Fontaines D.C. - Skinty Fia

Selon les explications de Tom Coll, - le gaillard derrière les fûts -, « Skinty Fia » est une ancienne expression irlandaise qui se traduit littéralement par « la malédiction du cerf », mais dont l’emploi par sa grande tante aurait davantage valeur de juron selon Conor Deegan III, bassiste de la formation irlandaise. Cette assise artistique sur laquelle s’est construit le troisième opus de Fontaines D.C. évoque directement le « grand cerf des tourbières » : la plus grande espèce de cervidé ayant posé les sabots sur Terre, disparue depuis des lustres ; et dont la taille imposante s’efface, - relique figée et hiératique, - dans le couloir de cette maison voilée d’un rouge crépusculaire.

Les irish guys se sont clairement installés ces dernières années comme un fleuron du post-punk, tournant à plein régime et délivrant coup sur coup deux albums en 2019 et 2020, faisant des Dublinois l’un des groupes les plus excitants du moment. Si Dogrel dévoilait des influences évidentes qui étaient bonnes à pardonner et à apprécier pour une première sortie (The Fall, grosso modo), A Hero’s Death sorti un an plus tard témoignait d’une identité plus affirmée et d’influences mieux digérées, tout en distillant une atmosphère bien plus mélancolique, désabusée, dans laquelle la voix particulière de Grian Chatten était davantage amène de s’exprimer pleinement.

Skinty Fia suit la voie tracée par ses prédécesseurs : que ce soit par les artistes aux manettes, ainsi que que par la direction prise par A Hero’s Death. Dès l’entame de l’album, « In ár gCroíthe go deo » (allez, merci le copier-coller) pose une ambiance solennelle, dont l’inquiétante tension mise en place par l’instrumental et les voix ne faiblira pas d’un iota pendant les six minutes que dure ce titre faisant office d’introduction. Une exquise mise en bouche parfaitement contrebalancée par le lancinant « Big Shot », et qui permet de profiter pleinement du travail phénoménal de Dan Carrey à la production de Skinty Fia ; le son jouit en effet d’une chaleur et d’une clarté impressionnantes, dessinant une architecture sonore qui sied comme jamais aux lignes vocales poignantes de Grian Chatten. Cette performance doit aussi être mise en lien avec une certaine économie dans les arrangements musicaux et un apaisement dans le riffing des guitares, comme l’illustrent des titres comme « Big Shot », « How Cold Love Is » et « Bloomsday ». À côté de ces éloges funèbres, il est difficile de ne pas citer « Jackie Down The Line » et « Roman Holiday » aux effluves folk subtiles ; les perles « Skinty Fia », « Nabokov » et « I Love You » qui mêlent habillement l’efficacité post-punk et l’atmosphère crépusculaire qui recouvre l’album ; ou encore l’accordéon tout en délicatesse de « The Couple Across The Way », - douceur amère bienvenue.

Avec Skinty Fia, Fontaines D.C. ne fait que confirmer toutes les critiques dithyrambiques qui accompagnaient déjà ses sorties précédentes. Album après album, la formation irlandaise continue d’asseoir son identité sonore, - en construction constante, - et nous livre un sublime joyau post-punk qui fera sans doute date dans la carrière des Irlandais.

Arrache coeur

le 16/08/2023