Lacuna Coil - Black Anima

Chronique CD album (45:10)

chronique Lacuna Coil - Black Anima

Il y a trois ans, j'avais terminé ma chronique de Delirium de Lacuna Coil en émettant l'espoir que le « plus américain des groupes transalpins » continue de flirter avec ce petit virage stylistique qui lorgnait pas mal sur toute la vague modern metal(core) très en vogue chez les groupes amerloques calibrés depuis quelques années, quitte à plonger là-dedans tête la première plutôt que d'y tremper farouchement les orteils comme il avait pu le faire. Parce que même si ça paraissait un brin opportuniste à bien des égards – à l'image du virage Karmacode une dizaine d'années auparavant – il fallait reconnaître que ça amenait un vent de fraîcheur bienvenue, aussi imparfait était-il. Et que de toute manière, pour les fans de la première heure qui cracheraient encore qu'on est loin des premières heures de gloire, j'aurais envie de leur répondre qu'il y a un moment où il faut reconnaître que les codes du metal gothique et/ou symphoniques à chanteuses depuis la fin des années 90/début 2000 ont évolué. Le Resist, dernier album de Within Temptation, n'a clairement plus rien à voir avec son référentiel Mother Earth. Les derniers rejetons d'Epica, même si la base de sa formule n'a pas tant changé que cela, ne sonnent pas du tout comme leurs débuts sur The Phantom Agony, voire comme sur le Decipher d'After Forever (qui représente quelque part comme une sorte d'enfant illégitime avant l'heure). On ne parlera pas de Nightwish, de The Gathering et consort... Et je pense que ces-dits groupes, les Milanais y compris, ressortiraient un album véritablement « retour aux sources », ça choquerait pas mal de monde tant ça paraîtrait totalement has-been et hors de propos à l'heure actuelle. Si vous doutez, je vous invite à écouter le dernier album de Visions Of Atlantis qui s'attache à proposer cette formule d'antan et constater par vous-même que ça ne touchera qu'une niche très fermée d'amateurs du genre hyper nostalgiques de cette période. De la même manière que le dernier Dragonforce, resté bloqué dans sa formule initiale, paraît aujourd'hui totalement kitsch alors qu'il aurait sans doute récolter tous les suffrages il y a dix ans. Les codes musicaux évoluent. Et nous aussi, en tant que personne et auditeur, on évolue, c'est un fait.

 

En cela, parmi toute cette vague de metal à chanteuse de l'époque, Lacuna Coil a peut-être été le premier à s'être rendu compte de cela et a répondu à cette problématique en prenant carrément le taureau par les cornes. Il l'avait montré en 2006 avec Karmacode puis en 2016 avec Delirium. Black Anima, son dernier rejeton, comme je l'espérais il y a trois ans, enfonce d'autant plus le clou pour une mutation d'autant plus nette et franche qui divisera son public sans nul doute. Les petits nouveaux qui avaient débarqué avec Delirium s'enthousiasmeront sûrement. Les plus vieux pourront autant apprécier la prise de risque qu'ils pourraient se braquer que ça va trop loin. D'autant plus, à l'image de son grand frère, les changements ne se passent pas sans heurts : Black Anima s'avère être un album très inégal au bout du compte. Et pourtant, malgré ses multiples imperfections, je ne peux m'empêcher personnellement de lui vouer une certaine sympathie. Si Delirium pouvait passer pour un simple délire opportuniste en modernisant son propos afin de se caler dans l'air du temps et permettre ainsi à Lacuna Coil de brasser encore plus large dans le public, Black Anima me laisse bien plus l'impression que le groupe voulait pousser plus loin dans cette direction pour satisfaire ses envies artistiques. Et lorsque cette impression s'intensifie au fil des écoutes, j'admets jeter des regards tout plein de clémence, tendresse et bienveillance tant je préfère un groupe voulant évoluer artistiquement qui s'y prend de manière maladroite, plutôt qu'un groupe s'appuyant perpétuellement sur ses acquis qui ronge l'efficacité de son identité jusqu'à la (mauvaise) moelle.

 

Preuve de cette volonté de s'extirper de l'opportunisme le fait d'avoir tenté de varier sa formule « modern metal(coresque) » initiée sur Delirium. Un peu d'ambiance indus' (les guitares des couplets de « Layers Of Time ») par-ci, de triturages djentiens par-là, ou encore de délire sympho synthétique alliant autant d'aspects de « vieux Lacuna Coil » et « Lacuna Coil new look » (« Now Or Never ») et à se risquer à incorporer du chant latin parce qu'on n'est finalement pas si Américain après tout (« Veneficium »)... Bref, tout plein de trucs variés qui font qu'on arrive finalement davantage dans cette catégorie plus fourre-tout que l'on nomme « alternatif » alors qu'on avait davantage consenti à parler de metalcore revue à la sauce Lacuna Coil. Une part metalcore qui paraissait parfois plutôt niaise il y a trois ans, un aspect que l'on ne retrouve heureusement plus aujourd'hui. Black Anima pousse en effet le bouchon de l'agressivité beaucoup plus loin. La prod' est massive, Andrea Ferro grunte comme jamais, et de façon beaucoup plus systématique, allant parfois jusqu'à rendre les interventions de Cristina totalement dispensables – une première tant elle avait pourtant toujours le premier rôle auparavant. Bref, le Lacuna Coil de 2019 est vénère par rapport à ce qu'il nous a habitué depuis ses débuts. Vraiment vénère (toute proportion gardée, ce n'est pas du Napalm Death à chanteuse non plus bien sûr). Tellement que ça impacte beaucoup sur le sens de l'accroche et de l'efficacité. Car même s'il y a quelques passages et autres refrains qui sortent sans surprise du lot (les deux singles « Layers Of Time » et « Reckless » notamment), ou de moments plus classiques (« Apocalypse »), on n'arrive pas forcément ici à quelque chose qui s'imprimera dans le crâne autant qu'un « Delirium » ou pire, des indécrottables « Swamped » et « Heaven's A Lie ». Et surtout de choses qui auraient pu être vachement cool si elles n'avaient pas été gâchées par cette envie malhabile dans la production d'ajouter des effets ou autres surenchères pas toujours pas toujours très bien dosées. Comme ce refrain de « The End Is All I Can See » qui aurait pu être magnifique en terme d'harmonies et de chœurs entre les deux vocalistes s'il n'était pas si chargé d'effets dans les voix et parasité avec un sample surmixé ou encore cette boucle de clavier ininterrompue de « Black Anima » qui viendra littéralement briser les crânes tant elle aurait mérité d'être présente avec plus de parcimonie.

 

Bref, des maladresses et une inégalité d'ensemble, c'est ce qu'on retiendra de Black Anima. Même si ça ne l'empêche pas d'être plaisant à écouter. Sans que ça n'aille forcément se hisser plus haut pour autant. Le Lacuna Coil de 2019 teste des choses et est encore en phase de rodage de ses nouvelles envies. Mais après tout, il vaut mieux ça que de stagner, d'autant plus que cela pourrait très bien amener des choses autrement plus enthousiasmantes dans le futur.

photo de Margoth
le 30/10/2019

2 COMMENTAIRES

olivier( écrit comme la reine)

olivier( écrit comme la reine) le 01/11/2019 à 11:15:59

Bonjour Margoth,
tu as du talent.Ta chronique est on peut plus pertinente.Pour ma part,je regrette l'époque d'Unleashed Memories .

Margoth

Margoth le 05/11/2019 à 08:37:59

Haha, talent je ne sais pas mais merci beaucoup en tout cas. En espérant que vous soyez bien rentrés et que l'on se revoie un de ces quatre pour un autre concert ;)

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