Body Void - Atrocity Machine

Chronique CD album (43:49)

chronique Body Void - Atrocity Machine

Il m’a toujours été difficile de mettre les mots sur le sentiment que j’ai ressenti lorsque – pour la première fois – j’ai été confronté à une musique radicale, extrême, opaque. Dans mon cas, ce fut aux environs de mes 14 ans, lorsque je découvris Raining Blood de Slayer. Bien que déjà marqué par la découverte de Megadeth et Iron Maiden, ce n’est véritablement qu’à ce moment fatidique passé sur youtube un soir d’ennui que je glissais pour la première fois un pied dans le marécage si délicieusement répulsif du metal extrême. Ce n’était plus la mélodie qui retenait mon attention, mais une sensation résolument physique née de cette expérience acoustique radicale. Ce moment fondateur me fit plonger dans cet abime de noirceur, guidé dans une quête obsédante de ce qu’il y avait de plus cathartique et abrasif. Au cours de ce périple, je m’échouai sur les terres du metal, de la noise, du punk, du jazz et aux confins même de la musique contemporaine dans ce qu’elle avait de plus déconcertante. Finalement – qu’importe les raisons qui la motivèrent – cette odyssée à la recherche d’un vacarme à la saturation curative me permit d’exhumer des œuvres aussi fascinantes qu’insondables.

 

C’est au cours d’une pérégrination insomniaque que je découvris Body Void, et son album Bury Me Beneath This Rotting Earth : quatre titres d’un sludge funéraire aux relents dronesque hérité de Burning Witch, et dont chaque note dégageait les miasmes d’une terre en décomposition. La formation s’inscrit dans une metal extrême résolument porté sur les problématiques de genre (Willow Ryan s’identifiant comme non-binaire), écologiques et sociales ; le tout enrobé d’un anticapitalisme et d’un antifascisme bienvenus. Du fait de son style radical et ses thématiques, Body Void est donc à rapprocher de groupes tels que Thou, Ragana, Mizmor, Feminazgul et le défunt Dawn Ray’D.

 

Toujours édité par Prosthetic Records, Atrocity Machine se démarque tout d'abord des précédentes œuvres de Body Void par son illustration, qui abandonne le noir & blanc caractéristique par un rouge agressif laissant entrevoir un être cyberpunk tout droit inspiré du Tetsuo de Tsukamoto. Cet avertissement nous informe sur le virage qu’opère Body Void dans sa musique : dans les entrailles organiques du doom/sludge va naître une noise saturée, qui va s’étendre et dévorer tout l’oxygène aux alentours. Cet apport musical trouve son origine dans l’intégration officielle de Janys-Iren Gaughn (le duo devenant ainsi trio) qui - dorénavant - s’occupe à plein temps de l’élaboration de paysages sonores électroniques oppressants. En embrassant ces traits musicaux, les partitions de Body Void vont atteindre une puissance abrasive décuplée, faisant passer les précédents travaux du combo pour de subtiles et délicates ariettes.

 

En dehors d’une brève introduction qui confirme dès lors l’univers sonore élaboré, Atrocity Machine se compose de cinq pièces d’une durée variant entre 6 et 10 minutes. Autant prévenir tout de suite : aucun forme d’apaisement ne viendra réconforter l’auditeurice qui osera s’enfoncer dans ce cauchemar mécanique et glacial. Comme l’intitulé des titres le laisse suggérer, Body Void nous convie à l’apocalypse barbare et sans pitié d’un capitalisme inhumain (pléonasme toujours bon à relever).

 

Durant ces quarante minutes, rien ne vous sera épargné ; la lourdeur pachydermique du riffing associée à la redondance hypnotique des structures employées vous entraînera dans les angoisses infernales d’une symphonie aliénante. A ce rôle, l’abominable « Flesh Market » fait figure d’exemple parfait, et dont l’accélération en fin de morceau n’aura même pas la décence d’achever l’auditeurice – préférant l’abandonner à un dernier ralentissement terrifiant. Effrayant, Atrocity Machine l’est assurément : il suffit de laisser ses oreilles se décomposer à l’écoute de l’introduction monstrueuse de « Cop Show », ou du phénoménal titre éponyme qui clôture l’œuvre dans un anéantissement cathartique qui résonnera encore longtemps dans les esprits déclassés par un quotidien névrosé.

 

Hermétique, homogène, opaque, terrifiant, radical : avec Atrocity Machine, Body Void nous convie à une plongée éprouvante dans les décombres d’une civilisation au bord de la ruine, dévorée par un capitalisme effroyable. 

photo de Arrache coeur
le 03/01/2024

16 COMMENTAIRES

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 03/01/2024 à 12:59:14

Machette quelle chronique !

Pingouins

Pingouins le 03/01/2024 à 14:12:22

Oh jusqu'à la toute fin (notamment du fait du groupe et de son style) j'étais convaincu de lire moland.
Pas encore écouté ce Body Void, je me suis arrêté au précédent je crois, mais je vais clairement remédier à ça. 
Et superbe chronique en effet AC :)

Moland

Moland le 03/01/2024 à 18:40:39

Nous comparer, voire nous confondre, Arrache-Coeur et moi, je ne sais pas lequel doit se sentir le plus flatté mais je prends ! Chouette chronique, comme toutes les précédentes. Bravo !

Arrache coeur

Arrache coeur le 03/01/2024 à 21:53:15

Haha merci beaucoup pour cette remarque que je prends pour un très beau compliment ! 😄

Xuaterc

Xuaterc le 04/01/2024 à 12:26:42

Plus ça va, plus je  je suis fier que tu fasses partie de l'équipe, tu as une super plume et un chouette domaine de chalandise

el gep

el gep le 04/01/2024 à 12:42:06

Ben dites donc, oui la chronique alléchouile, mais comme ça léchouille du côté des co-chroniqueurs, ahah, c'est limite gênant !

Bon, connais pas encore ceux-ci, mais en Sludge-Drone-Noise essayez si ce n'est pas déjà fait les mythiques Skullflower. C'est radical, gros.

el gep

el gep le 05/01/2024 à 11:53:00

...quoique, vu ce que je suis en train de lire sur le Skullflower récent, je sais pas si leur faire de la pub est une super idée...
https://thequietus.com/articles/26024-skullflower-matthew-bower-fascism-racism

Arrache coeur

Arrache coeur le 05/01/2024 à 13:32:11

Ah ben mince, j'avais justement noté la référence pour écouter... Je suis en train de lire le texte et il y a effectivement des trucs bien puants. Dommage.

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 05/01/2024 à 18:04:21

Je ne connais pas des masses Skullflower (bon là, "The Spirals of Great Harm" est pas loin du gros foutage de gueule) mais une croix de Wotan et un Soleil Noir... Encore un triste connard qui se pignole sur Adolf. 

el gep

el gep le 05/01/2024 à 18:09:56

Il semblerait bien.

Dommage, y'avait des trucs vraiment chouettes musicalement.

sepulturastaman

sepulturastaman le 05/01/2024 à 19:23:29

Sinon il y a Ævangelist et Bell Witch dans un style black/doom/drone, enfin de la musique lente extrême quoi.

Arrache coeur

Arrache coeur le 05/01/2024 à 20:31:43

Ævangelist, je ne connais pas ; par contre, je suis extrêmement fan de Bell Witch. Pas encore totalement assimilé le dernier, mais dans un style qui mélange black/doom/drone, difficile de ne pas citer Mizmor (les albums Yodh et Cairn notamment).

sepulturastaman

sepulturastaman le 05/01/2024 à 21:03:31

la collaboration entre Thou et Mizmor avec Myopia est une master tueurie. Le dernier de Bell Witch : Future's Shadow Part 1: The Clandestine Gate m'a laissé un excellent souvenir, je l'ai préféré à Stygian Bough Volume I (leur précédent album) faut aimer le doom rituel.

Pingouins

Pingouins le 05/01/2024 à 21:12:16

En doom/drone avé relents black (par contre pas spécialement sludge ou ultra massif dans le son), ma dernière turbo branlée ça a été Rinuwat, notamment du fait de la chanteuse. Si vous n'avez pas écouté, go.
Et sinon la collab Fawn Limbs avec Nadja est une belle liquéfaction de cerveau aussi, faut que j'en fasse une chronique un de ces jours !

Intéressant cet album de Body Void, écouté du coup. C'est intense à digérer d'une traite ! En live (et je les ai ratés au Roadburn dernier me semble t'il, où se trouvaient aussi Bell Witch pour la première de leur nouvel album - également ratés pour autre chose), ça doit être tellement écrasant !
Thou + Mizmor très bien ouiii !

Xuaterc

Xuaterc le 06/01/2024 à 15:07:49

En terme de Black / Drone et et master tuerie, le dernier Darkspace, -II, se pose là

Arrache coeur

Arrache coeur le 08/01/2024 à 23:01:45

Parfait, je note le Fawn Limbs, le Rinuwat et le dernier Darkspace que je me glisserai à l'occasion ! 

Et en effet, l'album collaboratif entre Mizmor et Thou est phénoménal.

Allez, comme on est dans le partage de sépultures poisseuses, je ne peux que conseiller aux fans de Bell Witch de se pencher sur le Stygian de Atramentus sorti en 2020 : un funeral doom qui rappelle la procession funéraire d'un Mirror Reaper, mais gratte par moment à la porte de l'effroyable et unique Tomb of the Ancient King de Wormphlegm.

https://www.youtube.com/watch?v=Ees3KjRb6j4

AJOUTER UN COMMENTAIRE

anonyme


évènements

  • Devil's days à Barsac les 9 et 10 mai 2025
  • Seisach' 6 les 17 et 18 octobre 2025
  • ULTHA au Glazart à Paris le 27 juin 2025