, découverte de l'existence de concept-album et surtout cet énorme coup de foudre pour la puissance vocale de Floor Jansen qui m'aura littéralement mis à genoux en live dans le champs de boue du Hellfest 2007. C'est que j'étais jeune en 2004, j'avais tout à apprendre et cet album m'a tant marqué qu'il en a même annoncé les prémisses de ma « carrière » de chroniqueuse tant je l'avais décortiqué et retourné dans tous les sens pour en comprendre le concept, malgré mon niveau calamiteux dans la langue de Shakespeare que je pouvais avoir.

 

L'histoire racontée s'avère troublante d'une certaine vérité malgré son caractère fictif. On suit les pérégrinations d'une enfant rejetée par ses parents, plus concernés par leurs carrières professionnelles que sur leur vie de couple et familiale, la petite ayant été conçue de toute manière afin de sauver une vie de couple qui était à la base en perdition. Violence morale, physique, engueulades constantes entre père et mère... Puis les conséquences que cela a sur la principale actrice. Rejet de ses parents amenant à se renfermer sans parvenir à tisser de liens sociaux à l'extérieur de la maisonnée. Puis, se réfugier dans les méandres de la vie virtuelle, internet notamment, afin de se protéger même si cela nuit encore davantage à sa sociabilité. Pour finir sur la vie future de cette petite devenue adulte entre temps qui finit par une prise de conscience qu'elle prend exactement le même chemin de ses parents, cercle vicieux et infernal. Que des situations qu'on retrouve dans la vie moderne, tellement proche de nous par certains points qu'on finit vite par se sentir concernés. Le concept est habilement mis en scène sur le livret par le biais d'extraits du journal intime de la petite. Et en musique aussi également, chaque morceau illustrant une page dédiée.

 

Le parallèle entre la musique et les frasques du concept peuvent être tout bonnement saisissants. Il suffit de voir les différents jeux de voix de Floor Jansen lorsqu'il s'agit de mettre en musique le dialogue mère/fille dans «Sins Of Idealism»; sa façon impétueuse de chanter le refrain de « Digital Deceit » où l'enfant découvre et se perd dans son monde virtuel qu'elle domine en reine; la balade émotionnelle tout au piano/voix «Eccentric» qui voit mettre en scène un monologue mélancolique de la petite sur son incompréhension du monde qui l'entoure, son envie de le fuir ou de trouver libération; ou encore les grunts enragés de Sander Gommans sur « Blind Pain » où l'enfant déraille totalement après que son père lui a levé la main dessus pour la première fois. Chaque pièce de ce disque forme un ensemble très cohérent avec chaque épisode relaté allant même jusqu'à intégrer des passages de disputes plutôt bien joués par les deux protagonistes (la mère étant Amanda Sommerville qui a beaucoup collaboré avec After Forever et Epica en tant que coach et choriste). La violence intervient quand il faut, la mélodie également et ce, de manière équilibrée.

 

Si l'aspect symphonique est toujours omniprésent sur l'ensemble d'Invisible Circles, il est clairement mis plus en retrait par rapport aux deux opus précédents. Les guitares prédominent et c'est réellement via ces dernières et la puissance vocale de la frontwoman et des grunts – et non par les arrangements symphoniques comme on peut le voir chez la concurrence – qui nourrissent le caractère épique que l'on retrouve à bien des moments (le duel vocal sur « Through Square Eyes », « Blind Pain », « Victim Of Choices », « Between Love And Fire »). Par ailleurs, cet album marque aussi l'arrivée du remplaçant de Mark Jansen, apportant contribution dans le tricotage de cordes de guitare mais également vocales, amenant une troisième voix, claire, intervenant de temps à autre pour les besoin de l'histoire, souvent mis en valeur de manière marquante (« Reflections » tout particulièrement).

 

Et comme la façon de chanter de Floor sur le refrain de « Life's Vortex », entre tonalité de prise de conscience et de conclusion, Invisible Circles s'achève et laisse sur le cul. Même encore maintenant, il peut se targuer de filer des frissons, d'autant plus lorsqu'on a parfaitement potassé tout le concept qu'il y a derrière. Et de chair de poule, il y a aussi un brin de mélancolie un brin tristou : réentendre la Hollandaise jouer de toute la puissance de son coffre à ce point, quand pourrons-nous le réentendre ? Parce que ce n'est pas avec ce que Nightwish nous a montré avec Endless Forms Most Beautiful, reposant clairement sur ses registres plus doucereux, que ça le laisse présager pour les temps à venir. Ce qui est d'ailleurs bien dommage tant c'est bien sous ce profil plus couillu que la chanteuse nous montre son meilleur visage.

photo de Margoth
le 18/03/2018

4 COMMENTAIRES

cglaume

cglaume le 18/03/2018 à 10:48:16

Strafplanet en groupe du mois, After Forever en chro rétro... Sur CoreAndCo le "Metal féminin" fait un grand écart réussi :)

Lucinda

Lucinda le 18/03/2018 à 17:34:46

Cyril, le metal féminin, ça n'existe pas !! XP
Des bisous, Lucinda

cglaume

cglaume le 18/03/2018 à 17:55:49

Je suis d'accord. J'espère que mes guillemets ne t'auront pas échappé :) . Plus factuellement, j'aurais dû parler de groupes de Metal à vocaliste de sexe féminin :)

Margoth

Margoth le 18/03/2018 à 19:50:43

Quand on catégorise un pan musical entier uniquement sur les choix capillaires (le hair metal donc), je ne vois pas pourquoi le boobs metal n'aurait pas mérite d'exister ;)

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