Grian Chatten - Chaos For The Fly
Chronique CD album (36:21)

- Style
Folk mélancolique - Label(s)
Partisan Records - Date de sortie
30 juin 2023 - écouter via bandcamp
Il nous arrive à toutes et tous d’être à la bourre, de traîner la patte telle une charrette, et de laisser mourir nos obligations dans le coin d’une pièce en priant secrètement que leur abandon nous déchargera de toute responsabilité.
Mais ça merde à chaque fois.
Alors tu te retrousses les bras, les mollets, et même les tibias ; tu te surprends à enquiller thé noir sur thé noir pour taper ta nuit blanche la plus exaltée, en alternant avec des clopes roulées à la tremblote de tes doigts pour étirer d’une minute la pause que tu t’alloues, cul déformé sur le rebord de la fenêtre qui s’ouvre avec vue sur le local à poubelles en contre-bas.
La nuit s’échappe et la fatigue s’épuise, la théine sévit, le tabac s’effrite ; les premiers éclats auroraux lavent les toitures, et peignent les façades sous l’œil des mésanges à bout de souffle.
Cet instant suspendu, - où s’évadent pensées fugaces -, est l’interstice de quiétude dans lequel se repose Chaos for the Fly.
Enregistré en deux semaine par Dan Carey – producteur attitré de Fontaines D.C. –, Chaos for the Fly est le premier album solo de Grian Chatten, qui décide donc de prendre de la distance avec le post-punk crépusculaire de son groupe pour se dévoiler à travers des compositions originales. La dimension personnelle du projet se ressent jusque dans les crédits de l’album où ne sont mentionnés que les deux hommes précédemment évoqués ainsi que Tom Coll aux percussions, lui aussi issu de la formation irlandaise.
Dès l’entame de The Score, les arpèges de guitare tissent un voile onirique qui sied délicieusement au timbre suave et désabusé de Grian Chatten ; les timides chœurs et les percussions élargissent la palette sonore qui accompagnent cet amour en peine conté en sobriété. Le décor posé par ce premier titre illustre à merveille la couleur de l’album, essentiellement composé de ballades acoustiques aux influences majoritairement folk. La première face enchaîne d’ailleurs les perles avec une efficacité impressionnante : les violons et trompettes du cabaresque « Bob’s Casino », la rythmique lancinante de « Last Time Every Time Forever » ou encore l’efficacité entraînante de « Fairlies », seul titre faisant véritablement écho à Fontaines D.C. ; et que dire de ce cynisme toujours aussi palpable dans les textes, notamment sur le génial « Salt Throwers off a Truck » qui ne dépareillerait pas à la suite d’un set de Llewyn Davis dans un bar de Greenwich Village.
Cependant, malgré toutes les qualités évoquées, je me surprends par moment à ressentir les limites d’une orchestration – finalement – davantage pensée pour « accueillir » la voix de Grian Chatten que pour participer en symbiose à la construction d’un paysage sonore singulier, et se révèle essentiellement dépendante de la performance vocale – phénoménale comme souvent – de l’artiste irlandais. C’est sur ce point que l’on regrettera l’absence de musiciennes et de musiciens au projet, dont l’investissement et les échanges auraient permis d’approfondir cet aspect. Il est néanmoins évident que cette remarque est pleinement liée au contexte particulier dans lequel ces chansons furent enregistrées. D’ailleurs, « Season for Pain » s’empresse de me donner partiellement tord en composant un portrait d’une plénitude funéraire, qui se présente comme la plus sombre et émouvante partition de Grian Chatten. À la suite d’une parfaite altération majeure qui tranche avec la tonalité générale du morceau, le morceau s’octroie l’usage unique d’une distorsion – dont l’effet rappelle ce bon vieux Neil Young – et se permet un final transcendé par un motif mélodique au piano qui se décale insidieusement. Rien que pour ce titre, je ne peux que motiver les personnes qui lisent ce texte à écouter l’album, car « Season in Pain » a ce goût de dernière cigarette qui embrasse l’aube et nous rappelle qu’on a survécu à la nuit.
Finalement, cette première œuvre est l’occasion pour le poète irlandais de déverser tout son spleen, d’exprimer cette douce mélancolie teintée de fatalisme déjà ressentie au sein de Fontaines D.C., mais qui ne demande qu'à s'épanouir toujours plus ; ce voyage lui permet ainsi d’explorer des contrées nouvelles et de gravir des hauteurs situées au-delà des frontières dessinées par la formation dublinoise. En s’aventurant sur ces territoires étrangers, Grian Chatten y exprime son amour pour la musique folk et se permet même des détours osés en fin de périple qui laissent espérer de très belles choses pour la suite.
Le travail fini et le soleil dorénavant levé, on ne s’interdirait pas une dernière écoute avant d’aller se coucher.
6 COMMENTAIRES
el gep le 23/09/2023 à 08:45:22
Super chronique !
M'en vais me rouler une clope, moi, au lieu d'écouter le disque (peux pas, là).
''Attention, fumer peut entraîner une mort plus ou moins lente et horrible et dégueulasse mais c'est tellement mélancolique"
cglaume le 23/09/2023 à 09:05:36
Jolie plume !!!
AdicTo le 23/09/2023 à 10:27:39
J’appuie les deux commentaires précédent, tes textes sont des régalades :)
Du coup j’ai écouté… pas du tout mon univers..
Xuaterc le 23/09/2023 à 12:34:50
Je confirme aussi, c'est très joliment écrit
pidji le 23/09/2023 à 14:10:15
Bah moi j'aime bcp ce disque, très mélancolique, tout ça 😁
Arrache coeur le 23/09/2023 à 17:14:29
Merci beaucoup pour les compliments, ça fait toujours plaisir ! 😄
@AdicTo : Je pense que c'est une musique qui parlera beaucoup aux personnes qui ont vécu une exposition précoce à la pop anglaise triste haha. De la même manière que Fontaines D.C., l'ombre des Smiths n'est jamais très loin. 😊
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