Chafouin - Trucs

Alors je sais qu’au sein de la team CoreAndCo on a parfois un peu tendance à enculer les mouches à force d’inventer des sous-genres de sous-genres de sous-genres à s’en diphtériser la bibliothèque mentale, mais faut bien voir aussi que des fois on n’a même pas le moindre effort à fournir dans ce sens. Effectivement, « kraut-expérimental-noise-pop-rock » Cglaume ou moi-même aurions très bien pu l’inventer au détour de l’écoute surcaféinée du dernier skeud underground tombé dans nos mails promos, pourtant je n’invente rien : les Brestois de Chafouin se le sont bel et bien donné tous seuls. À moins que ce ne soit né de l’initiative d’Épicericords, allez savoir ; au vu de la palanquée de bébés difformes du même acabit que propose leur écurie, on n’est plus à une bizarrerie près.

Pas non plus de quoi bouder notre plaisir ; « Plus c’est zarb’, moins ça barbe » comme qu’aurait dit le Joker s’il avait choisi d’orienter sa carrière vers la critique musicale. Une expression des plus adéquates pour parler d'un groupe tel que Chafouin. Le genre à faire les choux gras de la scène indie française ultraunderground à base d'une discographie de huit albums, de tournées n'ayant jamais prétendu pousser plus loin que les petites salles locales et assez discret pour parvenir à laisser filtrer le plus strict minimum syndical d'informations sur sa bio – va donc te brosser pour choper quoi que ce soit de fiable dessus, au vu des sempiternelles modification en parasitant l'historiographie complète, et contente-toi de savoir que des membres de Demain Sans Faute, Marilyn Rambo, Presque Maudit ou Llamame la Muerte ont pu y transiter. Bravo si tu connais deux d'entre d'entre eux ou plus.

Pourtant, pour avant-gardiste et bigarré que puisse se revendiquer Chafouin, difficile de voir dans Trucs le plus biscornu des sons qu’il ait pu nous être donné d’écouter. On y relèvera en tant que point d’orgue au sein de l’album « Max la menace » et sa rythmique entêtante à base de notes de trombone et de samples vocaux erratiques – comme par hasard, son morceau le plus court…

Sans aller jusqu’à reprocher à Chafouin son classicisme – le groupe pourrait se targuer de beaucoup de choses mais certainement pas de ça –, le tempo doomesque de Trucs en apaise même les distos les plus discordantes (« Une note après l’autre ») comme les touches bruitistes (« Tertiaire ») de manière à en rendre l’écoute particulièrement agréable. Bercée de nappes kraut élégantes, la construction de l’album plonge dans un diffus sentiment de plénitude paradoxale, en regard de toutes les anomalies instrumentales le parcourant (« Sept sept sept » grince et carillonne en acmé hallucinatoire, tandis que les inflexions space rock « Cinq point un » ne manquent guère de loufoquerie).

Noise rock oblige, Chafouin n’oublie jamais, bien évidemment, de relever ses modulations harmoniques de riffs naviguant entre l’ultra-discordant et le suraigu aux mélodies des plus suaves (« La roue tourne »). La rareté des lignes de basse ne détonne malgré tout jamais avec le ton franchement truculent de l’ensemble ; elles appuient même la ribambelle de touches de synthétiseur aussi douceâtres qu’hypnotisantes hachurant « Batav » d’une dimension psychédélique désarmante. La plupart des morceaux conservent par ailleurs une pêche chafouine (bah tiens, eh, comme quoi !) renvoyant aux fondamentaux les plus sacrés de la rythmique rock, « AZAG » en première ligne.

Rocambolesque certes, parfois extravagant, l’amalgame de genres revendiqué par Chafouin se synthétise en une forme de démence musicale parfaitement écoutable dans son minimalisme. Et ce n’est même pas un défaut ; bien au contraire, l’économie de leurs structurations érige presque leurs très éparses expérimentation en autant de coups de sang méthodiquement calculés. Bizarre, bizarre, vous avez dit bizarre ? Chafouin l’est pour sûr mais, à leur bénéfice, dans l’acceptation la plus accessible du terme à n’en point douter.

Aldorus Berthier

le 06/12/2024