Lag I Run - Vagrant Sleepers

Chronique CD album (01:09:48)

chronique Lag I Run - Vagrant Sleepers

Dans la vie, j'ai une nette préférence pour les gens pas forcément trop exubérants. Parce que ces derniers, même s'ils peuvent être amusants les cinq premières minutes, ont tendance à masquer un for intérieur totalement creux et inintéressant en jouant les beaux parleurs et en roulant à tout va des mécaniques comme des paons en rut. Tandis que les autres sont plus discrets et réservés peut-être dans l'attitude mais au moins chaque prise de parole a son intérêt et est emprunt d'une véritable substance. Malgré tout, il y a quand même un souci : ces personnes, que les idiots décérébrés perçoivent souvent comme des plantes vertes, on a une fâcheuse tendance à ne pas trop les voir et à passer complètement à côté. C'est plus ou moins le constat que l'on peut faire des Toulonnais de Lag I Run qui, même s'ils ont su se faire remarquer par les médias estampillés rock/metal prog' vraiment spécifiques, n'ont pas vraiment attiré l'attention d'autres crèmeries plus globales et éclectiques avec leur second album, Vagrant Sleepers, sorti l'année dernière. Son prédécesseur, sorti il y a dix ans, n'a pas forcément eu plus de chance non plus. Le fait d'être distribué par Klonosphere handicape peut-être la visibilité : au milieu d'un tel vivier blindé jusqu'à la moelle de modern metal – un genre qui, de plus, s'avère tellement homogène que l'on préfère bien souvent grignoter deux ou trois miettes par-ci et par-là au lieu de s'en gaver jusqu'à l'indigestion – difficile de s'en extirper et attirer l'attention. D'autant plus lorsque l'on est de nature réservée comme semble l'être le combo qui préfère amplement limiter les informations qu'il peut bien divulguer de lui-même à des choses importantes et majeures sans tergiverser plus que cela. Bref, on sait qui compose le combo, qu'il a sorti deux albums, qu'il vient « du sud », que le projet s'articule autour de la volonté d'une seule tête pensante et est composé principalement de musiciens accomplis qui se sont illustrés dans des styles autres que le rock/metal. Bref, pas de quoi émoustiller la rédaction de Paris Match...

 

C'est un grand tort d'avoir loupé ce Vagrant Sleepers à sa sortie, d'où cette petite séance de rattrapage qui va bien. Bien loin des délires modern metal de ses compagnons de distribution, Lag I Run s'avère être un sérieux mastodonte en terme de vague rock/metal progressive moderne, quand bien même le cantonner à cette simple étiquette est plus que réductrice. En témoigne ce Vagrant Sleepers qui se pose comme une véritable tuerie tant sur le fond que sur la forme. C'est que le CV sous cet intitulé est peut-être maigre, on sent malgré tout que ce beau monde a de l'expérience. Dans la composition, dans la maîtrise de leur rôle respectif, dans l'interprétation et même sans doute de l'industrie musicale tant la prod' est en béton armé et n'a pas à rougir face aux gros noms élitistes de la concurrence progueuse. Quand bien même il faut passer outre sa généreuse durée de pratiquement 1h10. Si ce dernier aspect peut soulever quelques craintes en amont, cela passe heureusement fort vite : on ne voit clairement pas cette galette passer malgré ce format maousse costaud. Parce qu'il faut bien le dire, c'est le genre de galette qui ravit les esgourdes des audiophiles s'intéressant aux personnalités sonores singulières, aux ambitions artistiques clairement débridées – mais pas nawak pour autant – tout en les posant avec une étonnante légèreté et simplicité. Mais il représente également le cauchemar du chroniqueur qui ne parviendra jamais à se sentir prêt à écrire sa bafouille tant c'est typiquement le genre de plaque où l'on se surprendra à découvrir de nouveaux détails pendant les dix prochaines années. Un point que l'on pardonne sans mal, c'est distinctif des albums de qualité qui perdureront dans nos playlists et vu que la cadence semble être d'un album par décennie, ça donne de la bonne moelle à ronger en attendant le potentiel troisième rejeton.

 

Lag I Run, c'est plus ou moins un héritier des regrettés Fair To Midland tant on retrouve des similitudes en terme d'approche artistique débridée de fond qui ne se pose pas spécialement de limite hormis le fait de toujours présenter une certaine simplicité et accessibilité dans sa façade. Sauf que cette alternative se montre sous des augures autrement plus techniques – sans jamais tomber dans la branlette pompeuse – et progressives. Le prog' au centre des attentions qui sait autant manier les influences originelles, King Crimson en tête pour ses rythmiques (le monsieur derrière les fûts mène sa carrière dans le jazz, ceci explique cela), voire une incursion aussi surprenante que débridée de saxophone (le déjanté « Prowling »), pouvant parfois côtoyer le côté le plus barré/exubérant de Queen (notamment dans le travail des chœurs). Le tout placé dans un filtre bien moderne comme il faut, histoire de sonner dans l'air du temps, celui de Devin Townsend principalement, même si l'on peut parfois y retrouver comme des petits échos de Steven Wilson (« To The Moon », ballade plutôt minimaliste entre organique et synthétique). Voilà pour les grandes lignes quand bien même on y retrouve moult influences sous-jacentes. Le passif de la claviériste au sein de la scène électroswing amenant des moments cabaresques, funky, emprunts d'une bonne humeur quasi-nawakienne qui ferait sautiller plus d'un lapin (« Muscles Muscles » notamment qui aurait presque pu sortir des cartons de 6:33) et plus globalement une science du groove accrocheur permettant une digestion aisée de la galette. C'est que la jaquette (et autres artworks forts soignés et intrigants du livret) n'est pas là que pour faire joli tant on retrouve en Vagrant Sleepers une ambiance forte et visuelle, entre théâtral et monde fantasmagorique tout droit sorti des fantasmes un brin creepy d'un (grand) enfant.

 

Bref, un programme bien rempli, varié mais toujours cohérent et surtout d'apparence presque consensuelle mais autrement moins docile dans les encornures afin qu'on ne dompte pas la bête si facilement que l'on pourrait l'envisager à la première écoute. Une étrangeté de plus à ajouter parmi les curiosités sonores, quand bien même Lag I Run paraît étonnamment propre sur lui.

photo de Margoth
le 29/10/2020

1 COMMENTAIRE

cglaume

cglaume le 29/10/2020 à 10:35:08

"mais pas nawak pour autant"

Oooooooooh :/

:)

N'empêche, tout ça fait drôlement envie !

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