Path Of Might - Deep Chrome

Chronique CD album (53:49)

chronique Path Of Might - Deep Chrome

Quoi de mieux que du name dropping de catin de luxe pour définir la musique que nous sert Path of Might ? Adonc, ce combo de Saint-Louis, Missouri, Etats-Unis, constitue le parfait chaînon manquant entre Mastodon et Elder. D’aucuns pourraient penser qu’il s’agit là d’un grand écart stylistique. Qu’à cela ne tienne, sa musique s’avère précisément souple pour le réaliser. Mais au-delà de ladite souplesse, elle se montre suffisamment personnelle pour que ses références et influences s’en trouvent parfaitement digérées et diluées dans la richesse qui déborde de tous les pores de Deep Chrome. Au même titre que les pédants manquant de personnalité, à force de se voir pointer du doigt leurs contrefaçons de mauvais aloi, finissent par lister une série d’idiolectes et autres gimmicks interdits, qui, dans le fond, ne leur ressemblent pas, pour se chercher leur propre style, leur propre vocabulaire, leur propre grammaire, au bénéfice de tous (ou pas), Path of Might réalise le tour de force de rappeler les univers respectifs de ses illustres aînés sans jamais tomber dans le pastiche ni la caricature. Et partant, sans jamais ennuyer, mais au contraire, en suscitant l’intérêt, passé la stupéfaction de la réussite de l’entreprise. Ce, grâce à une lente mais naturelle évolution, d’un album à l’autre. Sans pose ni effet de manche, mais avec une sincérité et une honnêteté qui imposent le respect, notion qui se gagne avec une bonne dose d’inspiration. Et de l’inspiration, le groupe en a à revendre.

 

On peut considérer Deep Chrome comme son album le plus mature à ce jour. Le plus équilibré, celui qui trouve sa propre identité tout en gardant ses racines. C’est le 3e titre de l’opus qui illustre le mieux notre propos. On vous met au défi de vous souvenir, à la fin de ces 9 minutes folles, de la façon dont il a débuté. Intro nonchalante, chaloupée, avec une ligne de chant presque solennelle, avant une première rupture en guise de transition qui mène sans crier gare et avec un naturel confondant au 1E bloc principal du morceau, emmené par un riff au groove insensé, tandis que les lignes de chants pour le coup très mastodoniennes, dans leur versant mélodique, emportent l’auditeur vers de hautes sphères. Le titre semble s’installer dans cette ambiance, s’enrichissant de soli de guitares bien sentis, avant de bifurquer vers des sphères à leur tour plutôt elderiennes, reposant sur une ligne de basse aussi solide et vaste que la Voie lactée. Le chant a alors disparu pour laisser les autres instruments s’exprimer pleinement. On remarque à peine que « Mercenary territory » s’est alors bel et bien emballé, déversant son flot de soli d’une maestria sans pareille. Quand soudain, à 2 minutes de la fin, nouvelle rupture, nouvelle transition, avant que le titre ne s’engage vers son final presque dansant, invitant à effectuer une chorégraphie inédite en jonglant avec les étoiles filantes. Lorsqu’enfin, le titre coupe court, c’est pour mieux nous faire prendre conscience, dans notre ébahissement, notre frustration et notre désarroi, de la démonstration de génie à laquelle nous venons d’assister.

 

L’album alterne les pièces épiques comme ce titre et les plages plus atmosphériques permettant de reprendre ses esprits. Qui en ont bien besoin, car il convient tout de même se rappeler que « Viper Matrix », sur lequel l’album débute sans préambule, ouvre d’emblée les portes sur un univers vaste, invoquant les figures tutélaires de son ADN tout en affirmant sa singularité. Sans chercher ni la démonstration provocante et vaniteuse, ni la lourdeur de compétition, le titre bombe le torse, notamment par le truchement de ses lignes de chant proches de celles des premiers Mastodon, dans leur aspect un tantinet guttural, sinon agressif, mais sans partir dans tous les sens, il explore, sur le plan structurel et mélodique, des contrées éthérées. L’apport des claviers contribue au côté sidéral du voyage auquel l’album nous convie sans nous demander notre avis. A l’instar de « Mercenary Territory », si les lignes de chant impriment leur marque, elles ne tardent guère à s’effacer au profit des parties instrumentales qui, elles, s’enchaînent avec une évidence insolente.

 

Clairement, on comprend que cet album exige plusieurs écoutes pendant lesquelles il convient de s’abandonner totalement, corps et âme, pour en extraire la substantifique moelle, la richesse aussi infinie que le cosmos. De ses illustres modèles, le groupe a gardé un sens du riffage, de la transition, de la progression, de la mélodie, de l’équilibre entre déferlement d’énergie dévastatrice et vol plané dans les nues et les mystères de l’esprit, sans que les passages d’une ambiance à une autre ne relèvent de l’assemblage bancal mais plutôt du respect des lois naturelles qui régissent l’équilibre de la Nature et de l’univers. En clair, Deep Chrome compte parmi ces albums qui passent injustement sous les radars, mais qui peuvent changer la vie de quiconque tombe dessus et se laisse happer. Il existe, tapi dans les schémas invisibles de notre environnement, prêt à se révéler et faire comprendre aux happy few qui rencontreront sa route le sens de leur vie. Pas moins. En d’autres termes, il appartient à cette noble famille d’œuvres qui, sans prétention, mais avec une exigeante complexité, donnent tout son sens à cette pratique ultime : tutoyer l’infini.

photo de Moland Fengkov
le 11/07/2022

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