The Murder Capital - When I Have Fear
Chronique CD album (44:01)

- Style
Post-Punk funéraire - Label(s)
Human Season Record - Date de sortie
16 août 2019
En janvier 1818, le poète anglais John Keats couchait sur papier When I Have Fear, composé de trois quatrains et d'un couplet d’inspiration shakespearienne, et qui transpirait les angoisses de l’auteur sur sa mort future ; une disparition qui l’épiait, dissimulée dans les miasmes tuberculeux qui fauchaient alors un à un ses proches. La main guidée par l’inspiration fiévreuse de sa plume, le jeune homme de 22 ans y évoquait la crainte d’être dévoré par la phtisie avant d’avoir pu écrire tout ce qu’il espérait ; une angoisse qui s’avérera finalement prémonitoire avec sa mort trois années plus tard.
L'évocation directe à ce funeste sonnet ne laisse surgir que peu de doute quant à l’atmosphère funéraire gravée sur ce premier disque de The Murder Capital ; un univers mortuaire tout autant mis en avant par cette illustration qui fait écho au post-punk glacial des usines désolées de Manchester. Ces renvois au romantisme anglais et à un certain groupe matriciel du genre sont douloureusement complétées par l’origine cathartique de ces créations musicales : tentatives de réponse au suicide de Paul Curran, poète et musicien dublinois, ami proche des cinq comparses.
Sorti quelques mois après le Dogrel de la fontaine, When I Have Fear se présente comme ce double glacial et anxiogène qui fait de Dublin l’épicentre post-punk des îles britanniques en cette année 2019. Si Fontaines D.C. rappelait The Fall, The Murder Capital accorde ses instruments sous les mêmes auspices mancuniens, en ressuscitant cependant la litanie macabre de Joy Division. Si ce n’était pas encore suffisant, Flood fut cordialement invité à pénétrer dans ce cimetière afin d’y creuser ces épitaphes – cercle de lécythes déposés ça et là au milieu du caveau, parfumés à l’odeur des Nick Cave and the Bad Seeds.
Que ce soit donc par le contexte créatif qui embaume ces partitions ou par les influences citées, il est difficile de ne pas ressentir à l’écoute des morceaux l’ombre de Unknown Pleasure et Closer, et– par conséquent – la figure désespérée de son chanteur. La voix prophétique de James McGovern – sorte de mix entre de Nick Cave, Ian Curtis et Jim Morrison –, qui enveloppe l’atmosphère d’une nuée qui assombrirait le plus lumineux ciel d’été. La procession désespérée à laquelle nous sommes convié·es à prendre part nous amènera à découvrir le solennel « Green & Blue », le pesant diptyque « Slowdance », et finalement le sépulcral « Love, Love, Love » qui accompagne les dernières marches dans la tombe.
Pour autant, The Murder Capital ne livre pas uniquement un catalogue de ce que le post-punk a pu gratter de plus noir et anxiogène (impossible de ne pas avoir une pensée pour l’immense Join Hands de Siouxsie and the Banshees) : des titres comme « More is Less », « Feeling Fades » et « Don’t Cling To Life » nous rappelle que la formation s’inscrit dans ce revival incarné par les Idles et Shame, qui sévissent par delà la mer d’Irlande. Enfin, le grand fan de Tom Waits qui sommeille en moi ne peut s’empêcher d’imaginer l’artiste à l’écoute de « How The Streets Adore Me Now », désabusé dans une cave dublinoise à caresser mécaniquement un vieux piano droit laissé à l’abandon, tout en expirant – fatigué et rongé – la mélancolie qui stagne au fond de son verre en dépôt amer.
When I Have Fear est un corbeau qui transperce de son regard les âmes en peine, accroché à sa corniche – le croassement en oraison funèbre d’une tribulation sans fin. The Murder Capital a creusé un gouffre de noirceur qui irradiera de sa déprime celles et ceux qui feront l’effort de s’y enterrer. Néanmoins, à l’image du génial « For Everything » qui marque l’entrée de ce tunnel, il est toujours possible d’y trouver un misérable et réconfortant faisceau de lumière pour s’y échapper et respirer.
5 COMMENTAIRES
Moland le 28/10/2023 à 09:42:05
Chronique qui allèche, avec son cortège de name dropping de bon aloi
Brutal Grreg le 28/10/2023 à 15:40:57
Tres Belle chronique. Beau style.
Thedukilla le 28/10/2023 à 17:55:10
Tout plein de bonnes choses là dedans, même si je suis plus intéressé par les titres à fort relent Joy-Divisionesque (le final de « For everything » a des petits échos du final de « Disorder »).
Je trouve que leur personnalité s’exprime plus dans ces moments que sur les titres comme « More Is Less », qui aurait aussi bien pu être une chute d’un Idles période « Joy as an act of resistance ».
Très bonne chro en tout cas, merci pour la découverte !
daminoux le 29/10/2023 à 08:55:01
je suis une gros fan de post-punk et portant je suis complétement passé a coté de ce groupe.... merci je vais rattraper ça
Arrache coeur le 29/10/2023 à 10:20:41
Merci beaucoup à toutes et tous pour les compliments, et ça me fait plaisir de faire découvrir ce groupe que j'estime beaucoup ! 😊
@Moland : Ce premier album est en effet assez référencé ; cependant, n'hésite pas à jeter une oreille sur leur second sorti cette année car (la chronique va rapidement suivre). Les Irlandais ont profité d'une pause assez longue (4 ans entre les deux sorties) pour retravailler en profondeur leur style musical, et en ont profité pour insufflé une énorme dose de post-rock qui tranche totalement avec ce premier effort : beaucoup plus homogène et un son davantage affirmé. Perso, j'adore et il doit sans doute s'agir de l'album que j'ai le plus écouté cette année. Je te mets un lien pour que tu te fasses une idée :
https://www.youtube.com/watch?v=5yvKIACgr0s
@Thedukilla : Effectivement, le "For everything" rappelle beaucoup "Disorder" (qui est le premier morceau de Joy Division que j'ai écouté, donc gros affect haha). C'est sans doute le défaut que je peux trouver à ce premier album, c'est ce côté très hétérogène par moment dans les compositions et les influences ; néanmoins, "More Is Less" passe extrêmement bien en live.
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