Hegemone - We Disappear

Chronique CD album

chronique Hegemone - We Disappear

Est-il utile rappeler ici la qualité du travail effectué depuis plus d’une décennie par Debemur Morti, qui a su constituer patiemment un catalogue d’artistes remarquable par sa densité et sa diversité (Archgoat, Arkona, Behexen, Blut Aus Nord, Dirge, Terra Tenebrosa, Vassafor, etc.) ? Son roster s’est encore étoffé en novembre 2017, suite à la signature du quartet polonais originaire de Poznan : Hegemone. Formé en 2010 et disposant d’un line-up stable depuis 2015, ce groupe s’était déjà fait remarquer par un premier album Luminositiy, déjà très bon, et par un split, moins convaincant, avec le groupe biélorusse Challenger Deep. Pour leur deuxième opus, We Disappear, sorti en mai 2018, des efforts très significatifs ont été entrepris pour nous offrir un travail de grande qualité. Au niveau du son, la musique a été enregistrée, mixée et mastérisée de manière chirurgicale par le Suédois Haldor Grunberg, membre du groupe Thaw et propriétaire en Pologne du studio Satanic Audio. On lui doit notamment des contributions avec Behemoth et Blaze of Perdition. Au niveau des visuels, doit être souligné le boulot très réussi de l’artiste française Dehn Sora, qui a déjà collaboré avec Neurosis, Ulver et Blut Aus Nord.

 

Cet artwork splendide, à la fois lunaire et oppressant, élément à part entière de ce projet musical, n’est convoqué que pour une seule chose :  nous faire traverser 50 minutes de musique dans l’inconfort émotionnel d’un black metal complexe et éreintant, teinté de vives nuances post-metal, sludge et post-hardcore parfaitement entremêlées. Hegemone impressionne à travers ses six morceaux très denses. « Mara » met d’emblée l’auditeur dans l’ambiance lancinante et parfois monolithique (mais pas monotone !) assumée par le groupe, brisée au bout de deux minutes par les riffs accrocheurs de Kacper Jachmiowicz et par les déchirures vocales du bassiste Jakub Witkowski, avant d’être enrichie par les textures électroniques de Tomasz Stanuch. On pense alors le black metal du quartet parti à la dérive, submergé par les vagues post, à l’instar d’Amenra, dont les concordances musicales sont ici réelles, parfois troublantes. C’est alors que la batterie de Tomasz Towpiks, brutale et linéaire, surinvestit les premiers instants de « Fracture ». Ouf !!! Mis à part un passage en voix claire un peu discordante au sein d’un passage très planant, le deuxième morceau ne dénote pas d’un ensemble pénétrant. Puis vient le chef-d’œuvre – oui, oui, tout simplement – « Raising Barrows », dont l’écoute me semble complètement indissociable de la vision du clip réalisé par Woda i Pustka et sorti peu de temps avant l’album. Rarement ai-je entendu des lignes de basse aussi structurantes, mises au service d’une musique tout à la fois aérienne et sombre, légère et mélancolique, qui sonde le plus profond de notre intériorité. Gare à ceux qui sont en plein spleen : l’émotion et les larmes vous guettent ! Tout y est, même un passage black à souhait en son cœur. Et que dire des gémissements de Jakub W. ? Un régal absolu. Hegemone à son acmé !

 

La suite tient largement la route. Et de loin ! « Π », plus ramassé, commence fort gentiment, presque timidement, puis reprend la trame, parfois un peu linéaire, d’un passage tendu et agressif particulièrement rythmé, suivi d’une longue respiration atmosphérique, quasi-psychédélique, brisée en fin de composition par des hurlements et des riffs rageurs. Une noirceur mélancolique saisit l’auditeur de « Хан Тәңірі », dont les rondeurs et la chaleur des premières minutes, marquées par une basse omniprésente et une ligne de batterie de plus en plus marquée, laissent la place au bout de cinq minutes à un passage irrémédiablement plus tumultueux. Le groupe prend alors le risque de rompre la composition brutalement par la voix cristalline de Karolina Sawicka. Un risque réussi ! Le dernier temps de cette partition, « Тәңірі », est le plus long, puisqu’il atteint presque les 16 minutes ! Soit un temps nécessaire pour y déployer son post-black metal méthodique et angoissant, conclu par une longue seconde moitié traversée de part en part par une rythmique et des sonorités envoûtantes, presque tribales.

 

Il serait injuste et malhonnête de faire de Hegemone, un groupe venant simplement embouteiller une scène polonaise déjà bien chargée (Behemoth, Decapitated, Evilfeast, Mgła, Vader, etc.). Il ne l’encombre pas, mais, au contraire, l’enrichit grâce à une création musicale particulièrement consistante, exigeante et diversifiée. Pour l’heure, Hegemone ne sort guère de son périmètre polonais pour exercer son talent sur scène. Une tournée avec le groupe français de post-metal Dirge en octobre 2018 lui a offert l’occasion de se rendre dans quelques pays voisins. Et la France, c’est pour quand ?

photo de Seisachtheion
le 07/03/2019

0 COMMENTAIRE

AJOUTER UN COMMENTAIRE

anonyme


évènements