Ars Moriendi - Le Silence Déraisonnable du Ciel

Chronique CD album (55:29)

chronique Ars Moriendi - Le Silence Déraisonnable du Ciel

À l’image de l’éducation des enfants de chœur dans la France des XVIIe et XVIIIe siècle qui a fait l’objet de sa thèse, il en a fallu une « solide formation musicale » et un investissement sans faille à Bastien M. alias « Arsonist » pour mener à bien son projet solo Ars Moriendi : six demos, deux splits et surtout 6 long-formats, le dernier en date sorti le 24 septembre 2021 chez le label ukrainien Archaic Sound* (celui-là même qui a accompagné les débuts de 1914), jalonnent ainsi deux décennies d’existence bien charnues.

 

Le Silence Déraisonnable Du Ciel, le p’tit dernier donc, enrichit encore un peu plus un parcours marqué par cet invariant notable : l’exigence intellectuelle et la rigueur historique défendues mordicus trouvent ici, par ruissellement, un prolongement dans une musique fluide, structurée autour d’une approche d’une grande cohérence. L’intérêt d’Ars Moriendi ne peut en effet être abordé sans avoir à l’esprit ce background historique et conceptuel particulièrement fourni. C’est ainsi que le titre "Brescia 1512", inspiré du Stabat Mater de Giovanni Battista Pergolese (1710-1736), prend les traits d’une « pièce épique », narrant – pour reprendre les propos du multi-instrumentiste – « les conséquences du sac de la ville italienne de Brescia par les Français en 1512 dans le cadre de la Ligue de Cambrai. Une bien sombre histoire de malédiction... » L’amour pour l’Histoire suinte de même du très bon "Savonarole", qui vitupère les excès mortifères de la théocratie florentine imposée à la toute fin du XVe siècle. En fait, est soulignée, en cinq temps mais dans un même mouvement, la puissance tout à la fois créatrice et destructrice de l’Église.

 

Nous avons affaire ici à un Black Metal mélodique et (très) progressif de bonne tenue, dégageant une réelle élégance, à l’image du "Enivrons-nous" (poème de Charles Baudelaire déclamé par Serge Reggiani), ainsi qu’un fort degré de sophistication, qui trouve sa quintessence sur l’excellent "Le viatique et l’oraison". Cette sophistication amène cependant à faire des choix musicaux qui ne convainquent pas entièrement. Les chevauchées rythmiques 100% BM ne sont pas en cause ici ; elles sont au contraire les bienvenues sur "Savonarole" (dès la fin de 7e mn), sur "Brescia" (4e, 7e, 11e) ou encore sur "Le viatique et l’oraison" (6e, 10e, …) ! Il s’agit davantage des lignes de chant. Enfin, certaines d’entre elles pour être plus précis… Les voix parlées, qui ambiancent par exemple la première minute de "Brescia" ou encore l’insertion de la voix féminine sur "Le viatique et l’oraison" ne dénotent pas du tout. Il en est de même pour le growl réalisé sur "Savonarole" et "Un néant à l’égard de l’infini" par mon confrère Laurent Chambe (ancien hurleur de Dislocation et de Nephren-Ka, qui avait déjà prêté sa voix dernièrement à Slave-One). L’insertion du chant clair, quant à elle, laisse une saveur plus contrastée. Alors que les incantations, volontairement sous-mixées, enrobent prestement le shriek dans le refrain du premier morceau, la combinaison vocale clair/saturé laisse bien plus perplexe à l’écoute de "Un néant à l'égard de l'infini". En outre, de mon dispensable point de vue, l’apport des samples electros (à la fin de ce même morceau) n’est pas très probant.

 

En dépit de ces quelques réserves, Arsonist est à nouveau parvenu à créer des compositions autant atypiques que soignées. Des compositions face auxquelles je me suis senti parfois démuni, comme si – en dépit des multiples écoutes dont il a fait l’objet ces derniers mois, en dépit des multiples écoutes que cette œuvre mérite et exige – je ne disposais pas des armes suffisantes pour en déceler toute la richesse, toutes les fines ciselures, toutes les lignes de force. La rédaction de cette chronique n’est donc pas une fin. En fait ne s’agit-il là que d’une étape supplémentaire, en vue de tenter d’apprivoiser une œuvre buissonnante, qui – au regard de la prolificité féconde de son auteur – risque fort bien de connaitre un nouveau jet dans un futur proche.

 

 

* Dans son roster, je vous conseille fortement d’écouter la demo brutalement géniale des Finlandais de Nagant Neckshot (Under Downpour of Steel) ou les premières propositions de Morte France !

photo de Seisachtheion
le 15/02/2022

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