Ken Mode - Null

Null a été majoritairement composé pendant la période de pandémie par un Jesse Matthewson complètement au fond du trou, isolé par les restrictions sanitaires, affligé par le déferlement de connerie charrié par les réseaux sociaux et choisissant pour sa santé mentale de prendre ses distances avec un milieu des arts martiaux - son autre passion -    gangréné par les complotistes et les anti-vaccins. Inutile donc de préciser que le ton de Ken Mode, habituellement plutôt sombre et passablement furieux, ne va pas s’éclaircir, bien au contraire. 

Il m’a fallu du temps pour véritablement cerner ce nouvel album de Ken Mode. Sans doute par peur de passer à côté de ce qui ferait de Null une oeuvre à part dans discographie jusqu’à présent quasi parfaite du groupe, ajoutant au fil des sorties des tonalités plus directement inspirées du noise rock  à son post-hardcore légèrement metallisé, du sous-estimé Mennonite au terrassant Loved. J’avais envie de creuser et d’essayer de dépasser l’ennui primitif qui s'était emparé de moi lors des premières écoutes, tant j’étais hermétique aux expérimentations à l’inspiration revendiquée chez les Swans ou du côté d’Einstürzende Neubauten, mais au fil des écoutes, l’impression de rester totalement extérieur et indifférent au combat qui se mène au long de ces 35 minutes prédomine. 

On retrouve certes un groupe toujours aussi incisif quand il décide d’attaquer pied au plancher l’excellent "Throw your phone in the river" ou lorsque Jesse Matthewson éructe avec toujours autant de fureur sur "But they respect my tactics", deux morceaux qui n’auraient pas dépareillé sur Loved ou Success, mais c’est lorsqu’il ralentit le tempo, qu’il cherche à jouer sur les ambiances pesantes traversées par les assauts du saxophone lancinant de Kathryn Kerr que ce Null peine à convaincre et patauge. "The Tie" ou "Irresponsive" sont lents, poisseux, et oppressants, mais rien ne parvient à donner envie de s’y replonger, comme il est difficile de se laisser emporter par la lente progression relativement prévisible des dix minutes de "Lost Grip". Plus gênant, j’ai eu parfois l’impression que le groupe perdait de son mordant et de sa hargne, en témoigne un mixage qui relègue volontairement les guitares en retrait, pour exprimer son spleen et sa sombre humeur des dernières années. Sans parler d’un disque totalement raté, il reste en arrière-goût l’impression un peu amère que Ken Mode, avec le sentiment louable et sincère de faire évoluer sa musique, a laissé de côté sa singularité pour suivre ce que d’autres groupes font déjà mieux qu’eux. Il ne restera qu'à attendre Void en 2023, la seconde moitié du diptyque qu'il composera avec Null, pour évaluer la pertinence de l'évolution stylistique du groupe.

Marc

le 21/11/2022