Deus - Selected Songs 1994-2014
Chronique CD album (144:07)

- Style
Mais merci pour les roses. - Label(s)
PIAS - Sortie
2014
écouter "Roses"
_ Tu connais pas dEUS ? Attends, comment te décrire... C'est tellement triste que ça ne te donne qu'une envie : te coucher sur le sol dans un coin et ramener tes genoux sur le torse, prostré en chien de fusil, et fermer les yeux.
En adolescent aussi con que romantique, cette description faite par mon meilleur ami avait soulevé l'intérêt masochiste que porte un p'tit jeune qui ne plaît pas aux filles à toutes les musiques sombres et torturées qui pourront passer entre les mailles du filet d'uniformisation et de culture beauf, reculé qu'il est dans un minuscule village de province, avant l'ère internet, passionné par la musique, au point de passer des journées entières enfermé à triturer les six cordes, acculé par, déjà à l'époque, l'absurdité et la violence gratuite de l'existence, pauv' chéri vivant en somme sa passion, comme dans un rêve.
Mais ne t'avise pas d'oublier la réalité. C'est pour ton bien. Tu risques de te smasher méchamment la gueule dix étages plus bas. Tu demanderas pas pourquoi après. C'est de ta faute. C'est entièrement de ta faute. Fallait garder les yeux ouverts mon gars.
Si tu survis, rappelle-toi de ça.
La mélancolie douloureuse de dEUS, sa tension difficilement tenable, contenue par exemple dans « Roses », « Serpentine » (Quel érotisme! Et mauvaise pioche : merveilleusement trop ambigu, comme souvent chez eux...) ou « Right As Rain » (toutes trois inclus à cette longue et double compilation) n'est pourtant qu'une partie de la mosaïque unique de ce groupe Belge, qui a peut-être gravé quelques-une des plus belles pépites de la Pop musique.
Ce n'est qu'une facette. Pas trompeuse pour autant. Le spleen est réel, putain, réel, il est bien là. Mais dEUS était un groupe qui éclatait tout. « Les Mr Bungle de la Pop » (écoutez « Fell Off The Floor, Man »), m'esclaffais-je parfois au temps de mes cheveux longs, et, pour une fois, ce n'était presque pas abusif.
Les structures des chansons, les climats, les mélodies, tout est chamboulé, anachronique, ou de biais, de guingois, tordu, spécial... On passe de la délicatesse caressée à la déchirure noisy, d'ambiances à la Zappa à des métamorphoses à la Kafka, de la lumière de la douce nostalgie aux ténèbres maniaco-dépressives, une musique pour bipolaires incurables.
C'est un groupe intelligent qui n'est pas intello. Les guitares et les instruments en général tricotent des arrangements délicats, soignés, du travail d'horloger jamais dominé par le cortex suffisant, car les émotions font de sublimes grand-huit.
Les crissements de Fuzz côtoient les mélopées Pop et les harmonies étincelantes. Afrobeat de blancs-becs et fond de lie Punkette, banjo bonhomme de « Instant Street » contre violons sardoniques de « Suds And Soda » (pas ma préférée, celle-là, mais je salue la performance grinçante), artysme jazzy d'écorchés vifs et crasse entre les orteils.
J'ai utilisé le passé à un moment. dEUS était un groupe qui éclatait tout. C'est que le groupe n'est malheureusement plus vraiment ce qu'il a été : iconoclaste, osé, dingue. Oh, je vois venir les dires, OK, un groupe est censé chercher à évoluer, à faire de nouvelles choses et ne pas se contenter de resservir toujours la même assiette. Mais le truc c'est que depuis l'album de transition The Ideal Crash (j'ai fait des milliers de kilomètres en train avec ce très beau disque comme compagnon de galères), Tom Barman est resté seul aux commandes (bon, Klaas Janzoons est encore là, lui aussi) d'un groupe entièrement remodelé. Musicalement et humainement.
Tantôt limite Pop de stade (atroce « Ghost », comme le groupe du même nom, d'ailleurs, et guère meilleur gospel boursoufflé pour « Twice »), les affreuses Muse(s) ne sont pas loin. Même si « Slow », par exemple, présente un intérêt certain par son côté rampant et humide, « Constant Now » et ses cuivres tout moches ne relèvent pas le groupe à son niveau passé.
Un peu de nuance : j'avais lâché l'affaire avec Pocket Revolution mais je découvre ici cependant quelques morceaux qui valent le détour. Je ne dis pas que tout ce qu'ils font depuis est pourri. Juste relativement moins passionnant. Largement!
Alors on sera heureux de réécouter quelques grands moments, même s'ils sont ici isolés et redisposés dans un autre contexte.
C'est tout le problème de cette compilation. Les trois ou quatre premiers albums étaient parfaits. Quel est l'intérêt d'une telle sélection, alors ? Faire découvrir la première folle époque. A part ça, c'est tout.
Car le contexte était tellement important ! Dans In A Bar, Under The Sea, la candide lumière, presque enfantine, de « Disappointed In the Sun », et la conclusion d'édredon nocturne de « Wake Me Up Before I Sleep », encadraient fort à propos les sommets de tension et de désespoir de « Roses ». Ici « Disappointed In The Sun » sonnerait juste un peu cul-cul. Le nouvel auditeur risque de passer à côté de quelque chose, de ne pas comprendre. Le contexte, la juxtaposition d'idées parfois opposées (« Little Arithmetics » et sa fin légendaire!), c'était tout le sel sur nos plaies, c'était tout le sens des voyages et des plans infernaux savamment échafaudés par le groupe.
Et aujourd'hui il n'y a plus la voix troublante, presque féminine, de Stef Kamil Carlens. Par contre Barman se la pète, et se la joue Gainsbourg Rock dans « Quatre Mains ».
Soit.
Moi je ne veux plus me suicider (scoop!) mais plus je vieillis, plus je suis un énervé. Chacun son truc.
Je ne me cache plus comme un sale cabot malade dans un coin, en écoutant un disque triste. J'ai reporté ma haine de moi-même sur les autres et ils le méritent bien, ahahah ! Mon adolescence peut bien reposer en paix.
Autre bémol, il n'y a aucun extrait du complètement allumé My Sister Is My Clock. Putain, j'ai revendu dix ou douze disques de Clapton et de Genesis (époque Phil Collins, je reste un admirateur de la première époque avec Peter Gabriel) en échange de cet unique mini-album. C'était à La Malle A Disques de Belfort (R.E.P. mon bonhomme, et merci, finalement, j'y ai vraiment pas perdu au change !). Mais ce n'est pas très étonnant, il aurait fallu balancer tout le bordel en intégralité. Le contexte, l'entièreté, l'indivisibilité !
Alors je cours me réécouter Worst Case Scenario, tiens, avec une pensée particulière, amusée mais certainement pas attendrie, lors de « Let's Get Lost » (pas incluse ici), pour l'ado torturé qui s'auto-apitoyait sur son sort. Ce qui est dingue, c'est que mon « meilleur ami » (que j'évoque ici par contre avec tendresse) et moi-même sommes toujours vivants, ici, maintenant, à vivre une vie qui, ma foi, semble au moins nous apporter un peu de bonheur. Je suppose que nos yeux sont bien ouverts désormais, et que nous n'avons jamais été aussi forts, mais ça ne nous empêche pas de continuer à rêver.
C'est pas rien. Je t'embrasse, frangin. Merci.
3 COMMENTAIRES
Crom-Cruach le 07/02/2015 à 11:52:49
Gepeto, tu es le seul à pondre de géniales chroniques pour des groupes... qui ne me scient point.
el gep le 07/02/2015 à 13:33:46
Merci mon Cromy... Après, on parle de Pop ici, alors ça ne m'étonne pas trop.
Où sont les barbelés, les cartouchières et les crucifix-pieux renversés dans les têtes coupées?
Eric D-Toorop le 07/02/2015 à 16:18:07
ouep belle plume pour un fameux groupe... nos Pixies (à cuivres parfois) à nous en somme.
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