Model/Actriz - Dogsbody

L’insomnie a ruiné ta nuit mais pas le choix, le taf t’attend : tu te rafraîchis comme tu peux et te sapes en mode aléatoire, au hasard des fringues froissées au sol ; tu évites la cuisine qui ne nourrirait même pas un rat de cité, et tu traînes ta carcasse jusqu’à la porte d’entrée. Dehors, le soleil tire la gueule, et on caille sévère. T’en as bien pour 10 minutes de marche avant de t’engouffrer dans le métro ; ce qui te laisse de quoi profiter de la brise matinale, aiguisée comme une lame de rasoir, avant de te dissoudre sous la chaleur du sous-terrain. Quinze minutes enfermé·e dans une conserve délabrée qui s’arrache aux rames, t’essayes de sortir un bouquin mais l’entreprise est vaine : t’es broyé·e par une myriade d’endormi·e·s harnaché·e·s à leur sac à dos triple épaisseur. C’est ballot. Pendant ce temps, tu profites : au milieu de tes camarades aliéné·e·s, t’as todi’ l’irradié·e à l’odeur viciée qui termine sa journée au moment tu commences la tienne ; le week-end n’est plus très loin.

Et pourtant, au moment où tu te pointes à l’entrée de ton bullshit job préféré, tu arbores une mine ravie à te faire pointer à l’asile. Et la raison est toute simple : casque vissé aux oreilles, Dogsbody t’as enlacé l’hypothalamus pendant toute la traversée, encore une fois.

Model/Actriz, c’est tout d’abord la réunion du batteur Ruen Radlauer et du guitariste Jack Wetmore en 2015, lorsque les deux garçons traînaient la patte au Berklee College of Music. Rapidement, Cole Haden s’invita au micro après avoir été surpris à se tordre au sol, habillé d’un simple corset et le visage dégoulinant de faux sang lors d’une performance ; le gamin paumé du Delawere pu ainsi déverser toute sa solitude queer dans le discours musical de la formation. Enfin, Model/Actriz se stabilisa en 2019 avec l’arrivée de Aaron Shapiro au poste de bassiste.

Bien que les premiers enregistrements datent de 2016 (disponible sur Bandcamp pour les plus curieux·ses), c’est à partir de 2019 que l’activité du groupe s’accéléra avec la publication du single Suntan c/w Damocles et une invitation à jouer au SXSW Music – qui fut malheureusement annulé à la suite du covid. Par la suite, Model/Actriz enregistre en 2021 son premier album qui ne sera publié que deux ans plus tard. Bref, fallait pas être pressé·e.

Que dire à propos de Dogsbody ? Dix titres coincés dans l’interstice névrotique qui lie le post-punk, le noise-rock, la no-wave et l’indus : une sorte de créature dégénérée dans laquelle on décèlera tant bien que mal des traces de NIN, The Jesus Lizzard, Wire et The Contorsions. Mais à l’heure actuelle – et sans exhumer des références qui finiront par avoir de moins en moins d’échos à mesure que le temps s’écoule – Model/Actriz s’inscrit dans le sillage de Chat Pile et Ditz tout en se démarquant pleinement de ces deux contemporains. Intrigant ? J’espère bien, parce que je me donne pour vous motiver à aller écouter ce chef d’œuvre. Bordélique, psychotique, épileptique, la v’là la soundtrack du quotidien urbain qui caresse ta folie latente. Je pourrais citer des morceaux emblématiques : qui en jettent, qui font mal, du pas banal mais qui font du bien ; qui t’élance, qui t’avance, beaucoup de carence, un peu de démence. Allez cadeau : l’enchaînement « Crossing Guard / Slate ». Et pour être honnête, je m’en veux déjà car je m’interdis de citer « Divers » qui offre une descente à rêver l’extase, ou encore le phénoménal « Mosquito » qui le précède. Fais chier, foncez écouter ce truc. Parce qu’après, faudra encore encaisser « Amaranth » et « Maria ». Le mieux, c’est qu’on y prend goût ; faut les chérir ces p’tites choses, elles sont l’aimable compagnie d’une route bien trop souvent éprouvante.

Si Ditz était névrosé, Model/Actriz est lui clairement aliéné.

Arrache coeur

le 11/01/2024