Cicada The Burrower - Blight Witch Regalia
Chronique CD album (30:57)

- Style
Electro lounge drum’n’bass black metal - Label(s)
Blue Redrum Records - Date de sortie
7 avril 2023 - écouter via bandcamp
Sur son compte Facebook , Cameron Davis se présente en ces quelques mots : « becoming a version of myself that I like ». En clair, toute l’oeuvre de Cicada the Burrower, en particulier cet album de 2023, exprime en musique le processus complexe de construction d’une identité. Pour les connoisseurs, ce one man band avait déjà signé un joyau (qui avait fini dans mon top2021) qui se joue des codes du black metal pour mieux s’en écarter et proposer un objet d’une modernité folle : Corpseflower. Les amateurs des Brésiliens de Brii ne pouvaient pas rester insensibles à cette approche tout en expérimentations electro empreintes d’une classe et d’une dignité déconcertantes. On peut également citer comme références Ulver, voire Liturgy. Le genre de groupes qui servent une espèce de black metal psychédélique non avare en longues plages electro. Progressif, atmosphérique, avec des fulgurances sauvages. Depuis, Cam Davis a vécu moult changements dans sa vie : elle a commencé un traitement hormonal qui lui a permis de voir son corps changer, « ces parties [d’elle] qu’[elle] croyait immuables, de [sa] peau à [sa] sexualité ». Elle explique que l’écriture de Blight Witch Reagalia repose sur une volonté de surmonter cette épreuve. « Pour me comprendre, pour faire le deuil de ce que j’ai été. C’est un reflet de mes expériences de ces deux dernières années. Mon amour. Mon traumatisme. Mon espoir. C’est un son magnifique et terrifiant ». Voilà pour le contexte. Pas de militantisme ici, on laisse cette tâche aux poseurs qui ne ratent aucune occasion d’exister (ou du moins, d’en éprouver le sentiment) par le truchement de gesticulations fallacieuses sur les réseaux sociaux à la moindre évocation d’une certaine forme de progressisme, juste un parcours personnel et intimiste restitué par les mots et les notes de façon cathartique. Avec toute la dose de sincérité que ce genre de démarche artistique suppose.
Alors, musicalement, ça donne quoi ? Il convient de rappeler à notre aimable lectorat qu’on se trouve bel et bien face à un objet singulier. De black metal, on n’en a là qu’une futile étiquette, tant l’album s’éloigne dès les 1e notes de ce genre protéiforme aux codes pourtant bien définis. Amateurs de blast beats épileptiques et de chant strident généré à grands coups d’orteils coincés dans la porte de la cave aux murs humides lacérés de citations de Cthulhu, passez votre chemin, à moins de compter parmi les aficionados de toute forme expérimentale d’exploration de l’âme en caressant le velours feutré d’un fauteuil installé dans le confort d’un salon chaleureux en guise de refuge. Dans Blight Witch Regalia, on navigue principalement sur les eaux tumultueuses mais domptées du trip hop, du drum’n’bass, de l’electro lounge, le tout traversé par des lignes de chants discrètes mais tourmentées. La basse, omniprésente, fait rebondir ses partitions. Alerte, virevoltante, allègre, elle dialogue de manière excitante avec les parties sautillantes des percus électroniques. Sans se perdre en chemin, puisque chaque titre s’avère relativement court, le plus long de l’album n’excédant pas les 4 minutes 30. En une durée totale aussi resserrée, l’album vise l’essentiel, touche directement le coeur. Sans détour, mais non moins riche de 1001 atours. Car l’ensemble propose une variété d’ambiances sans perdre en cohérence. Ainsi, on peut passer du calme lumineux et élégant de l’instrumental Fairy lights et ses cliquetis rafraîchissants à la rage de Make still this beating heart dont les lignes de chant cachent derrière leur agressivité une réelle fureur de vivre. Du reste, ce titre opère une parfaite transition avec le suivant, Aries, you ripped the child out of me, à la même croisée des chemins entre explosion de tripes et élégante introspection. Le tout emporté dans le maelström d’une vivace et entraînante dynamique qui invite l’auditeur à laisser son corps se perdre dans une danse enfiévrée et thérapeutique.
En clair, malgré les griffes qu’il garde acérées et tranchantes, Blight Witch Regalia compte parmi ces albums qui s’ouvrent à la perception du plus grand nombre, dans sa générosité et son aménité apaisées. La musique de Cicada the Burrower y exprime une totale assurance, une force charismatique qui se dégage du fruit de toutes les réflexions existentielles dont elle se fait l’écho. Extrême dans son approche hybride, mais entière dans l’affirmation de son moi profond. A l’heure où nous bouclons cette chronique, nous revenons de l’un des festivals les plus cohérents en termes d’expérimentations de l’extrême sous différentes incarnations, au beau milieu des Pays-Bas. On ne peut s’empêcher de penser que la démarche de Cam Davis sur cet album y aurait brillé de mille feux. Walter, Becky, si vous nous lisez…
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