Love Letter - Everyone Wants Something Beautiful

Chronique CD album (39:29)

chronique Love Letter - Everyone Wants Something Beautiful

Ce n'est pas rien de le dire en cette période malheureusement trop peu amène et toujours plus 'amen', mais il pourrait sembler, dans quelques anfractuosités sonores d'un monde dans lequel il est aujourd'hui difficile d'envisager des perspectives, que certains choisissent de parler d'amour. Ou en tout cas de l'évoquer, de s'en faire un nom pour de nouveaux départs, sans que cela n'efface tout le reste.

Après Better Lovers, composés des ex-Every Time I Die et de Greg Puciato (ex-The Dillinger Escape Plan), c'est un petit événement qui est advenu dans la sphère du hardcore mélodique avec cette formation de Love Letter, réunissant Quinn Murphy, chanteur des regrettés Verse, accompagné de plusieurs membres de feu Defeater.

 

Après de multiples écoutes, une sorte de constat s'impose à moi : l'un des aspects les plus réussis de ce disque, et de cet orchestre, c'est à mon sens que l'on sent que tous les musiciens ont pris pas mal d'années dans la gueule depuis les grandes heures de leurs groupes précédents respectifs... mais pour le mieux.

Ainsi, dès « New Anthemic » (nom qui ne peut que faire penser directement à « The New Fury », qui ouvrait Aggression) la voix de Murphy a toujours son grain très reconnaissable et son scream qui arrive parfois à la limite de l'arrachement, on le sent un peu moins frontal et toujours porté vers l'avant, vers l'envie de dégommer les portes qui se dresseraient devant lui, qu'à l'époque du punk-hardcore de Verse. Mais c'est justement là que les approches plus temporisées des musiciens de Defeater apportent exactement ce qu'il faut à ces années en plus, les deux pieds et les deux mains encastrées dans une forme de maturité, mais de celle qui dit : « on est encore là, malgré les années, la vie et ses problèmes, et nos évolutions, et on y croit encore ».

 

Résolument mid-tempo dans son ensemble, plutôt porté sur une approche post-hardcore, on trouvera ici très peu de fulgurances directement hxc. Comme on le retrouve également dans les paroles, Everyone Wants Something Beautiful est plutôt un constat qu'un brulôt, avec une atmosphère finalement presque contemplative du désastre qui nous entoure malgré les efforts fournis. Mais bon, on est encore là (« nique le CSA », me souffle-t-on dans l'oreillette), c'est au cœur de cet album, et ce n'est clairement pas pareil d'entendre des minots de 20 ans gueuler leur rage à la face du monde avec leur volonté de changer les choses (et vous qui lisez et qui avez 20 ans, continuez à faire ça, c'est en voulant changer les choses qu'on les change, alors merci !) que d'entendre ceux qui, 20 ans plus tard, essayent de trouver encore quelle est leur place dans tout ça.

 

Ici, par exemple, entre les intentions positives contenus dans les noms (Love Letter / Everyone Wants Something Beautiful) et les constats plutôt grisouilles (la pochette, les paroles, la façon dont tout ça est délivré), l'ensemble devrait parler à celles et ceux qui ont traversé cette époque à fond la caisse et se demandent encore maintenant « merde, mais où j'en suis de tout ça », avec peut-être un petit constat d'échec de ne pas avoir réussi à aller au bout des choses... mais en continuant à y croire, autrement.

 

Sinon, pour parler plus strictement de l'album, si la première moitié de Everyone Wants Something Beautiful me semble vraiment excellente, avec ce chant habité et prédicateur, cette intro de « Misanthropic Holiday or Vacation » qui pourra évoquer le Modern Life Is War de « Hair raising accounts of restless ghosts », avec son riff de durcissement simple mais efficace, cette ligne mélodique de « Unhousing Project » qui vient prendre aux tripes à travers ces répétitions hurlées, c'est moins le cas de la seconde moitié.

En fait, à partir de la paire « Unhousing Project » / « Settlements », avec une construction similaire sur la base d'une intro faite de long sample, j'ai presque l'impression que l'album est repris à rebours, impliquant un certain nombre de redondances et de longueurs qui auraient pu être évitables (à l'exception notable de « Late Stage Harm Reduction » qui apporte un vrai plus avant la fin du disque, je trouve).

Car au final, 40 minutes, c'est peut-être un poil long pour un style ancré dans la passion et l'immédiateté – en règle générale – et je pense qu'il aurait gagné à être un peu plus concis, en faisant sauter « Settlements » par exemple, qui tient plus du long interlude qu'autre chose.

 

Bref, avec Everyone Wants Something Beautiful, Love Letter proposent néanmoins un album abouti (mais vu le pedigree des musiciens, on n'en doutait pas), introspectif, qui s'écoute tout seul. Le son est excellent et invite à s'y plonger, empli de la rondeur de ses basses et de la clarté de ses mélodies.

J'attends avec beaucoup de curiosité un prochain opus, pour voir si plus de variations s'invitent au menu, et notamment peut-être quelques éclairs de fureur.

Et en attendant, malgré ces quelques récriminations de ma part, cet album est l'un de ceux qui a le plus tourné chez moi cet été. Donc allez plutôt vous faire votre propre idée.

 

A écouter en faisant le compte des choses que l'on prend pour acquises et intemporelles, mais qui ne le sont jamais vraiment.

photo de Pingouins
le 21/08/2024

5 COMMENTAIRES

Chab

Chab le 21/08/2024 à 10:00:24

Quand j'ai vu la chronique débouler, je savais d'avance que c'était toi derrière. Écouté à la sortie, j'ai beaucoup aimé ce skeud : on sent que les musiciens maîtrisent leur sujet (on n'en doutait pas comme tu le dis) et l'album d'écoute d'une traite sans aucun soucis. 

De mon côté, j'adore le titre "Settlements" qui m'hypnose complètement. 

Bref, en plus d'être un excellent petit jeu de société, Love Letter est un très bon projet !

Moland

Moland le 22/08/2024 à 11:00:58

Haha moi aussi j'ai reconnu la signature de Pingouins en lisant le genre 

Pingouins

Pingouins le 23/08/2024 à 10:32:54

Damn je suis trop prévisible, faut que je trouve des moyens de faire diversion.

Tookie

Tookie le 24/08/2024 à 17:36:33

Ouh ça chouine comme j'aime bien ce truc, j'avais raté son existence. Merci l'animal !

korbendallas

korbendallas le 02/09/2024 à 12:16:16

Très bon album pour ma part ... en même temps j'adore ce chanteur, donc ça aide ! Il manque peut être un titre ou 2 un peu plus speed, mais rien de grave. Il faut jeter une oreille au premier ep de la formation sous le nom de Death of a nation pour en trouver ;)

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