Steven Wilson - To The Bone

Chronique CD album (59:54)

chronique Steven Wilson  - To The Bone

Ah ce nouvel album de Steven Wilson... Il n'a pas fallu plus d'un mois après sa sortie pour voir passer un peu tout et n'importe quoi en terme d'opinion à son encontre. Les plus savoureuses restant sans nul doute les chroniques de purs progueux fortement désappointés clamant en propos lisses et contenus que le leader de Porcupine Tree se rabaisse à partir vers la voie de l'accessibilité par souci de cupidité, tout en ajoutant en parallèle ouvertement que le chroniquer était limite, limite tant c'était hors-sujet. Le plus amusant étant de se dire que la présence de cette dite bafouille peut être finalement perçue comme une volonté inconsciente purement mercantile, un gros nom apportant bien souvent une bonne visibilité et du clic en masse. Parce qu'il vaut mieux parfois passer sous silence certaines choses plutôt que d'imposer sa science sur un domaine qu'on ne maîtrise visiblement pas.

 

Car Steven Wilson a décidé de s'émanciper pas mal de ses terres progressives de confort avec To The Bone en partant dans un délire purement pop. Ayant la chance d'avoir la liberté récréative de sortir des sentiers metalliques banalisés le samedi, je n'ai pas pu m'empêcher de livrer ma vision de cet album qu'il serait dommage de rabaisser trop rapidement uniquement sous prétexte que « c'est pas du rock prog mais de la pop de vendu ». Il faut bien comprendre, dans le style, il y a pop et Pop. La pop mainstream, directe et légère qui fait office de simple divertissement passager. Pour l'illustrer tout en restant rattaché à la scène metal/rock, il suffit d'aller voir les derniers opus solo d'Anneke Van Giersbergen (Vuur / ex-The Gathering), à savoir Everything Is Changing (2012) et Drive (2013), deux brûlots pop/rock easy-listening à mort – sympathiques dans leur genre néanmoins – où la seule richesse tient davantage de la voix de sa maîtresse de cérémonie que de ses instrumentations hyper convenues. Et il y a la Pop, une musique d'apparence accessible mais sophistiquée, bien plus riche qu'il n'y paraît, encore faut-il se donner la peine de l'écouter en détail, par-delà tout mauvais à-priori préalable. Et c'est justement dans cette catégorie que se situe To The Bone. Indubitablement.

 

En même temps, en prenant comme modèles des albums tels que So de Peter Gabriel, Colour Of Spring de Talk Talk, Hounds Of Love de Kate Bush ou encore Seeds Of Love de Tears For Fears, il ne pouvait en être autrement tant ils restent tous de grands albums pop aussi sophistiqués qu'ambitieux. Un Tears For Fears d'ailleurs dont le remixage de sa discographie a été récemment confié à Wilson justement. Sachant qu'il s'était chargé, dans le même genre d'exercice, à faire celle de King Crimson il y a quelques années et que ça avait abouti à un Grace For Drowning (2011) très crimsonien, nul doute qu'il n'y a pas de hasard. Car Steven Wilson, en solo – et un peu dans Porcupine Tree même si c'est moins évident – n'a rien de l'artiste qui invente. Au contraire, il a plutôt tendance à réinventer : partant d'un ou plusieurs modèles, il aime à tisser des frasques musicales dotées des mêmes caractéristiques que ces derniers, leur donnant au passage énormément de lettres de noblesse. Le tout, sans jamais singer et plagier. Certains le verront peut-être d'un mauvais œil, il faut néanmoins reconnaître qu'il s'agit d'une caractéristique admirable que peu peuvent prétendre, se contentant d'un simple statut de « clone de ». Si l'on remet To The Bone, avec sa pochette très Peter Gabriel, dans ce contexte afin de l'aborder, nul doute que l'appréciation qui en découlera n'en sera que meilleure. De toute manière, pour le moment, il va falloir s'y faire, Wilson ayant déclaré en interview lui-même qu'il considérait son précédent effort, Hand. Cannot. Erase., comme un sommet de sa discographie qu'il serait quasi-impossible de vouloir dépasser et que par conséquent, il préférait partir vers d'autres directions. Je ne pourrais moi-même pas lui donner tort à ce niveau. Une preuve d'une auto-analyse réfléchie et sage assez hallucinante pour un boulimique de travail enchaînant disques, projets et tournées comme lui.

 

Une reconversion musicale qui se passe fort bien. La première écoute passe comme une lettre à la poste : To The Bone se présente comme une pop très accessible et accrocheuse qu'on ingère aisément. On ne réfléchit pas, ça passe tout seul, tellement qu'on le catégoriserait grossièrement de mainstream, ce genre de trucs que l'on écoute pour se détendre, le candidat parfait pour servir de fond sonore dans des contextes où notre attention se doit d'être focalisée sur des choses plus importantes. Ça a beau être bien fichu, on ne peut toutefois pas s'empêcher de ressentir une pointe d'inquiétude : tient-on là un candidat qui pourrait prétendre à rester dans la postérité ? Ou s'agit-il simplement d'un album ponctuellement sympathique qui se verra oublié dès lors qu'on trouvera un autre paquet de cacahuètes plus goûteux ?

 

Les écoutes suivantes, menées avec davantage d'attention, répondront rapidement à ces questions. Très clairement, ce cinquième album possède tous les arguments nécessaires pour passer le cap du temps. Il s'avère que la légèreté apparente camoufle une sophistication foisonnante dans ses détails. En grande majorité des titres, la toile de fond sonore se voit peuplée de diverses couches savamment imbriquées et/ou superposées, offrant un relief non négligeable à tous ces titres – même si ce n'est pas forcément flagrant à la première écoute – partant originellement de bases simplettes. Steven Wilson se la joue ici davantage paysagiste sonore en usitant de beaucoup de délicatesse et non comme un musicien grossier jouant bêtement de son instrument de front. Au contraire même puisqu'au final, on note rapidement que les guitares sont très loin d'être les maîtresses de cérémonie.

 

To The Bone possède une richesse sonore subtile qui a un impact tout particulier sur le plan émotionnel. Beaucoup de sensibilité se dégage. A un point tel qu'elle arrive à porter à elle-seule le doublon de titres le moins sophistiqué, à savoir le single « Pariah » ou encore la balade folk épurée « Blank Tapes », tous deux interprétés en duo avec la vocaliste Ninet Tayeb que l'on avait déjà entendue sur Hand. Cannot. Erase. il y a deux ans. En terme d'empathie, on pourra également compter sur le titre de fermeture, « Song Of Unborn », rappelant un peu certaines frasques médito-mélancoliques de Blackfield, un de ses autres projets annexes mené de front avec le chanteur israélien Aviv Geffen dont il est plus à propos de lui rapprocher To The Bone plutôt qu'un Porcupine Tree.

 

Outre ces caractéristiques, on pourra reconnaître dans cet album le respect de son cahier des charges : l'hommage à la scène pop 80's est plus que palpable et via divers clins d’œil, arrive à apporter énormément de variété. L'harmonica que l'on retrouvera à plusieurs reprises rappellera Eurythmics, l'introduction de percussions du titre d'ouverture éponyme fera penser à Toto, les lignes vocales du refrain de « Permanating » ainsi que sa ligne entêtante de piano sonneront très Abba... Wilson se permet même de lorgner vers la décennie suivante de par l'utilisation de pas mal de sonorités synthétiques légères et planantes, « Song Of I » chanté en duo avec Sophie Hunger, très trip-hop britannique rétro du début des 90's dans l'esprit, étant certainement le cas le plus frappant. Steven Wilson, peut-être soucieux de ne pas trop perdre sa fan-base basique, n'en oublie pas pour autant ses racines tant « Refuge » n'aurait pas fait tache dans les opus précédents de sa discographie, avec son pont très progressif. Ou encore « Detonation », seul format long de l'opus d'un peu plus de neuf minutes, partant dans un long délire instrumental aussi progressif que jazzy.

 

To The Bone, à condition qu'on l'aborde correctement pour ce qu'il est, s'avère être un album magnifique et marquant. Cela faisait longtemps qu'un album de pop sophistiquée ne m'avait pas autant prise aux tripes, devant souvent retourner justement trois décennies en arrière afin d'y retrouver ce plaisir. Car de ces dernières années, dans des registres un brin différents mais toujours poppys, seuls les Américains de Bent Knee, le Mute (2010) de Demians et les opus solo de Nehl Aëlin (Akphaezya) peuvent prétendre à autant faire vibrer ma fibre sensible et me laisser le cul à chaque écoute. En cela, To The Bone n'a pas à rougir parmi la discographie de son géniteur. Certes, il ne détrône peut-être pas son grand frère mais il ne lui en est pas moins inférieur : les deux sont juste incomparables.

photo de Margoth
le 14/10/2017

0 COMMENTAIRE

AJOUTER UN COMMENTAIRE

anonyme


évènements

HASARDandCO

Von Pariahs - Hidden Tensions
COREandCO radio S10E08