Dronte - Quelque part entre la guerre et la lâcheté

Chronique CD album (46:29)

chronique Dronte - Quelque part entre la guerre et la lâcheté

C’était par une journée qui commençait comme les autres. Arrivé à 8h45 au turbin, en professionnel consciencieux, je commence par consulter ma boîte mail perso. Accompagné de ma fidèle, et plus matinale que moi, tasse de café, je parcours d’un oeil torve les éventuelles demandes de chroniques qui sèment le chaos dans ma boîte mail. Au milieu de tout cela, une demande d’un groupe. Dronte, un nom déjà prometteur, celui d’un drôle d’oiseau, qui m’interpelle, propose du “metal atypique” - je pose mon mug sur le bureau par sécurité - sorti chez feu Apathia - c'est du sérieux, je finis d’une traite le dit mug - et lance le player bandcamp proposé en lien. 

47 minutes plus tard, je n’ai pas bougé d’un iota, un peu de salive jaunie par de caféineux tanins s’est échappée de la commissure de mes lèvres avant de s’écraser sur mon bureau en une flaque louche. 

Après une réflexion intense qui aura duré 5 secondes, je me rends sur le portail RH de ma boîte et décide de poser un jour de RTT pour rentrer chez moi et me remettre de ces 9 titres, aussi pour tenter de mieux les comprendre. Dans le rigoureux outil de gestion des congés, j’indique dans la zone “Commentaire relatif à votre congé” un seul mot, iconoclaste de 6 lettres : Dronte.

 

De retour dans mes pénates, je relance la machine à café. Une vieille boucanière au cul roussi par une vie trop longue partagée à mes côtés, mariée toujours fidèle et qui ne rechigne pas à dégorger ses deux litres de jus noir en 15 minutes. Je m’installe et relance, mais sur de vraies enceintes cette fois, cet aimable ovni musical coupable de cette journée chômée. Une première fois...Puis une autre...Puis à nouveau… Je retourne faire du café…La journée ne se découpe plus en heure mais en tranche de 47 minutes. La sexagésimalité du temps s’efface et a fait passé la nuit sans que je m'en rende compte. J’use donc de mon PC de télétravail pour poser une deuxième journée de congé. Et dans la zone “Commentaire relatif à la prise de congé” toujours ce même mot: Dronte.

 

A 9h00, coup de téléphone de mon chef. Il est plutôt sympa mon chef. Humain, compréhensif, à l’écoute de ses ouailles et soucieux de leur bien-être personnel avant, bref du genre qui n’existerait pas.

- Salut Boris! Dis donc, je viens de voir que tu avais posé un deuxième jour un peu à l’arrache. Tout va bien ?

- Oui, plus que mieux.

- Non, parce que tu as indiqué “Dronte” dans la zone commentaire. Alors, bon, je me demandais...C’est quoi? Il y a une nouvelle maladie qui est sortie et va remplacer le coronavirus ?

- Non, pas du tout..C’est le nom d’un groupe de metal français, des parisiens...Ils sont 7 et ont sorti leur premier album “Quelque part entre la guerre et la lâcheté” en février 2019.

- Ah ouais, c’est vrai que tu fais des chroniques pour un site web...Comment il s’appelle déjà “MetalCore And Co”? 

- Simplement, Core And Co

- Et, attends...Tu poses un jour de congé à cause d’un groupe ?!

 

Alors, là, faut expliquer que mon chef, il est plutôt éclectique, guitariste amateur, il a son petit groupe de reprises rock/pop du dimanche, de bonnes connaissances musicales malgré son air de ne pas y toucher et est plutôt ouvert.

 

-Oui, parce que je suis tombé sur un ovni. Dronte fait du metal...mais acoustique. Enfin, pas vraiment. C’est compliqué

-Oh? Ah ouais, je vois le genre. J’avais écouté l’Unplugged de Korn il y a quelques années.

-Ah non, rien à voir. L’Unplugged de Korn, c’était juste une bête transposition acoustique de morceaux qui n’étaient pas vraiment taillés pour.

-Ah? Donc plutôt un peu comme Proteron de Nostromo ?


Et là, mon chef vient de rajouter quelques centaines de points de crédibilité à son crédit déjà bien élevé.

 

-Ouais, c’est déjà un peu plus l’esprit. Mais ça n’est pas non plus la même approche. Nostromo, ils avaient réarrangé leurs morceaux typés hardcore dans un registre classique.

-Ben, vas-y, explique, je suis curieux et je dois préparer une réunion pas du tout intéressante, je suis preneur de toutes bonnes raisons de procrastiner.

-Ok, alors, je te la fais longue. Tu vois, le métal a été remanié à pas mal de sauce depuis qu’il existe. Bon, effectivement la sauce acoustique, immédiatement, je pense comme toi à Nostromo qui nous avait fait le coup avec ses propres reprises acoustiques d'une qualité absolument parfaite selon moi, preuve ultime que les helvètes sont de fins musiciens. Mais là où ce n’était qu’une expérience, un terrain de jeu pour Nostromo, pour Dronte, c’est de la matière première, c’est l’essence même de leur musique. Ils n’ont pas essayé d’acoustifier le registre metal, ils ont métallisé le registre acoustique. Et autant le dire tout de suite, c'est très spécial. Ca ne plaira pas à tout le monde. Ca ne plaira pas aux métalleux qui ne jurent que par le gros son. Ca ne plaira aux fans de folk qui ne jure que par de la balade gentillette. Effectivement, cet album m'a fait de prime abord le même effet que l'Unplugged de Korn: un coup d'épée dans l'eau, un pétard un peu mouillé. Mais je m'étais trompé, ils m'ont bien eu au début ces oiseaux là.

Je m'explique: le metal est d'après moi une musique qui repose énormément sur la distorsion, la saturation du son et a pu difficilement en faire l'économie au fil de son histoire. Toi qui est un peu musicien, tu reconnais que l’on peut résumer la chose de façon très vulgaire en disant que le metal prog, c'est globalement du jazz saturé, le hard-rock du blues saturé, et le metalcore c'est euh...un truc saturé... Dronte se passe de la distorsion mais réussit à donner à l’auditeur de l’énergie d’une autre manière. En travaillant sur les tessitures de leurs instruments, sur les ambiances, sur les textes. La violence est autre. Elle se fait douce, insidieuse. Elle se matérialise par sa gêne exhibée et sa douceur rêche. Evidemment, chez Dronte, on retrouve les guitares, la batterie mais elles partagent intelligemment l’espace sonore avec la contrebasse et le saxophone,  complément aérien du vibraphone.
Du coup, les cartes sont rebattues, les sonorités sont nouvelles, autres, nous entraînent dans une nouvelle dimension musicale. Côté voix, c’est plus classique, alternant passages en chant clair, chantés ou parlés et growls puissants quand le reste de l’instrumentarium se réveille dans des unissons sonores lourds de leur grâce.

 

- Bon, c’est bien joli tout ça mais du coup, ça doit sonner un peu mou quand même?

- Comme dirait mon grand-père normand: oui et non. C’est évident que ce n’est pas de la musique sur laquelle tu vas pogoter en concert. Mais tu sais, l’énergie, c’est une simple différence entre deux états. Et Dronte l’a bien compris et jongle entre les tensions harmoniques, les rythmiques alambiquées du metal et les associe à la retenue et à la douceur des instruments utilisés même si ceux-ci savent aussi se faire bruitistes de temps à autres.

L’énergie est donc là, palpable, presque plus tangible car elle ne s’appuie pas sur l’artifice sonore de la saturation. Elle utilise d’autres codes, inhabituels et nouveaux et c’est en ça que Dronte est remarquable, en cette capacité à utiliser un autre alphabet stylistique pour écrire sa vision du metal. Et aux fils des écoutes, on se rend compte que les morceaux sont bels et bien puissants, que la magie opère, différemment mais assurément.

 

- Et du coup, tu disais que c’est un groupe français? Les paroles sont comment ? 

- On est dans la pure poésie, pleine d’allégories, de mots juxtaposées aussi bien pour faire sens que pour faire son. Une plume, presque digne d’un autre drôle d’oiseau, Ferré, qui planerait dans une tempête d'exercice de mots libérée des styles, de la grammaire, de la ponctuation. De l’écriture automatique pleine de sens et de sensations. Forcément, cela ne s’ingère pas sans un peu d’écoute mais on devine sous le déguisement de la prose des justes critiques sociales et sociétales.

- Et le mixage?

- Rien à redire, c’est propre, organique. Rien n’est surgonflé, rien n’est transformé. Personne n’a cherché à cacher la soi-disante faiblesse des instruments ne pouvant user des charmes de la fée électricité. En ressort une agréable impression d’écouter une prestation live maîtrisée par les musiciens et gérée par un sondier avec des cages à miel en or massif. Les saxophones sont divins, les guitares discrètes mais belles...et bien là, et très axées rythmiques, elles se mélangent agréablement avec la batterie. La voix est souvent répartie intelligemment dans l’espace donnant beaucoup de dynamique aux prestations vocales.

- Ben dis donc, ça m’a l’air d’être le groupe de l’année ?

- De l’année, non mais pas loin. C’est un groupe à la démarche admirable et qui propose quelque chose de véritablement original, nouveau mais sincère et déjà très mûri. C’est évident que beaucoup passeront, se désintéresseront, se moqueront, railleront. Les autres crieront au génie, dépasseront les étiquettes et se laisseront emporter par une oeuvre musicale personnelle et unique.

- Bon, j’ai l’impression que tu vas bien galérer à écrire une chronique sur cet album. Parce qu’à part l’écouter pour se faire une idée, ça va être difficile de retranscrire tout ça. Tu sais quoi, mon ptit Bobo, ta journée, je te l’offre, on insérera un pointage. Mais tu m’enverras un lien vers ta chronique. J’ai hâte de lire les commentaires.

 

J'ai raccroché, souris, et je suis retourné faire du café.

 

 

On aime: l’originalité totale et tonale, le mixage respectueux, les textes léchés, les chefs qui sont quand même super sympas

On n’aime pas: la conviction que l’on a que cet album partagera, malgré tout, le public.

 

photo de 8oris
le 18/03/2020

7 COMMENTAIRES

pidji

pidji le 18/03/2020 à 17:15:42

En effet c'est assez particulier, je ne sais pas dire si j'aime ou pas à la première écoute.

LaGachette

LaGachette le 20/03/2020 à 00:12:02

C'est précoce de poser des mots après l'écoute de quelques titres (le tout en lisant la chronique m'a foi haletante). Le sax apporte un vrai truc au côté acoustique, à creuser mais atypique !

8oris

8oris le 20/03/2020 à 10:22:52

Tout à fait. Pour les fans du saxo mis au premier plan, je conseille aussi Brain Tentacles ! https://www.youtube.com/watch?v=ylObfG08uaQ

Alias

Alias le 26/03/2020 à 09:28:59

Étonnamment, j'aime beaucoup.

pidji

pidji le 05/05/2020 à 22:52:37

Bon et bien après plusieurs écoutes, c'est vraiment très bon.

NicoDeDronte

NicoDeDronte le 26/09/2021 à 11:14:04

Salut 8oris, je suis l'un des gratteux de Dronte, et en ce moment je bosse sur un EPK pour démarcher des festoches et des concerts. En allant puiser un peu d'inspiration dans ce qu'on disait sur nous, je suis retombé sur ta chronique. Et bien sache qu'elle m'a fait chaud au coeur, et qu'elle m'a redonné beaucoup d'énergie dans cette période compliquée pour trouver des dates quand on fait une musique atypique ^^ Nous sommes en train de finaliser 1 clip et 2 nouveaux morceaux, et je ne manquerai pas de te les partager lorsqu'ils sortiront. Merci encore, et au plaisir de se rencontrer un jour sur un live j'espère!

Freaks

Freaks le 28/09/2021 à 11:48:23

Y'a un coté 180° de Diapsiquir, surtout au niveau des ambiances (moins glauques certes) et des déclamations du chanteur. Perso j'accroche bien.

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