Calligram - The Eye Is The First Circle

Chronique CD album (35:01)

chronique Calligram - The Eye Is The First Circle

De la philosophie, de la colère et un combo qui puise ses racines aux quatre coins du monde (les gars viennent d'Angleterre, de France, d'Italie et du Brésil). Arrivé ici, on a déjà coché 3 cases dans la catégorie « groupe à écouter avec attention ». Pour ma part, du moins. Alors, quand en plus le son tabasse comme jamais, alliant audace et puissance, rage et ouverture d'esprit, c'est le loto bingo coco. Je suis à deux doigts de me transformer en groupie inconditionnelle.

 

Calligram vient donc de sortir son deuxième album, The Eye Is The First Circle chez Prosthetic Records le 10 avril dernier. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que cet album est franchement bien ficelé et fourni à souhait. En un mot, les cinq internationaux nous ont gâtés. Par leur talent. Par leur sincérité. Par leur générosité.

 

Analyse.

 

En ce qui concerne le terreau intellectuel de l'album, il va falloir prendre quelques lignes pour expliquer ce titre énigmatique (mais pas des moins passionnant!). Il faut aller gratter du côté du transcendantalisme et de Ralph Waldo Emerson, chef de file de ce courant de pensée né au XIXe siècle aux États-Unis. Vous trouverez dans son cercle restreint des personnes comme Thoreau (La désobéissance civile, 1849, Walden ou la Vie dans les bois, 1854.) Globalement, il faut comprendre que selon eux, les institutions religieuses et politiques corrompent la bonté inhérente de l'être humain. Ils influenceront, vous vous en doutez, la beat generation, mais aussi Nietzsche et son Sur-Homme.

Plus concrètement, The Eye Is The First Circle renvoie à l'incipit d'Essays, First Series publié en 1841 par notre ami Emerson.
« The eye is the first circle; the horizon which it forms is the second; and throughout nature this primary figure is repeated without end. »
« L'oeil est le premier cercle, l'horizon qu'il forme est le second; et partout dans la nature, cette figure primaire se répète sans fin. »
Pour les plus curieux et anglophones, je vous invite à le lire en entier par ici.

 

Ce qu'il faut comprendre dans cette conception pluricirculaire, c'est que tout est lié et entrelacé. Les phénomènes sont une succession de cercles qui se chevauchent. Le début est aussi une fin et la fin n'est qu'un commencement. Il y a donc, dans l'absurdité de la Vie un devoir de diligence envers autrui par chevauchement des cercles. Tout est lié, je vous dis. En extrapolant, on retombe sur des questions de démocratie radicale tout en questionnant l'individualité. Bref, Emerson et Thoreau sont des révolutionnaires dans l'âme. Et comme tout révolutionnaire, ils ont en eux de la colère. Calligram, en tant qu'artiste, en est le transcripteur.

 

Et en terme de mandale, les gars se posent là. « Carne » vous met au tapis dès le départ. L'entrée est fracassante et on rentre directement dans le vif du sujet. C'est lourd, compressé; la basse joue plus que jamais son rôle de « cadenceuse », les riffs sont stressés/stressants pour un résultat des plus oppressants. Entre blast et beat-down, la démonstration de force est totale.

 

Je préfère vous prévenir: la ratonnade ne s'arrête pas avant l'avant-dernière piste. J'espère pour vous que vous êtes solides parce que les gars nous trimbalent entre black et post-hardcore avec une facilité déconcertante pendant encore un petit moment. Le break down de « Kenosis » est rudement efficace, tout comme ceux de « Vivido Perire » qui aèrent légèrement la compo. En parallèle, des pistes comme « Serpe » s'orientent sur des structures et des rendus black/post black. Les riffs sont parfaitement plaqués, les parties plus atmosphériques s'enchaînent avec évidence. Tout est huilé et rodé sur cette machine destructrice. En fait, on ne parle même plus de machine ici mais carrément de forces telluriques orchestrées par l'Obscurité qui remontent à la surface.

 

La chant (uniquement en italien) est complètement hallucinant. Puissant, hargneux mais tout autant subtil. La prod sur celui-ci est tout juste ce qu'il faut (je pense particulièrement à « La Cura ».) Excellent taf de la part de John Lewis sur ce coup-là. Il signe ici un travail remarquable de manière générale. Chaque instrument a l'ampleur nécessaire pour prendre corps et exprimer son potentiel (ce qui est loin d'être le cas pour tout le monde). Le résultat est fracassant et la force de frappe en est quintuplée.

 

« Anedonia » se verra dotée d'un sample. Je trouve l'exercice toujours périlleux car le résultat se joue à pile ou face. Soit c'est raté soit c'est génial. Je vous laisse deviner le résultat ici. C'est fichtrement efficace. Pour le coup, il s'agit d'un pasteur brésilien en quête de monnaie sonnante et trébuchante, en contrepartie... de miracles. Voilà voilà... Inutile d'aller plus loin dans la démonstration. Mais revenons à « Anedonia », qui offre le premier répit, pendant ce sample, couplé à de légers arpèges. Le duo rythmique/basse emboite le pas pour la cadence faisant monter la pression jusqu'à la chute du rideau et l'explosion. Déferlement de rage doublé de blast et de riffs dissonants. On est une fois de plus cartonné. L'arrêt brutal de la piste nous laisse complètement cataplexique.

 

On observera plus de lenteur sur « Un dramma Vuoto v Insanabile » (dont « Pensiero Debole » est au final l'intro) comme si une certaine lassitude nous avait emplie ou du moins une fatigue. Du genre de celle qui viennent après les chocs émotionnels. Cette piste sort vraiment du lot dans l'album et marque une certaine prise de distance, émotionnelle du moins. Parfaite pour clore l'album. Je suppose qu'il ne faut pas voir ici la fin de celui, mais bien le début du prochain.

 

Calligram nous signe ici une réelle démonstration de force. C'est talentueux, obscur, dépressif, puissant et enragé. Et ça tient la route comme jamais. Autant de maturité dans une formation aussi jeune (premier EP fin 2016) promet de très belles choses. Je sais qu'on est qu'au mois d'avril, mais je peux vous dire qu'une place dans mon Top 3 2020 les attend à coup sûr.

photo de Vincent Bouvier
le 05/05/2020

3 COMMENTAIRES

Freaks

Freaks le 06/05/2020 à 14:02:24

Un album monstrueux! Et je m'y connais un peu en monstre ;)
Ma couardise me dit qu'il sera dans mon top 50 ;)

Crom-Cruach

Crom-Cruach le 06/05/2020 à 18:11:05

Vu la teneur de la chro, je vais peut-être écouter. J'ai dit "peut-être"...

Vincent Bouvier

Vincent Bouvier le 06/05/2020 à 22:47:26

Oh bordel, Crom est à deux doigts de nous avouer qu'il l'écoute en cachette... :D

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